Le troisième recueil de Catherine Lalonde, Corps étranger, nous mène de l’autre côté de l’enfance et du rêve d’amour, dans les éclats de la passion, dans le vif de l’exultation des corps, dans la fascination de la part étrangère de soi qui émerge : « [M]on cœur tombé si loin si loin de l’enfance /et suspendu / un moment / bercé / par Toi / entre ma mort et ma mort ». Soi et l’autre, lui-même étranger, d’esprit et de langue, qui force aussi le corps à corps des langues entre eux : « [T]u massacres ma retenue mes dictionnaires / dans le peut-être de ta langue inconnue ».
Quand survient l’abandon par l’autre et que celui-ci se replie dans le secret de son ailleurs, la renaissance perçue et goûtée s’interrompt abruptement. La distance s’est creusée entre le soi d’avant et celui de l’après-coup. Dans les rêves qui suivent, la joie se cantonne dans le passé et l’enfance dans le souvenir. Les blessures de l’abandonnée vive affleurent avec le retour des rêves et la lient à toutes les blessées de l’amour. L’écriture demeure malgré les secousses. Elle continue de fouiller les cendres et de chercher les possibles : « [M]on amour Toi corps étranger dans ma mémoire / Toi aimé à / abattre des murs / en partant quelle ironie tu rends mes morts / mes mots heureux ». Nancy Huston, qui signe la préface, loue cette parole poétique qui se livre sans ménagement, ce courage qu’a Catherine Lalonde de « dire ces territoires nocturnes, depuis la nuit des temps hors mots ».
La langue est si près du cœur et du corps qu’elle se charge d’odeurs, de sucs, d’élans et de cris. Elle est crue comme cet amour, elle explose avec ses mots obus ou ses mots feux d’artifice. Elle est vivante comme l’amante et comme le grand corps de la ville, polyvalente, polyglotte. Les mots se bousculent avant de s’assagir dans la nostalgie de l’enfance et du rêve de renaissance.
La voix poétique sonne vrai. Le recueil offre âpretés et beautés au lecteur. Toutefois, il aurait gagné à ne conserver que les fragments les plus forts, car il laisse à l’occasion une impression de trop-plein, de débordement.