Journaliste et auteure d’une volumineuse biographie de Marguerite Duras, Laure Adler nous propose ici un court récit autobiographique de nature cathartique qui rappelle, dans une certaine mesure, par la forme et le propos, La place et Une femme d’Annie Ernaux.
Un accident de voiture évité de justesse confronte la narratrice à la mort et lui rappelle douloureusement qu’elle survit à son propre fils, décédé il y a dix-sept ans. Elle décide alors de mettre des mots sur ce deuil contre nature ‘ la mort d’un enfant ‘ qu’elle n’a pas encore réussi à faire, semble-t-il, et qui provoque chez elle un fort sentiment de culpabilité, celle de survivre à son enfant d’une part, mais aussi celle de n’avoir pas été là au moment de « l’accident ». Elle met d’abord en récit l’annonce de la grossesse inattendue qu’elle vivra avec une grande fierté, un sentiment de plénitude. Elle raconte ensuite la naissance de l’enfant, fort et sain, la complicité qui l’unit à ce fils qu’elle regarde grandir avec émerveillement. Puis survient ce qu’elle appelle « l’accident». Ce jour fatal où elle entre chez elle et trouve le lit du bébé vide, la gardienne l’ayant emmené d’urgence dans elle ne sait quelle clinique ou quel hôpital. Nous revivons alors avec elle la longue attente avant d’avoir le droit d’approcher son enfant, désormais intubé et branché à une machine qui le fait respirer. Nous savons depuis le début qu’il est condamné, mais Laure Adler sait si bien évoquer son refus d’accepter qu’il n’y ait plus d’espoir, qu’il est presque impossible de ne pas croire par moments, ou du moins espérer avec elle, que l’enfant s’en sortira. Mais les moyens mêmes pris pour conjurer la mort ‘ elle fait entre autres appel à des voyantes ‘ révèlent par leur absurdité le désespoir véritable qui l’habite.
On pourra toujours dire que l’expérience autobiographique en soi n’est pas d’un très grand intérêt littéraire. On aura raison. Ce qui confère à un livre sa force, c’est avant tout la forme, à la fois originale et adaptée au propos, qu’on aura su lui donner. Laure Adler tient le pari avec À ce soir, dont le style sobre suggère toute la détresse que la situation implique sans jamais sombrer dans le pathos.