Il y a des poètes qui donnent tout d’un coup, qui dévorent les mots et les images puis se taisent, vont ailleurs voir le monde et le silence, la vie sous d’autres formes. On les connaît : Rimbaud, Lautréamont, Nelligan, Miron, ces poètes sont ceux d’un seul livre d’une extrême urgence, d’une fulgurance dans la nuit des sens.
D’autres, on les connaît également, reprennent des thèmes, des formes, rejouent leur passion pendant des livres et des livres. Il sont tisseurs de rêve, nommant dans une constante reprise le monde et ses ramifications. On pense à Guillevic, plus loin à Hugo, plus proche à Georges-Emmanuel Clancier. Poète, romancier, anthologiste, animateur de la vie littéraire française depuis plus d’une soixantaine d’années, il n’a cessé de se faire témoin du monde, décrypteur attendri d’une infinité de versions de ce qui de partout s’échappe, persiste ou rejoint des époques et des thèmes qui semblent d’inépuisables miroirs où rejouer les images filantes. Cette poésie multiforme, sans cesse renaissante, que pratique Georges-Emmanuel Clancier depuis l’autre siècle jusqu’à nous, son ami Raymond Queneau la décrit précisément avec ses « qualités limpides et opaques, son élaboration d’un terroir dont il semble retrouver les prolongements indéfinis aussi bien vers un avenir incommensurable que vers un passé préhistorique et toujours présent. » Ce bel hommage pour la poésie et un homme qui n’ont jamais failli à la tâche de nommer, de dire et de comprendre ce qui de l’émerveillement du monde persiste et signe. « Ainsi va le guetteur » !
Contre-chantsétonne et charme, avec sa régularité, sa vérité, sa douce propension à aimer et à célébrer. Georges-Emmanuel Clancier est le poète de la célébration et de la lumière. Sa poésie éveille ce qui en l’être humain résiste face à la bêtise et à l’ombre. Il avance quelques mots, une musique aussi, « Dans sa voix l’alizé / respirait et chantait ». Le poète avoue à celui qui l’écoute : « Inscrite à l’horizon du souvenir / flèche toujours vers d’autres futurs / toi ma promesse vole / et nie la morne limite. // Donne à ma soif les fruits / que mûrit pour nous le silence. »
Il y a le « chant » qui gonfle ses propositions et raconte la « Légende d’un poète », mais aussi « Ulysse » qui a dans sa tête d’autres musiques et d’autres voyages. Dans ces poèmes aux accents humains, il y a la mémoire, les détails, « L’Autre immobile / guettant ». Et ce qui est touchant dans cette poésie, c’est qu’elle parle sans concession de la beauté du monde, des espérances et des combats. Autobiographique, aérienne, pleine de cur et de lucidité, elle redit à qui s’en approche que le monde est encore habitable, « Musicale corolle de ciel / à portée de chaque regard. »
De l’enfance à la mort, le poète refait le trajet. Ses désirs et son regard persistent, vibrants dans l’émotion, « Étoile tournoyante / ô croisée des vies / traversée incertaine. », « Sans feu / ni lieu / il a / – il est- ». Contre-chants de Georges-Emmanuel Clancier est un recueil d’une grande sérénité, on y découvre que les mots sont des signes fragiles qui tiennent leur promesse : être attentif au réel, à la vie ; espérer, suivre sa route dans le chant et contre le chant, avec au cœur la « liberté toute ». Une leçon d’être. Un grand travail de poésie, à lire, à méditer.