Suivant une tradition bien connue en études littéraires, Jules Tessier a réuni en volume des articles déjà parus antérieurement dans des ouvrages collectifs et des revues. L’un de ces périodiques est Francophonie d’Amérique, fondé par l’auteur en 1991, à sa direction pendant dix ans, et dont l’objectif initial était de « [faire] ressortir la pluralité et la diversité des manifestations de la vie française partout sur le continent nord-américain ». Au terme de son mandat décennal, l’ex-directeur reproduit des articles dont l’orientation concorde avec celle, bien précise, qui présida à la naissance de la revue : publiés entre 1992 et 2001, les neuf textes réédités ici visent à décrire « les particularités de la production littéraire d’expression française hors Québec ».
Jules Tessier utilise les concepts de déterritorialisation, de translittération et d’acculturation, et aborde plusieurs sujets généraux et spécifiques, tels la « fonction […] identitaire » des « petites littératures », la « schizophrénie ethnique et linguistique » des « francophones […] en milieu minoritaire », la « situation d’isolat » de ces derniers, les « mythe[s] et utopie[s] dans la littérature franco-américaine ». L’un des avantages marqués de ce recueil est de remettre sous les feux de la rampe certaines œuvres et certains auteurs acadiens, ontariens, manitobains et américains dont l’existence est méconnue ou peu discutée, du moins chez le lecteur québécois moyen. On connaît certes le nom des Jean-Marc Dalpé, Patrice Desbiens et Jacques Savoie, et personne n’a oublié Maurice Constantin-Weyer, ce Français qui a séjourné une dizaine d’années au Canada et produit une œuvre romanesque dont l’une des composantes a été couronnées par le Prix Goncourt, en 1928. Peut-on en dire autant des poètes Guy Arsenault, Charles Leblanc, Louise Fiset, Andrée Lacelle, et des romanciers franco-américains (de naissance ou d’adoption) comme Jacques Ducharme, Gérard Robichaud, Félix-Albert, Robert Perreault, Henri Chapdelaine et Grace Metalious ? Le jeune Canadien de l’Ouest Ronald Lavallée reçoit pour sa part un traitement spécial car Jules Tessier consacre les deux derniers chapitres de son florilège à Tchipayuk ou le chemin du loup (1987) : le critique y décrit notamment la « quadrichromie » de ce roman qu’il qualifie de prouesse littéraire.