En suivant à la trace des humains opposés par leurs métiers et, croirait-on, par leurs principes, on se heurte à l’inattendu : tous, à quelque clan qu’ils appartiennent, cèdent aux mêmes tentations et baignent dans les mêmes compromissions. Le héros d’une guerre maquillée en héroïque croisade par les mensonges officiels ne revient pas sans séquelles à la vie civile. Vie et mort pèsent à ses yeux aussi peu l’une que l’autre et les armes ne sont que de prévisibles prolongements des astuces légales. Gare à cet imprévisible démobilisé. Pour le contenir dans des limites acceptables, l’État multiplie les enquêtes, les procès, les sanctions. Heureusement pour les deux et pour le plus grand malheur de la civilisation, la théorie des dommages collatéraux se tient prête à lénifier les bavures et les sadismes. Cela, au moins, est à portée de main pour quiconque s’informe un tantinet. Mais la carrière à l’intérieur du cadre public obéit parfois, sans qu’on en prenne conscience, aux mêmes propensions que si elle mettait en scène elle aussi d’authentiques truands. Défendre les intérêts de la société devient soporifique si l’on ne peut pas, en manipulant l’opinion et en capitalisant sur toutes les roueries de la loi, accéder au prestige, aux promotions, au pouvoir. La carriériste, même adulée par les carnets mondains, est aussi dangereuse que le porteur du lance-flammes et du napalm. Gare aussi, par conséquent, à la personne pour qui la lutte contre le crime doit satisfaire aux appétits personnels autant qu’au besoin de sécurité des individus et de la société.
Black Water Transit, c’est le nom d’une société à laquelle s’intéressent les mondes parallèles et souvent analogues du crime et de la lutte contre le crime. C’est aussi le symbole d’une passerelle (transit) entre les deux. L’auteur insiste, de façon si plausible que la candeur perd pied, sur les ressemblances plus que sur les différences : le père d’une petite crapule oublie amitiés et loyautés, l’avocate porteuse du mandat public multiplie les promesses pour les trahir aussitôt proférées. On est loin de l’époque, peut-être pas plus morale mais plus hypocrite, où le polar opposait les méchants au flic vertueux. Carsten Stroud ne joue pas les sociologues, il se contente d’exceller dans l’observation d’une société où l’appartenance à tel ou tel groupe social ne garantit plus rien.