Cette biographie d’André Mathieu porte une signature qui a valeur de caution, celle de Georges Nicholson. Qui, à part lui, pouvait effectuer un tri dans les légendes dont André Mathieu fait toujours les frais ? Et qui pouvait, mieux que Nicholson, arbitrer les querelles entre les écoles de composition ? Rédigée par un fiable analyste des courants musicaux, fondée sur les contacts et les confidences que seul un familier de cet univers pouvait exhumer, cette biographie restitue enfin à André Mathieu ses mérites et sa vérité. Du coup, certains mythes s’effondrent. Il est faux, par exemple, qu’on doive voir la main du père dans les compositions d’André Mathieu. En revanche, la comparaison souvent jugée peu crédible entre Mathieu et Mozart acquiert un fondement : oui, disent d’irréfutables connaisseurs, André Mathieu était plus avancé que Mozart au même âge. Répétons-le, qui tiendrait ces verdicts pour acquis s’ils n’étaient pas de Nicholson ?
Nicholson dissipe-t-il le mystère de cette pathétique descente aux enfers ? Oui et non. Le parcours est net : le lecteur ne peut que constater la baisse des revenus, la fonte des auditoires, les minables pianothons et les emprunts qui confinent à la mendicité, mais Nicholson ne s’aventure pas à répartir les blâmes. Rodolphe Mathieu, musicien et professeur, a exercé sur son fils prodige une emprise autoritaire. La mère, nettement plus jeune que son conjoint, fit longtemps illusion et dissimula mieux sa possessivité. Les mécènes et les guides virtuels offrirent ce qu’on peut attendre d’eux : la sécurité financière souvent assortie d’exigences propres à hérisser n’importe quel parent. Négligeant ceux qui chercheraient le plus coupable, Nicholson se tient à égale distance de la complaisance et du voyeurisme. Le témoignage de Jean Vallerand ressort pourtant à propos des pianothons où Mathieu se discrédite : « […] je m’effraie d’une situation qui oblige un artiste à des ‘publicity stunts’ ». Autrement dit, le Québec adule le bambin aux jambes trop courtes pour rejoindre les pédales du piano, mais il oublie l’artiste dès la puberté.
Si Nicholson réussit un sans faute dans son portrait de Mathieu, ses jugements perdent en solidité s’ils débordent le champ musical. On ne lui en voudra pas trop s’il fait tomber le pont de Québec plutôt que celui de Trois-Rivières, car la distraction de l’auteur aurait dû réveiller le réviseur, mais rien n’explique une outrance comme celle-ci : « Comme tous les immigrés qui s’éprennent du Québec, il [Robert Rumilly] nous perçoit où nous sommes et non où nous croyons être. Il a aussi cette liberté précieuse de ne pas traîner un passé lourd et torturé… ». De quoi faire sursauter le biographe de Rumilly, Jean-François Nadeau. Heureusement, ces sentences hors spécialité sont rares.