S’inspirant très librement de la vie de James Cox, un véritable maître horloger anglais du XVIIIesiècle, Christoph Ransmayr a eu l’idée, dans son dernier livre, de lui inventer un double, Alistair Cox, et de lui faire rencontrer l’empereur chinois Qianlong (1711-1799). Ce dernier, surnommé le Seigneur des Dix Mille Ans, possède une fabuleuse collection d’horloges et d’automates amassés au fil des années, mais frêle de constitution et souffreteux, il est inquiet. Il lui faudrait d’autres horloges pour mesurer l’avenir qui s’annonce pour lui. De là, l’idée de faire venir à sa cour le plus grand facteur d’horloges de son époque.
De son côté, Alistair Cox se morfond de chagrin dans son Angleterre natale à la suite de la mort de sa fille bien-aimée et de l’effondrement affectif qu’a provoqué cette tragédie chez sa femme. Avec cette mort et le mur qui s’est installé entre lui et sa femme, le temps s’est arrêté pour lui. Alors, quand deux émissaires lui proposent de venir à la cour de l’empereur de Chine pour y exercer son talent, il n’hésite pas et accepte la proposition. Il espère que son absence réveillera chez sa femme un désir qui s’est éteint et lui fera oublier un peu la mort de leur fille. Notre homme part donc avec trois assistants pour ce qu’on l’on appelait encore à l’époque l’empire du Milieu.
Il n’avait pas idée de ce qu’on allait lui demander. Lui et ses partenaires reçoivent commande de fabriquer deux horloges capables de marquer la subjectivité du temps. La première doit indiquer le passage des heures selon ce qu’en perçoit un enfant et la seconde, selon ce qu’en perçoit un mourant. Dans le premier cas, il imagine un « marque-temps » sous la forme d’un navire rempli de trésors, de jouets, de marionnettes. Pour le second, il crée une horloge qui fonctionne avec différents aromates préalablement réduits en cendres par un système de combustion interne. Ainsi, les heures disparaissent-elles en fumée, comme pour celui qui sait ses jours comptés. Ayant repris goût à son art, Cox propose à l’empereur de construire une troisième horloge mue par un mouvement perpétuel grâce aux variations de la pression barométrique. Le roman s’achève après la mise au point de cette « merveille des merveilles » et avec le départ, sains et saufs on le suppose, de nos quatre artisans pour leur Angleterre natale.
L’histoire inventée par Christophe Ransmayr sur le temps qui passe et le désir de l’homme d’en fixer le cours, sur la pérennité recherchée à travers l’art ou le pouvoir est certes une belle parabole. L’évocation fine et élégante de mondes perçus depuis l’intérieur des murs de la Cité interdite ou encore la description minutieuse de mécanismes d’horlogerie d’une grande ingéniosité forcent l’admiration, mais l’ensemble nous a semblé vide et nous a laissé froid. Les personnages n’ont d’épaisseur que celle des rôles que leur a assignés l’auteur et si des émotions sont évoquées, jamais elles ne sont rendues sensibles, peut-être à cause d’une écriture trop « ouvragée » – à la limite du maniérisme parfois – qui fait écran à l’émotion chez le lecteur. Christophe Ransmayr est une grande pointure de la littérature autrichienne. Pour comprendre ce qui lui a valu cette réputation, il vaut mieux aborder son œuvre par ses ouvrages antérieurs comme La montagne volante ou Atlas d’un homme inquiet.