Isodore Malenfant aurait voulu être un enfant violenté et abusé par ses parents pour pouvoir jouir sans culpabilité d’être devenu un déchet de la société. Mis à part une mère dépressive et le fantôme d’une sœur morte avant sa naissance, rien ne justifie son mal-être. À trente ans, il s’emmerde à reluquer les femmes et à se saouler jusqu’à ramper. Parfois il écrit. Il en est à son quatrième roman. Les questions soulevées par la nature douteuse de son travail ne semblent pas trop l’embêter. Il a des lecteurs dont il entretient la flamme, c’est ce qui compte. Et ça lui fait du bien d’imaginer dans ses livres la déchéance, la pourriture, le sang, la perversité. « Un homme qui n’a jamais eu envie de sucer son pénis ne sera jamais / un écrivain. » De s’imaginer en maître cruel des illusions lui donne le sentiment d’être vivant. D’ailleurs, affirme-t-il, il n’a pas peur de la mort. C’est pour cette raison qu’il la chasse et l’invoque sans cesse.
Pris au premier degré, ce récit est ignoble. On préfère croire qu’il s’agit d’un acte terroriste contre une société nord-américaine puritaine, aveugle à la gangrène qui s’attaque à son membre le plus viril. Mais le monde, après une telle lecture, est quand même plus laid qu’avant.
Certains fantasment sur un paradis éternel et rédempteur, d’autres sur l’enfer. Entre l’un et l’autre, il existe peut-être un lieu difficile d’atteinte, poétiquement. Il faudrait sans doute abandonner l’espoir que sa propre mort, ridicule, peut mettre un terme à la souffrance. Pour les enfants bien vivants, souhaitons qu’il existe d’autres chants.