De petit livre en petit livre, la collection « Entretiens »démontre son utilité et l’intelligence de ses pratiques : l’enjeu mis en exergue mérite l’attention, l’invité maîtrise sa spécialité, l’interviewer a potassé le thème. Tout au plus pourrait-on souhaiter qu’on évite de confier l’interview d’un titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand à un membre associé de la Chaire Raoul-Dandurand. La femme de César…
Charles-Philippe David est réputé à juste titre pour son franc-parler. Les réponses offertes aux questions de Jean-Frédéric Légaré-Tremblay le montrent, sans surprise, aussi capable de critiques cinglantes à l’égard du régime Bush que d’opinions à rebrousse-poil du convenu. Son dernier verdict, formulé avant la victoire de Barack Obama à l’élection présidentielle étatsunienne, est, à cet égard, exemplaire : « On ne peut donc s’attendre à une rupture complète et entière entre Bush et son successeur. N’en déplaise à certains, on doit s’attendre à une certaine continuité ». Prédiction amplement confirmée.
Malgré ce préjugé favorable à l’égard de la collection, de son maître d’œuvre et de l’invité David, le lecteur aura plusieurs occasions de sursauter. De la seule et unique taupe sur laquelle Washington croyait pouvoir tabler pour décoder la situation irakienne, David écrit : « Tout ce qu’il [l’informateur] disait avait été inventé, imaginé. C’était un tissu de mensonges. Et la Maison-Blanche l’a cru ! » D’un revers de main, David évacue ainsi l’autre hypothèse : la Maison-Blanche savait à quoi s’en tenir. Elle n’a pas cru Chalabi ; il disait ce qu’elle tenait à accréditer. David liquide aussi allègrement la thèse selon laquelle la guerre en Irak avait le pétrole pour motif : « Écoutez : cette thèse ne passe pas l’épreuve des faits les plus élémentaires ». Heureusement, David fonde ses réserves sur des bases plus vérifiables lorsqu’il souligne que « le terrorisme international n’est pas une menace aussi grandiose à la sécurité nationale que les autorités américaines ne le croient ». Ou lorsqu’il affirme, au moment de définir la tâche qui attend le successeur de Bush, que « le premier défi est certainement moral ».
Précisément parce qu’elle propose à la discussion des thèses discutables, la collection « Entretiens » mérite lecture… et débat.