Avec ce livre, les éditions Albin Michel poursuivent leur mise au jour de la correspondance d’Elias Canetti entamée en 2009 avec la publication des Lettres à Georges, qui dévoilaient l’atypique triangle amoureux formé par l’écrivain, sa première épouse, Venezia Taubner-Calderon alias « Veza », et son frère, l’éminent biologiste Georges Canetti.
La liaison clandestine qu’a nouée le jeune auteur d’Auto-da-fé, au début des années 1940, avec la peintre viennoise Marie-Louise von Motesiczky, s’étend sur un demi-siècle. Elle est composée de phases de grande proximité entrecoupées de dissensions et de brouilles. Les deux amants, qui se surnommaient affectueusement « Pio » (Canetti) et « Muli » (Marie-Louise), ne voyaient pas souvent leur relation du même œil. Alors que Marie-Louise oscillait entre la vénération et l’attente déçue, Canetti pouvait passer de la plus tendre sollicitude au détachement le plus discourtois. Il la tutoyait, alors qu’elle maintint, au fil des ans, le vouvoiement. Elle admirait en lui l’homme aux vastes connaissances, mais éprouvait durement les lacunes de sa propre éducation. Il ne s’agit donc pas d’un dialogue d’égal à égal.
D’une lecture moins prenante que les Lettres à Georges, Amant sans adresse intéressera surtout les inconditionnels de Canetti, qui apprécieront de découvrir certaines facettes de sa vie d’émigré londonien. Les autres auront du mal à réprimer quelques bâillements devant une correspondance rivée sur le quotidien. Canetti épistolier n’a pas la faconde du Flaubert des Lettres à Louise Colet. À vrai dire, sa destinataire inspire davantage de sympathie. Élève de Max Beckmann et amie d’Oskar Kokoschka, Marie-Louise excella dans l’art du portrait et de la nature morte. Il est navrant que les éditeurs n’aient pas songé à inclure certains de ses nombreux portraits de Canetti.