Auteur/autrice : Neal

  • Souvenirs et curiosités de la Côte-Nord

    Souvenirs et curiosités de la Côte-Nord

    En complément de notre dossier sur l’imaginaire de la Côte-Nord, nous vous proposons trois lectures :
    Une demi-heure avec Gilles Vigneault… en 1966
    Entrevue réalisée par Jean-Yves Fréchette pour le journal étudiant du Séminaire de Hauterive.
    Roland Jomphe : Poète et chantre de Mingan
    Pêcheur fils de pêcheur. On croirait tracé d’avance le parcours de Roland Jomphe. Que faire sinon pêcher quand on naît à Havre-Saint-Pierre face à la mer et qu’on est tôt embarqué au côté du père ?
    Article de Laurent Laplante paru dans le numéro 98.
    Bref extrait nord-côtier du roman Johnny Bungalow (1974) de Paul Villeneuve
    Les deux frères burent chacun une petite gorgée pour calmer leur impatience d’arriver à Labrieville. Parfois André se perdait au fil de la forêt et des crans qui surplombaient la route.
     

  • Pour saluer Joséphine Bacon

    Pour saluer Joséphine Bacon

    J’aime Joséphine Bacon*. Nous sommes nombreux à l’aimer.
    Je suis un de ses lecteurs et non un spécialiste de son œuvre. Comment prétendre tout savoir de la voix intime et impérieuse d’une poète ?
    Peut-on encore simplement aimer et se tenir loin des discours qui pèsent sur les poèmes et empêchent de les voir ?
    Joséphine Bacon appartient à cette catégorie de poètes qui accueillent les lecteurs comme des égaux. Elle ne cherche pas l’adulation.
    Elle a . . .

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  • Carte postale   

    Carte postale  

    Portneuf-sur-Mer
    Haute-Côte-Nord
    Quecqu’part en 1997
    Fille,
    Pendant que tu rêves de ta face sur les poteaux de téléphone, que tu dis pas « si » mais toujours « quand », pendant qu’on scrappe ton nom dans le journal local pis que tu te demandes s’il y a des hommes qui savent aimer de l’autre bord de la Pointe-des-Fortin, les pions se placent. Je te le jure, la vue est pas belle pour rien.
    L’avenir, c’est marcher sur . . .

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  • Hauterive, la branchée

    Tous ceux et celles qui ont observé la société québécoise de 1968 peuvent sans doute dire aujourd’hui que cette année fut celle de tous les déclics. À cause des Belles-sœurs d’abord, de L’Osstidcho ensuite, puis de la conquête de la coupe Stanley par les Canadiens, du 500e but de Jean Béliveau, de l’élection de Pierre Elliott Trudeau, de la mort de Daniel Johnson à Manic-5, de la fondation du PQ par René Lévesque, de l’abolition du Sénat et de . . .

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  • Gilles Vigneault : la musique des mots

    Gilles Vigneault : la musique des mots

    Lorsqu’une chanson de Gilles Vigneault me revient en mémoire, c’est la mélodie qui surgit en premier. Invariablement, la même s’impose : « C’est le temps ». Elle semble déjà contenir l’essentiel de l’univers poétique de l’écrivain : « C’est le temps, c’est le temps / De nommer un bateau / Tant qu’il reste de l’eau dans l’air / Tant qu’il reste de l’air dans l’eau ».
    Une expérience personnelle fortement sensorielle est venue graver cette chanson dans mon esprit pour toujours. En mars 1976, des amis . . .

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  • Jack Black, perdant magnifique

    Jack Black, perdant magnifique

    La petite histoire veut que les mémoires de Jack Black aient longtemps accompagné Burroughs et Kérouac lors de leurs fiévreuses escapades de par le vaste monde. Le même William Burroughs signe d’ailleurs une postface à la dernière réédition de Personne ne gagne1publiée par Monsieur Toussaint Louverture. Une bonne occasion de découvrir les hauts faits d’armes de ce bandit de grand chemin qui s’est tardivement converti à l’écriture.
    Né Thomas Callaghan en 1871, Black préfère bien vite le voleur au shérif dans les nombreux dime novels qu’il dévore compulsivement durant son enfance. Et les modèles en matière de crime ne manquent pas à cette époque où la mort de Jesse James, bandit notoire fumé lâchement par Robert Ford, endeuille des millions d’Américains. À quatorze ans, orphelin de mère, il abandonne l’école et les soins des bonnes sœurs afin de travailler pour le compte d’un magouilleur local ; à vingt, il maîtrise les rudiments de l’arnaque, l’art de crocheter une serrure, de manipuler chignoles et perceuses à haute pression ; à trente, il passe le plus clair de son temps à fuir les autorités du pays, partout reconnu comme un représentant estimé de la confrérie des yeggs.
    Yeggs,Johnsonet cie: les sentiers de la contre-Amérique
    Dans les bas-fonds de San Francisco au tournant du vingtième siècle, lorsqu’un vagabond vient quémander auprès des Chinois de quoi boire ou se mettre sous la dent, ceux-ci ont coutume de l’accueillir par un « Yekk ! yekk ! » enthousiaste. Au fil du temps, le cri d’accueil passe dans le vocabulaire de la rue pour faire référence au vagabond lui-même. À force de détours parmi les tripots du Chinatown et d’ailleurs, le yeggen vient par la suite à désigner cette horde sauvage de criminels et de casseurs de coffres-forts qui courent le continent à la recherche de coups juteux.
    Si « Blacky » s’associe sans gêne à cette communauté transhumante de hors-la-loi, il s’identifie surtout à cette classe à part de distingués détrousseurs rencontrés lors de son premier passage en prison : les Johnson. Coffré pour vagabondage puis enfermé dans une geôle du ponant, l’apprenti brigand découvre ces gentlemen cambrioleurs qui mesurent la grandeur d’un homme à la fiabilité de sa parole, le jaugent selon sa capacité à s’acquitter de ses dettes morales et pécuniaires. Le Johnson marche droit malgré son penchant pour la forfaiture. Il protège sa réputation coûte que coûte et possède son propre code d’honneur. Et le premier avale-tout-cru à mettre en péril les principes rigides de ce code pourrait bien le payer de sa vie.
    Black a tôt fait de s’accointer avec ces hommes dont le blaze, surnom pittoresque que vous colle la vie sur la route, raconte à lui seul un chapitre de l’histoire personnelle de chacun. Aux côtés de Smiler, de Sanctimonious Kid, de Soldier Johnnie, de Foot-and-a-half George et d’autres cambrioleurs au long cours, il parfait son éducation aventureuse en chevauchant des essieux de wagon, en resquillant son passage sur les convois de marchandises, en s’initiant au dynamitage des coffres et en découvrant les recoins d’une Amérique anonyme, habitée par ceux que Jack London, pour l’avoir longtemps fréquentée, nommait le peuple de l’abîme.
    Putains, ivrognes et camés, vagabonds et sans-abri : tout ce beau monde habite une sorte d’univers parallèle dans lequel trempe le yegg. Ce sont, comme l’écrit Black, des créatures de la nuit évoluant en marge de la vie organisée, comme si la société se composait d’entités réciproquement hermétiques qui se renvoyaient dos à dos : les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. C’est donc, aussi, sur les sentiers les moins fréquentés, ceux des laissés-pour-compte, que le narrateur nous entraîne, avec ce regard témoin de l’observateur social qui se mêle ici, de façon tout à fait remarquable, à l’art consommé du conteur.
    Le yegg comme le Johnson sont des dilapidateurs nés. En général, ils jouent beaucoup, boivent souvent et se droguent parfois. Ce qu’ils récoltent en une soirée, aussi impressionnants que soient les gains, ils le claquent en un rien de temps chez les bookies, dans les fumeries d’opium – légales à l’époque –, bordels ou saloonsqui fleurissent partout et dessinent, de Kansas City à Denver en passant par Butte, le paysage de l’Amérique interlope. Sans jamais porter de jugement, sinon envers les vendus et les lâches, l’auteur décrit l’étrange faune des bas-fonds avec cette distance objective qu’encourage le récit après coup des événements.
    De maison close en ruelle louche, des personnages hauts en couleur défilent et ajoutent au toujours plus vaste réseau de connaissances de Black. Comment d’ailleurs oublier cette Salt Chunk Mary, tête forte et femme de cœur, qui se tient fièrement debout dans le milieu éminemment masculin du recel ? Dans son repaire de Pocatello où le narrateur transitera à répétition pour écouler le fruit de son labeur, Salt Chunk Mary attend ses amis avec son éternelle chaudronnée de porc salé, mais réserve ses soufflants à qui viendrait tenter de cracher dedans.
    Il est fascinant de voir à quel point la loyauté est paradoxalement reine dans ce milieu, à quel point les plus rusés s’entraident pour que chacun trouve son compte. Il est pourtant difficile de gagner quoi ce soit de durable dans cette routine où les échecs se répètent comme une fatalité, où la misère est vouée à un éternel recommencement et où les vices vous ramènent sans cesse à la case départ : la prostituée soutire au voleur ce qu’elle dépense chez le pourvoyeur d’opium, qui le dépensera à son tour dans le premier saloon venu. Ainsi va la vie au pays des parias, ainsi opère la logique implacable que répète en boucle les récits de Black : au bout du compte, tout le monde perd, même lorsqu’il croit triompher.
    Personne ne gagne : quand le crime ne paie pas
    Un jour, la vanité juvénile qui pousse Black à penser gagner là où tout le monde, tôt ou tard, échoue, cette prétention propre à l’inexpérience et à l’ignorance s’émousse, perd de sa certitude. Malgré son indécrottable romantisme, le truand affiche cette conscience de plus en plus lucide sur le choix de sa vocation. La perspective de devoir un jour retourner derrière les barreaux, le rythme de vie du voleur et l’angoisse des lendemains incertains le persuadent de se ranger.
    Son dernier séjour à la prison de Folsom lui apprend également beaucoup. Malade et affaibli, il n’est plus que l’ombre de celui qu’il a été jadis quand il en sort : pris de crampes et de nausées aussitôt qu’il cesse de téter la pipe à opium, leyeggpèse 55 kilos, en comptant le poids des dix dollars de monnaie qui tintent au fond de sa blague à tabac, soit les économies de trente années de vol à la tire, de braquages audacieux, de déveines et d’errances. Un retour au droit chemin ne peut alors que s’imposer. À ce point, c’est d’ailleurs une question de vie ou de mort. En 1916, pistonné par Fremont Older, une figure reconnue du journalisme américain, Black se recycle en archiviste pour le San Francisco Call, rédigeant en parallèle ses mémoires à la demande express de son bienfaiteur.
    Le crime ne paie pas. Ces conclusions sont celles d’un homme ayant fait l’expérience prolongée de la criminalité. Mais l’auteur se garde pourtant bien de moraliser à outrance : « J’aurais aimé pouvoir tirer un peu de sagesse qui aiderait les gens à aider les prisonniers », confie-t-il vers la fin de ses récits, « et les prisonniers à s’aider eux-mêmes, mais je n’en trouve pas. Je ne sais pas. Tout ce que je peux dire avec certitude, c’est que la bienveillance engendre la bienveillance, et la cruauté engendre la cruauté ». Si la délinquance relève en partie du libre choix, selon ce que donne à penser Black, et que pour cette raison il ne sera jamais possible de l’enrayer, le système pénitentiaire contribue en revanche, dans sa conception même, à reproduire et à consolider les comportements asociaux.
    Durant les dernières années de son existence, Black part en croisade contre l’institution pénitentiaire et les représentants d’une justice jugée bancale.Parmi les avocats – cordialement surnommés « rats des prisons » – les juges de paix, les auxis et les gardiens du bagne, le yegg passe souvent pour le moindre des bandits. En fait, c’est toute la philosophie du système carcéral qui est remise en question. Après avoir joué de malchance à de nombreuses occasions, Black a subi les coups de fouet, a goûté à la camisole de force et a passé un nombre incalculable de journées cloué au trou, pain sec et eau composant l’essentiel de son ordinaire. Certains passages d’un réalisme brutal montrent bien que les sévices physiques répétés transforment les forçats en animaux ; que la détention, plutôt que d’encourager une réhabilitation, contribue, par la répression et l’humiliation des prisonniers, à en alimenter la rage et le dégoût de l’ordre.
    Outre un plaidoyer de l’auteur en faveur d’une réforme du système pénitentiaire et la postface de Burroughs ajoutés en fin de volume, Personne ne gagne comporte une brève présentation de Thomas Vinau ainsi qu’une étude cursive mais éclairante de Donald Kennison. Tout cela dans le but de rendre justice à cette œuvre assez unique en son genre et à un écrivain fauché par la mort avant d’obtenir la reconnaissance qu’il méritait. La légende veut en effet qu’en 1932, Black se soit lesté les pieds avant de se balancer au beau milieu de l’Hudson pour se laisser couler. D’autres encore ont dit que son passé de malfrat avait fini par le rattraper, et qu’il aurait été tué d’une balle à bout portant, comme un certain Jesse James… Chose certaine, seule une fin aussi abrupte pouvait être à la hauteur de ce héros tragique de l’Amérique sacrifiée. D’une façon ou d’une autre donc, personne ne gagne, hormis le lecteur, hagard et pantois d’admiration devant cette haletante démonstration de savoir-faire qui se déploie sur plus de 400 pages sans ne jamais faiblir.


    1. Jack Black, Personne ne gagne, Monsieur Toussaint Louverture, trad. de l’américain par Jeanne Toulouse et Nicolas Vidalenc, Paris, 2017, 470 p. ; 21,95 $.

    EXTRAITS

    L’histoire de Frank et Jesse James fit les gros titres pendant des jours et des jours, je n’en perdis pas une miette. […] Quand l’affaire se tassa, je m’intéressai à d’autres histoires de gangsters. Je finis par ne plus lire que ça. Cambriolages, vols, meurtres… je dévorais chaque récit, fraternisant toujours avec les aventuriers, les risque-tout, les criminels.
    p. 27

    La vie nocturne me fascinait. Grant Avenue, où l’on trouve aujourd’hui les meilleures boutiques, faisait à l’époque partie du Tenderloin, un quartier dont la moindre ruelle ou allée regorgeait de bordels et de petits saloons avec dancing dans l’arrière-salle. La plupart n’avaient que ces demi-portes battantes typiques, et restaient ouverts d’un bout à l’autre de l’année. Le Tenderloin était saturé d’opium.
    p. 162

    La société représentait la loi, l’ordre, la discipline, le châtiment. La société, c’était une machine conçue pour me mettre en pièces. La société, c’était l’ennemie. Un mur immense nous séparait, elle et moi ; un mur que j’avais peut-être moi-même érigé – je n’étais pas sûr.
    p. 360

    Que m’ont apporté tous ces cambriolages, braquages, vols en tous genres ? Sur les trente ans que j’ai passés dans ce monde souterrain, j’en ai écoulé quinze en taule. Mettons que j’ai palpé cinquante mille dollars pendant que j’étais en liberté. Ça fait environ neuf dollars par jour. Combien ai-je dépensé en avocats, facilitateurs, cautions et autres faux frais ?
    p. 434

  • Ma Côte-Nord

    Ma Côte-Nord commence à Franquelin
    Souvenir d’une centaine de moyacs cancanantes
    Folles de vie-février dans un chorback
    Puis il y a Pentecôte et sa gueule de rivière
    Lieu de haute puissance pour se métamorphoser
    En truite de mer ou en flétan
    Dix kilomètres plus loin c’est Baie-des-Homards
    Et ses masses de moules et de myes
    Sans compter les crabes et les homards succulents
    Vient Port-Cartier où pour la première fois de ma vie
    J’ai pêché une morue qui frôlait les cent livres
    Avant d’arriver à la grand-ville aux sept îles bénies
    Puis aller découvrir les hallucinants embruns
    Des chutes Manitou qui n’existent nulle part ailleurs
    Même pas au Niagara ou à l’Iguazu
    C’est ensuite Sheldrake et le souvenir majeur
    De joies répandues par La grenouille et la baleine
    Que grondent les cataractes et la mer agitée
    De Rivière-au-Tonnerre jusqu’à Magpie
    Où chaque marcheur est convié
    À revivre autour d’une presqu’île
    Toute une épopée nord-côtière
    Lorsque cent chalutiers en 1920
    S’amarraient en même temps dans la baie
    Puis c’est Mingan et le pays de Rita Mestokosho
    Mon amie poète au Nitassinan
    Jusqu’aux îles de l’archipel qui naît à Longue-Pointe
    Pour dépasser Havre-Saint-Pierre la cayenne
    Là où Roland Jomphe nomma chaque monolithe
    Splendeur de l’eau salée dans les veines
    Combien de fois ai-je humé les brumes de Quarry
    De la Grande Île et de Niapiskau
    Avant de franchir la Grand-Pointe en speeder
    Pour saluer la Fausse Passe et les Betchouanes
    Et enfin toucher Baie-Johan-Beetz où l’artiste
    Chantal Harvey fait danser la mer dans ses fenêtres
    Il y a ensuite Aguanish et son Trait de Scie
    Les Magasins du Galet devant Natashquan
    Le pays du grand Gilles puis Nutashkuan
    Au mitan de toutes palpitations innues
    Jusqu’aux limites de la 138 et Kegaska
    Aux cent pêcheurs d’horizon
    Côte-Nord ma Côte-Nord
    Dans ma tête allégée
    Par tant de marées de capelans
    Je n’aurais pas si bien vécu
    Sans le vol des istorlets
    Et par les plaquebières par millions
    Dans la taïga dominée par la mer
     

    Gravure de Chantal Harvey*

     
     


    * Chantal Harvey, La mer (détail), 2018.

  • Gérald Leblanc, Lettres à mon ami américain 1967-2003

    Gérald Leblanc, Lettres à mon ami américain 1967-2003

    Le lecteur s’en souviendra : il y a quatre ans, dans ce même magazine, David Lonergan nous présentait l’œuvre poétique du « chantre de Moncton », Gérald Leblanc (Bouctouche 1945 – Moncton 2005)1.
    Rappelons quand même très brièvement le parcours du poète et animateur que Moncton va bientôt honorer d’un parc municipal à son nom. En 1959, la famille Leblanc habite Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). C’est en 1970 que l’écrivain s’installe à Moncton, ville à laquelle son nom restera associé. En 1980, il participe à la fondation des éditions Perce-Neige qui édite, l’année suivante, le premier de quinze recueils de poèmes qui seront publiés entre 1981 et 2006. En 1997 paraît Moncton mantra, son unique roman. Voyageur, conférencier, critique littéraire et musical, Leblanc s’impose au fil des ans et devient le poète acadien de référence, « non seulement un des poètes les plus importants de l’Acadie, mais aussi une présence immense, une personnalité inoubliable2 ».
    Aujourd’hui, Benoit Doyon-Gosselin et ses collaborateurs nous offrent le premier volume de sa correspondance annotée3. Les archives contiennent un millier de lettres de et à Leblanc, sans parler de son journal, des carnets et d’une multitude de textes divers, un fonds vendu à Bibliothèque et Archives Canada au début des années 2000. On verra au cours des prochaines années de quelle manière et dans quel ordre sera édité tout ça.
    Qui est l’ami américain ?
    L’ami américain, c’est Joseph-Olivier Roy (dit Olivier Roy, 1946-2003), d’origine francophone. Leblanc et lui se sont brièvement connus vers la fin des années 1950, avant de se perdre de vue quand la famille Roy quitte le Nouveau-Brunswick pour les États-Unis. Une dizaine d’années plus tard, un hasard remet Gérald et Olivier en contact. Débute entre eux une correspondance qui prend fin à la mort de Roy, au Tennessee, deux ans avant celle de Leblanc.
    Au moment de renouer, Leblanc a sans doute cru que Roy avait oublié tout son français. Cette situation initiale explique pourquoi plusieurs lettres sont en anglais. En particulier les premières. L’anglais revient de temps en temps, de moins en moins au fil des ans. Par ailleurs, on ne lit dans ce volume que les lettres de Leblanc.
    Distribution chronologique des lettres
    La répartition dans le temps est inégale. Les 92 lettres de 1967 à 1973 couvrent 340 pages ; suivent 32 lettres sur 53 pages de 1974 à 1995, inégalement réparties elles aussi : trois lettres en 1975, une seule en 1976, aucune en 1985, par exemple ; puis, à partir de 1997, quelques courriels et une lettre. Sept lettres ont récemment été retrouvées par la fille d’Olivier Roy, qui en a fait don à Doyon-Gosselin. Ce calcul sommaire indique qu’on lit principalement un Leblanc qui a entre 22 et 28 ans, un jeune écrivain parfaitement exalté, dans la fougue de sa vingtaine, un épistolier au ton enflammé.
    Ferveur juvénile
    Il a beau se dire « shut the fuck up », Leblanc ne peut fermer sa gueule, il écrit et écrit, et je ne suis pas surpris d’apprendre qu’il a « toujours aimé écrire des lettres » et que Roy n’est qu’un parmi ses nombreux correspondants d’alors : « […]une quinzaine de personnes, une dizaine de ‘Gay boys’, une lesbienne, quelques autres de ces êtres ‘normaux’ depuis les dix dernières années, si on collectionnait [sic] toute ma correspondance, il y aurait de quoi remplir 2 000 tomes au moins ». Leblanc aime exagérer, ça fait aussi partie de la personnalité de ce sympathique et infatigable épistolier.
    L’organisation des idées lui fait défaut, certes. Son décousu, le coq-à-l’âne, il ne les jugule pas encore. Il le sait mais l’enthousiasme prend toujours le dessus.
    S’il écrit énormément, Leblanc lit aussi beaucoup et inonde Roy de commentaires de lecture, de titres d’œuvres dont il lui suggère la lecture : romans, poèmes, drames, essais, d’écrivains américains, français ou québécois. Leblanc copie ou transcrit régulièrement des poèmes qu’il aime ou les textes entiers de chansons : de Marie-Claire Blais, d’Aragon ou d’Aznavour, par exemple, de même que des extraits de romans ou de comptes rendus critiques. Ce feu roulant de références ne s’éteint pas aisément.
    L’auto-ironie et l’humour irrévérencieux de Leblanc apparaissent dans les innombrables surnoms qu’il s’attribue et dont il fait suivre sa signature : on découvre « Peanuts », « la grande folle » ou « Pauline Julien in drag », « Gérald Lefou », la « putain paranoïaque », « l’énergumène », « l’Hostie crémeuse », « Gérald Piaf », parmi d’autres. Ces surnoms ne tombent pas des nues : tous indiquent une attitude, un état d’âme, son mooddu moment. Sympathique.
    Au cœur des lettres
    Les lettres parlent de son amour des livres et de l’écriture. De ses lectures, des spectacles qu’il voit ou espère voir. Des voyages qu’il va faire. De ses aspirations. Elles parlent aussi de ses amours tout court.
    Les 20 ou 25 premières (environ 150 pages !) parlent beaucoup de sa passion pour Bob, omniprésent dans le cœur et les propos de l’écrivain. On lira ainsi une très belle lettre sur Bob. C’est touchant de lire ce jeune de 22 ans écrire, à propos de son amour pour un homme de 26 ans qui habite encore chez sa mère et consulte un psychiatre : « J’ai trop vécu pour me convaincre qu’il est possible pour moi d’aller me réchauffer à un autre soleil ». Touchant de le voir glisser tout naturellement dans sa remarque le beau vers de la superbe « Dis, quand reviendras-tu ? » de Barbara.
    Les amours se succèdent. Leblanc est un amoureux compulsif. Il aime l’amour, il aime le cul et la tendresse. Ses béguins et ses amours sont en général pour des « fuckés » comme lui.
    Puis un changement survient dans sa vie tout court et dans sa vie amoureuse. À l’automne 1970, Leblanc fait part à Roy d’une énorme insatisfaction : il a 25 ans et n’a encore rien fait de sa jeune vie.
    Un changement
    De manière très sensible, en 1971, lors de son inscription à l’Université de Moncton, on observe un changement de ton et de manière. Son propos se nuance, la dégaine adolescente s’estompe. Leblanc reste fidèle à certains auteurs (Marie-Claire Blais, Réjean Ducharme, François Mauriac, Bob Dylan), il en découvre d’autres (Jacques Ferron, Gaston Miron), sans rien dire de plusieurs écrivains acadiens qu’il encense : Antonine Maillet, Raymond Leblanc, Guy Arsenault. Mais il désavoue des poètes ou des compositeurs qu’il chérissait : s’il parle de Rod McKuen en termes louangeurs en novembre 1967, en 1971 il prétend le détester « à en mourir », sans s’expliquer.
    De plus en plus, ses lettres parlent de politique et de conflit linguistique. Sa prose devient moins frénétique. Leblanc s’assagit. Il reste le Gérald Leblanc enthousiaste, le boute-en-train aux cinquante projets, mais sa phrase respire et sa pensée se clarifie. Les lettres en témoignent : style moins nerveux, propos abrégé et mieux cerné, meilleure organisation.
    Vers 1972 il commence à composer beaucoup plus sérieusement des poèmes qu’il place ou tente de placer ici et là. Assurément, l’histoire transforme Leblanc. Octobre 1970 l’a bouleversé. Il se convainc et tente de convaincre Roy que, politiquement, la révolution arrive, que deux pas séparent le Québec de son indépendance (quel démenti va lui fournir l’histoire !), que l’Acadie renaît, qu’elle va peut-être s’unir à un Québec bientôt souverain.
    L’Acadie émerge, Leblanc s’enfonce parfois. Au fil des ans, sa santé mentale le préoccupe, d’anciennes inquiétudes refont surface ou persistent : « Tu te souviens de mes problèmes de paranoïa… Que de lettres j’ai écrites pour exprimer mes angoisses, mes peurs ! En effet, ma paranoïa se porte toujours bien, mes peurs demeurent » (26 novembre 1972).
    Les lettres s’espacent : Leblanc travaille fort. Il le dit, on le comprend, sa place et son rôle dans l’institution littéraire augmentent. La consécration viendra au cours des années 1990.
    Pour finir et faire suite
    L’équipe a fait un travail colossal. Cela dit, j’aurais aimé que l’éditeur scientifique nous explique brièvement pourquoi certaines lettres s’interrompent brusquement : Leblanc les a-t-il complétées et postées ? Pour quelle raison la lettre 100 (12 janvier 1976) n’est-elle pas achevée et signée ? La lettre 94 parle d’écriture, de son journal intime et de son mode de vie ; Leblanc y propose une manière de bilan mais cette importante lettre (14 avril 1974) tourne court : j’aurais aimé une explication.
    Je souligne favorablement la publication de ce riche document, à la fois chronique historique et sociale d’une époque et aperçu endiablé sur une vie en dents de scie. En attendant la suite, on lira en parallèle le sympathique Moncton mantra4, entrepris en 1982 (voir la lettre 111), roman dynamique et pas compliqué qui relate certains des événements présents dans les lettres des années 1970, et où apparaît Xavier Roy, alter ego d’Olivier, l’ami américain.


    Merci au Secrétariat aux relations canadiennes du gouvernement du Québec pour son soutien à la promotion et à la diffusion de ce numéro.


    1. David Lonergan, « Il cherchait à rendre ‘les matins habitables’ », Nuit blanche, nº 140, automne 2015.
    2. Raoul Boudreau et Jean Morency, « Présentation » dans Revue de l’Université de Moncton, « Gérald Leblanc, multipiste », vol. 38, nº 1, 2007, en ligne sur Érudit, un numéro qu’on consultera avec profit.
    3. Gérald Leblanc,Lettres à mon ami américain 1967-2003,édition annotée préparée par Benoit Doyon-Gosselin, Prise de parole, Sudbury, 2018, 514 p. ; 32,95 $.
    4. Gérald Leblanc, Moncton mantra, Prise de parole, « BCF », Sudbury, 2012 [1997].

    Gérald Leblanc a publié :
    Emma I
    , avec Laurent Comeau (photographies), Louis Comeau (dessins et page couverture), Yvon Leblanc (photographies), Roberthe Mélanson (dessins) et Danyèle Myre (photographies), D’Acadie, 1976 ; Comme un otage du quotidien, poésie, Perce-Neige, 1981 ; Alyre, monologue théâtral, Galerie sans nom, 1981 ; Les sentiers de l’espoir, théâtre jeunesse, théâtre l’Escaouette, 1983 ; Géographie de la nuit rouge, poésie, D’Acadie, 1984 ; Lieux transitoires, poésie, Michel Henry, 1986 ; L’extrême frontière, Poèmes 1972-1988, Prix littéraire de la Ville de Moncton 1990, D’Acadie, 1988 et Prise de parole, 2015 ; La poésie acadienne, 1948-1988, avec Claude Beausoleil, anthologie, Écrits des Forges/Le Castor Astral, 1988 ; Les matins habitables, illustrations de Tristan Wolski, poésie, Perce-Neige, 1991 ; Complaintes du continent, Poèmes 1988-1992, Prix des Terrasses Saint-Sulpice, Perce-Neige/Écrits des Forges, 1993 ; Éloge du chiac, poésie, Perce-Neige, 1995 ; Méditations sur le désir, avec l’artiste Guy Duguay, livre d’artiste, Atelier Imago, 1996 ; Moncton mantra, roman, Perce-Neige, 1997 et Prise de parole, 2012 ; Je n’en connais pas la fin, poésie, Perce-Neige, 1999 ; La poésie acadienne, avec Claude Beausoleil, anthologie, Perce-Neige/Écrits des Forges, 1999 ; Le plus clair du temps, poésie, Perce-Neige, 2001 ; Géomancie, nouvelle édition de Comme un otage du quotidienGéographie de la nuit rouge et Lieux transitoires, poésie, L’Interligne, 2003 ; Techgnose, poésie, Perce-Neige, 2004 ; Poèmes new-yorkais, poésie, Perce-Neige, 2006.

    Voir aussi le long métrage documentaire de Rodrigue Jean, L’extrême frontière, l’œuvre poétique de Gérald Leblanc, ONF, 2006. 

    EXTRAITS

    Moi je cherche avant tout les grands sentiments universels : la joie, la tristesse, des grandes passions, la mort, l’amour, les enfants, la haine, etc. Dans mes moments pensifs je deviens très Jean-Jacques Rousseau, je suis avant tout humaniste.
    Lettre à JOR, 4 décembre 1967, p. 119.

    Je suis né Français et Français je mourrai. Je suis de tempérament français, je pense français, je sens français, mon cœur bat en français et c’est pour ceci qu’il est si difficile pour moi d’être entouré d’anglais à la journée, je souffre.
    Lettre à JOR, 14 avril 1967, p. 150-151.

    L’Amérique ne vaincra pas. Nous serons à tout jamais FRANÇAIS ! Tu dois être agacé de ce nationalisme fanatique, non ? Je vais t’expliquer quelque chose, mon cher (et patient) Olivier, je crie à en réveiller les morts que je maudis les Anglais, Américains, etc. parce que je suis ici à Saint John inondé d’Anglais, je suis forcé de le parler, etc. et ceci me met le feu au cul.
    Lettre à JOR, 4 mai 1968, p. 154.

    Enfin, les Anglais [du Canada] ne sont qu’une pâle imitation des Américains qui ne sont qu’une pâle imitation de ce que devrait être un être humain. Les emmerdeurs de l’humanité.
    Lettre à JOR, 20 août 1969, p. 198.

    Des alcooliques, des putains, des fanatiques religieux, des homosexuels, etc. J’ai du sang très, très vicieux qui me coule dans les veines, j’ai une hérédité chargée de passion, de haine, de débauche et de péché (remarque que je ne dis pas AMOUR, enfin drôle de race).
    Lettre à JOR, 26 octobre 1970, p. 225.

    Toutefois malgré le désir que j’ai d’écrire des romans et des poèmes et malgré mes prétentions artistiques, je demeure avant tout un individu très déséquilibré. Cette maudite paranoïa dont je souffre n’est pas « poétique » mais très « réelle».
    Lettre à JOR, 9 mars 1971, p. 243.

    J’entends des bruits dehors vers une heure ou deux du matin et je saute, je cours aux fenêtres, je me promène dans la maison comme un dingue. Je ne deviens pas fou, je SUIS fou.
    Lettre à JOR, 28 décembre 1972, p. 325.

    Ma vie sentimentale est un immense casse-tête. Ça commence à être ridicule pour un homme de 43 ans de se faire des histoires pareilles. Des hauts et des bas, mais je donnerais mon bras gauche (je suis gaucher) pour une relation avec un semblant de stabilité.
    Lettre à JOR, 27 novembre 1988, p. 433.

  • Les créatures du quotidien de Lula Carballo et Simon Brousseau

    Les créatures du quotidien de Lula Carballo et Simon Brousseau

    L’écriture peut-elle sublimer le quotidien ? Gagne-t-elle à modeler une matière aussi peu noble que le routinier défilement d’événements relevant plutôt, en réalité, du non-événement ? Et si, au fond, elle pouvait justement servir à dévoiler ce qui, à force d’habitude, échappe à notre intérêt, et par là même à la possibilité d’y jeter un nouveau regard ? Nul besoin de coups de feu pour servir une histoire, pas plus que de péripéties rocambolesques ; à lire Lula Carballo et Simon Brousseau aux éditions du Cheval d’août . . .

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  • Jean Pallu : une écriture classe moyenne ?

    Jean Pallu : une écriture classe moyenne ?

    Jean Pallu est le pseudonyme de Pierre Passeneau ; il est né le 22 septembre 1898 à Izieux et mort le 4 mai 1975 à Lyon. Sa carrière littéraire est brève et intense : il publie sept récits entre 1931 et 1936, et obtient le Prix du roman populiste en 1932 pour Port d’escale, son second roman. Il collabore à différentes revues, notamment Europe et La Grande revue.
    L’absence d’informations biographiques pr . . .

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  • Karl Marx pour aujourd’hui

    Le 200anniversaire de la naissance de Karl Marx en 2018 a donné lieu à des manifestations contrastées. Les commentaires n’ont pas manqué, pour associer l’auteur du Capital aux atrocités commises au cours du dernier siècle au nom du socialisme et du marxisme. D’autres voix ont plaidé pour un retour aux écrits et aux dires de Marx, prenant en compte la contribution du philosophe au déchiffrement libérateur de notre monde, plutôt que de lui attribuer la responsabilité d’événements en flagrante contradiction avec les horizons de sa pensée.
    Deux livres parus au cours de l’année du bicentenaire de la naissance de Marx invitent à voir dans l’œuvre du penseur allemand ce qu’elle contient réellement et non ce à quoi elle fut réduite par un certain marxisme orthodoxe. Dans son Introduction à la pensée de Marx1,Denis Collin explore avec minutie les idées maîtresses et les perspectives d’une philosophie de l’économie qui, toute visionnaire soit-elle, ne saurait tenir lieu de théorie générale et de vade-mecum pour la suite du monde. Avec Karl Marx penseur de l’écologie2, Henri Peña-Ruiz met quant à lui en lumière la pertinence de l’analyse critique du capitalisme développée par Marx pour comprendre l’incompatibilité de ce système avec la pérennité des ressources planétaires. Les ouvrages de Collin et de Peña-Ruiz ont ceci en commun qu’ils cherchent à se tenir constamment au plus près des écrits de Marx, pour révéler à la fois la complexité de sa pensée et ses implications pour aujourd’hui.
    Un projet philosophique libérateur
    Denis Collin commence son introduction à la pensée de Marx en rappelant que celui-ci est avant tout philosophe et qu’il a d’abord ébranlé les colonnes du temple en affirmant que si, jusque-là, les philosophes avaient interprété le monde, l’heure était maintenant venue de le transformer. Dès la rédaction de sa thèse de doctorat, dans la jeune vingtaine, Marx prend position pour Épicure, contre Démocrite, pour affirmer l’importance du hasard dans l’évolution du monde naturel et la possibilité du choix pour une humanité agissante. Collin montre comment par la suite Marx demeure fidèle à cette orientation initiale et remet indéfectiblement en question ce que certains avaient qualifié de lois éternelles, notamment l’exploitation de l’homme par l’homme. « Face aux ‘lois naturelles’, il affirme l’autonomie de l’individu, sa capacité à ‘résister et combattre’ et à briser les chaînes du destin. »
    Dès lors, on peut tenir pour paradoxal que certains aient fait de la pensée de Marx un matérialisme déterministe. Collin soutient en effet, en s’appuyant sur l’ensemble des écrits du philosophe, et notamment sur les Manuscrits de 1844 et sur L’idéologie allemande, que le matérialisme de Marx n’est « pas un naturalisme, mais un humanisme ». C’est-à-dire que le philosophe ne se contente pas de renverser l’idéalisme donnant la primauté à l’esprit pour le remplacer par un quelconque déterminisme de la matière, ce qui en substance serait une autre forme d’idéalisme. Le matérialisme de Marx est plutôt un regard pénétrant sur les conditions concrètes de la vie en société et des rapports sociaux. Dans cette optique, le travail, l’activité humaine productrice visant à répondre à des besoins, est une nécessité anhistorique, par laquelle le genre humain se distingue de l’ensemble du vivant. Toutefois, dans le cadre du capitalisme, le travailleur est dépossédé de son travail, aliéné, exploité, sous une forme dont on peut retracer la genèse et dont l’extinction est une possibilité réelle. Denis Collin montre ainsi que la vision de Marx est marquée au coin de l’historicité, non de la fatalité.
    Henri Peña-Ruiz repère pour sa part dans l’œuvre de Marx (et en grande partie dans celle de son ami Friedrich Engels) des analyses et des intuitions quasi prémonitoires sur l’impact destructeur du productivisme capitaliste, tant sur les populations humaines que sur les ressources planétaires. Pour Peña-Ruiz, Marx et Engels ont collaboré si étroitement tout au long de leur carrière intellectuelle, qu’il y a avantage à considérer leurs écrits respectifs comme un tout. Dans cette œuvre unique, l’essayiste recense la présence constante et la convergence de propositions fondamentalement humanistes, visant la fin de la domination de classe, une plus grande démocratie et une exploitation viable des ressources naturelles.
    L’usurpation triomphante
    Tous les partis dits « marxistes » ayant exercé le pouvoir semblent avoir radicalement ignoré le programme émancipateur et respectueux de la nature élaboré par Marx et Engels. L’objet des ouvrages de Collin et de Peña-Ruiz n’est pas d’expliquer cette aberration historique. Néanmoins, Peña-Ruiz consacre quelques pages à décrire les aspects du régime productiviste stalinien témoignant d’une totale rupture avec les idées de Marx.
    Selon Peña-Ruiz, les objectifs de la révolution de 1917 ont été rapidement abandonnés, d’abord en Russie, puis en Chine et ailleurs, « au nom de la compétition avec l’Occident capitaliste, qu’il s’agissait de ‘rattraper’ et de ‘dépasser’, par des mimétismes producteurs d’une aliénation aussi radicale que celle qui fut infligée aux ouvriers des pays capitalistes ». En lieu et place de l’appropriation collective et de la satisfaction des besoins de chacun prônée par Marx et Engels, le régime stalinien imposa des plans quinquennaux dont les objectifs strictement quantitatifs ne tenaient compte ni du bien-être de la population ni des principes écologiques élémentaires. La centralisation totalitaire du pouvoir, la répression, l’élimination des opposants, le mépris de la science et la falsification des faits, de même que les cadences de travail inhumaines, rien de cela ne peut être attribué à l’auteur du Capital.
    Certains passages de Peña-Ruiz m’ont remémoré des discussions orageuses avec un de mes professeurs d’anthropologie qui, encore dans les années 1980, n’en démordait pas de considérer l’Union soviétique comme un exemple de socialisme. Le concept de « capitalisme d’État », concernant en particulier le régime soviétique, faisait pourtant son chemin alors depuis une bonne dizaine d’années. Malgré les prétentions du Parti communiste, les preuves s’accumulaient pour montrer que les moyens de production, bien que sous contrôle étatique, profitaient à une classe dominante. Cette hypothèse était appuyée entre autres par le livre de Michael Voslensky, La nomenklatura3, lequel documentait abondamment un système de privilèges au service d’une oligarchie. Les conditions étaient déjà en place pour la transition vers un capitalisme en partie privatisé, à laquelle nous assistons depuis la chute de la fédération communiste en 1991. Mon professeur et moi étions d’accord pour juger peu enviable le système soviétique, mais nos divergences sur sa caractérisation avaient des implications profondes quant à l’attitude à adopter à l’endroit de notre propre régime socioéconomique. Beaucoup de ceux qui considéraient la Russie et ses satellites comme des modèles de socialisme y voyaient également la seule option de rechange au capitalisme. Leur logique les amenait inévitablement à voir dans nos sociétés dites de démocratie libérale le choix du « moins pire », ou même la fin de l’histoire. Au contraire, considérer le régime stalinien comme une trahison des idéaux de Marx, au-delà de la prétention de ses dirigeants, était prendre acte du mouvement réel d’une histoire imprévisible.
    Le capitalisme, un système économique non viable
    Comme il le rappelle lui-même, Henri Peña-Ruiz n’est pas le premier à mettre en évidence la vision écologique de Marx et d’Engels. Cette dimension de leur œuvre demeure toutefois méconnue et la parution de Karl Marx penseur de l’écologie arrive à point nommé à l’heure d’agir contre les changements climatiques.
    L’essai de Peña-Ruiz inventorie dans un premier temps les orientations théoriques à travers lesquelles Marx et Engels, sans mentionner le terme « écologie », n’en formulent pas moins de réelles préoccupations écologistes. On voit ensuite que ces préoccupations ne sont pas marginales, mais au cœur de la réflexion des deux philosophes, pour qui le rapport des humains entre eux et leur rapport à la nature sont indissociables. De même, l’essai montre que la critique formulée par Marx et Engels à l’endroit du capitalisme consiste fondamentalement à révéler comment les rapports sociaux de domination à l’œuvre dans le système lui permettent de nier sa responsabilité à l’égard des dommages causés par sa nature productiviste. On y voit aussi que les deux théoriciens avaient prévu la mondialisation actuelle et la nécessité d’une réponse internationale à l’épuisement des ressources planétaires. Cette réponse devait pour eux consister en une profonde révision de nos façons de produire et de consommer, pour en arriver à satisfaire les besoins humains sans s’endetter à l’égard de la planète. Peña-Ruiz conclut son ouvrage en renvoyant dos à dos le capitalisme et le prétendu communisme de type stalinien, constatant leur incompatibilité avec la poursuite viable de l’évolution humaine. Il appelle enfin à rompre avec l’illusion d’un capitalisme vert, pour adopter la perspective de l’« écosocialisme », où se rejoignent la cause sociale et la cause environnementale.
    Incidemment, à peu près au même moment où paraissaient les ouvrages de Collin et de Peña-Ruiz, un groupe de seize chercheurs de la Suède, du Danemark, du Royaume-Uni, des États-Unis, de la Belgique, de l’Australie, des Pays-Bas et de l’Allemagne publiait une mise en garde largement rapportée dans les médias4. Selon les calculs de ces chercheurs, un réchauffement planétaire de deux degrés pourrait déclencher une série de catastrophes en chaîne, dues à un « effet d’étuve » irréversible. Autrement dit, passé le point de rupture, la planète continuerait de se réchauffer et plus rien ne pourrait être fait pour inverser la tendance. Quelques jours après la publication de l’article dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences5, une journaliste de la radio de Radio-Canada demandait à un des auteurs de l’étude, le chercheur belge Michel Crucifix, si l’« économie verte » était la solution. Le scientifique expliquait alors que si l’on entend par économie verte une kyrielle de mesures comme l’utilisation accrue des transports collectifs, le remplacement des énergies fossiles par les énergies renouvelables, l’amélioration des procédés industriels et une meilleure gestion des matières résiduelles, la réponse est « non ». Pour renverser la tendance des changements climatiques, selon le chercheur, il faudra revoir fondamentalement notre mode d’exploitation des ressources et de production des biens. Karl Marx ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait que le capitalisme épuise la terre et le travailleur.
    Les ouvrages de Denis Collin et d’Henri Peña-Ruiz confirment et précisent à quel point les idées de Marx ont été simplifiées à outrance et même dévoyées par les partis marxistes. Ce faisant, les deux auteurs attirent l’attention sur des outils critiques plus utiles que jamais pour comprendre le capitalisme aujourd’hui, et s’y opposer. De plus, cela devrait inciter à un retour aux écrits du philosophe dont l’œuvre, par ailleurs, n’est pas dépourvue de qualités littéraires.


    * Détail d’une sculpture représentant Karl Marx au musée rhénan de Trèves (Allemagne) / Harald Tittel / dpa / picture-alliance / Maxppp.
    1. Denis Collin, Introduction à la pensée de Marx, Seuil, Paris, 2018, 245 p. ; 27,95 $.
    2. Henri Peña-Ruiz, Karl Marx penseur de l’écologie, Seuil, Paris, 2018, 287 p. ; 39,95 $.
    3. Michael Voslensky, La nomenklatura. Les privilégiés en URSS, Belfond, Paris, 1980.
    4. Kerry Sheridan – Agence France-Presse, « Le climat de la Terre s’approche du point de rupture », Le Devoir, 8 août 2018.
    5. Will Steffen, Johan Rockström, Katherine Richardson, Timothy M. Lenton, Carl Folke, Diana Liverman, Colin P. Summerhayes, Anthony D. Barnosky, Sarah E. Cornell, Michel Crucifix, Jonathan F. Donges, Ingo Fetzer, Steven J. Lade, Marten Scheffer, Ricarda Winkelmann et Hans Joachim Schellnhuber,« Trajectories of the Earth System in the Anthropocene », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 115, n° 33, 2008 [https://doi.org/10.1073/pnas.1810141115] (consulté le 23 octobre 2018).

    EXTRAITS

    [L]a richesse dans le mode de production capitaliste apparaît comme une immense collection de marchandises, mais la dynamique même du mode de production capitaliste entraîne une croissance continue de la productivité du travail et donc fait baisser la valeur des marchandises.
    Introduction à la pensée de Marx, p. 66.

    Ainsi les hommes sont-ils soumis à la puissance aveugle de leurs échanges. C’est de cette manière que, dans le monde fantasmagorique de la marchandise, peut se produire cette chose impensable dans les sociétés antérieures : l’abondance produit la misère.
    Introduction à la pensée de Marx, p. 81.

    Le capitaliste n’est pas un tyran personnel : il est du capital personnifié. De ce point de vue, le mode de production capitaliste est aussi l’aliénation du capitaliste en tant qu’individu humain ; sa pensée et sa volonté sont réduites au rôle de pensée et de volonté du capital.
    Introduction à la pensée de Marx, p. 87.

    Le capital n’est rien d’autre que du travail accumulé […] et c’est donc le résultat du travail productif […] transformé en travail objectivé qui se dresse face à l’ouvrier comme son maître.
    Introduction à la pensée de Marx, p. 111.

    Il faut simplement laisser de côté les rêveries romantiques de prise du Palais d’Hiver, sur le modèle de la révolution d’Octobre, et comprendre la transformation sociale comme un processus de longue durée qui ne peut reposer en dernière analyse que sur l’activité pratique des hommes libres.
    Introduction à la pensée de Marx, p. 243.

    [U]ne analyse de la différence entre deux coûts de production, l’un intégrant tous les facteurs en jeu dans le processus productif, l’autre ne retenant que le coût comptable pour le capitaliste, va être proposé par Marx dans ses différents ouvrages d’économie politique. Elle anticipe largement la notion de coût social, voire de coût humain, mais aussi celle de coût écologique.
    Karl Marx penseur de l’écologiep. 47.

    Au lieu de permettre une maîtrise authentique du rapport à la nature, cette obsession [du profit capitaliste] conduit à exploiter la nature sur un mode prédateur.
    Karl Marx penseur de l’écologie, p. 164.

    [Marx et Engels] évoquent l’exigence d’une économie de restitution qui compenserait les prélèvements effectués sur la nature.
    Karl Marx penseur de l’écologie, p. 197.

    Marx et Engels nous proposent de remonter à la véritable causalité, à savoir l’utilisation de la science et de la technique par un certain mode de production, lui-même réglé par des rapports de production définis. Et un tel diagnostic permet de condamner aussi bien l’idéologie stalinienne, qui a conduit où l’on sait, que l’idéologie libérale et capitaliste, qui externalise sans scrupule les coûts écologiques.
    Karl Marx penseur de l’écologie, p. 283.

    La révolution d’Octobre fut une promesse et un espoir pour les exploités du monde entier, mais aussi pour une demeure commune appelée Terre, oubliée par les nouveaux maîtres du monde dit communiste. L’histoire, en ses ressacs tragiques, en a décidé autrement. Tout ou presque est à refaire.
    Karl Marx penseur de l’écologie, p. 278.

  • Un essai météore

    Un essai météore

    1972. Nous sommes toujours sous le choc de la crise d’Octobre. Dans les villes les plus importantes du Québec, l’affichage en anglais tient le haut du pavé. Dans le Vieux-Montréal, ce n’est pas un hasard si St. James Street est gravé dans la pierre de façade des sièges sociaux financiers de la rue Saint-Jacques. Les francophones sont au bas de l’échelle et le pouvoir économique s’exerce en anglais. La « loi 101 » ne sera adopt . . .

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  • Dominique Fortier et le temps enfui

    Dominique Fortier et le temps enfui

    Tu sais déjà beaucoup de choses par toi-même,
    et tu en apprendras d’autres lentement.
    Pablo Neruda, Ode à Federico García Lorca


    Romancière et traductrice, Dominique Fortier a publié cinq romans en à peine dix ans
    1. Maintes fois en lice pour le Prix littéraire du Gouverneur général, soit pour une fiction ou une traduction, elle en est la lauréate en 2016 avec Au péril de la mer.
    En 2014, l’écrivaine a de plus cosigné Révolutions avec le romancier Nicolas Dickner, un ovni s’inspirant du calendrier républicain2 et fort bien reçu par la critique. Érudits et souvent facétieux, les deux auteurs se sont amusés pendant 365 jours à façonner cet objet qui tient à la fois d’un échange épistolaire, d’un journal de bord et d’une encyclopédie, recettes et commentaires sur divers films, livres et bandes dessinées inclus.
    Titulaire d’un doctorat en littérature française de l’Université McGill,Dominique Fortier est née à Québec en 1972. Elle a publié son premier roman Du bon usage des étoiles en 2008, alors qu’elle voyait poindre la quarantaine. Pour un coup d’essai, ce fut vraiment un coup de maître. Le livre a reçu le prix Gens de mer du festival Étonnants Voyageurs et a été finaliste à plusieurs autres prix3. Dès sa sortie, le roman a été remarqué par le réalisateur Jean-Marc Vallée, qui en a d’ailleurs acheté les droits d’auteur. Un début sur les chapeaux de roues, vraiment.
    Fascinant XIXsiècle
    L’auteure et sa famille partagent leur temps entre la maison de Montréal, sise à Outremont, et celle située au bord de la mer, à Scarborough, dans le Maine. Ce sera au pied des boisés du mont Royal, dans la cuisine familiale, que je rencontrerai Dominique Fortier, au milieu des jouets et des livres d’enfants.
    Accrochés au mur, des plans d’élégantes maisons du XIXsiècle ne sauraient étonner, l’omniprésence de l’époque dans l’œuvre de l’écrivaine étant connue. Seule une amoureuse de ces temps lointains pouvait décrire avec un tel réalisme l’expédition en Arctique de Sir John Franklin (1786-1847), dont l’équipage était voué aux glaces éternelles (Du bon usage des étoiles), ou trouver les mots justes pour que le lecteur puisse pénétrer en douceur dans l’intimité de la poétesse Emily Dickinson (1830-1886) (Les villes de papier).
    « Je suis fascinée par cette époque charnière qui marque les débuts de la modernité, alors qu’avaient lieu d’importantes découvertes scientifiques, mais où l’on avait encore paradoxalement un pied dans la légende. Les objets de tous les jours étaient faits par des artistes et des artisans qui avaient encore le souci des choses faites avec soin. Et puis, il me semble que le rapport au temps et à l’espace devait être différent », explique-t-elle, avec une pointe de nostalgie pour ce temps enfui.
    Que Dominique Fortier place Victor Hugo au premier rang des écrivains qu’elle admire prend tout son sens.
    Rigoureuse, elle compose avec minutie des romans exigeants. On aborde ses livres comme on se faufile dans un cabinet de curiosités dont l’inventaire serait sans cesse renouvelé, comme il en existait justement au XIXsiècle. L’information abonde dans ses livres et révèle une érudition qu’elle utilise avec maestria. Son intérêt pour la recherche semble infini. Elle se définit ainsi : « Je suis du style rat de bibliothèque, mais pas vraiment une collectionneuse car je fais rarement des recherches systématiques. Je suis davantage une butineuse, je me laisse souvent porter par l’intuition et le hasard des découvertes. C’est ainsi que je trouve des trésors » et les lecteurs aussi, pour leur plus grand plaisir.
    Destins croisés et éclairage indirect
    Les écrits de Dominique Fortier, tout en délicatesse et très peaufinés, s’apparentent à de la fine dentelle. Ils se situent entre le roman et l’essai, entre le récit historique et le carnet d’écriture. On suit deux ou trois protagonistes aux vies parallèles, mais eux ne se rencontreront jamais. Dans La porte du ciel s’entrecroisent des sudistes américains au moment de la guerre de Sécession, au milieu des champs de coton et des bayous de la Louisiane, ou dans les humbles cuisines de l’Alabama où naissaient et naissent encore d’historiques courtepointes. Le passé et le présent se répondent dans Les larmes de saint Laurent, de l’éruption de la montagne Pelée aux flancs du Vésuve, jusqu’aux sentiers du mont Royal.
    Les derniers romans de l’écrivaine se font plus personnels, à mi-chemin entre fiction et autobiographie. Dominique Fortier se met en scène et décide d’écrire au « je ». « Il y a souvent des destins croisés dans mes livres, oui, mais rarement de récits en miroir ou symétriques dont les échos ou les correspondances sont très évidents ; ce que je cherche à faire, c’est éclairer d’une lumière oblique le sujet dont je parle plutôt que de l’aborder d’un angle unique. » Elle insiste : « les différentes parties de mes récits se répondent par nécessité, non pas par hasard ». Elle a fait siens les conseils d’un de ses anciens professeurs de création littéraire qui rappelait aux étudiants ce que disait Yvon Deschamps avec humour : « On ne veut pas le savoir, on veut le voir4 ». Elle croit par ailleurs à l’importance de permettre au lecteur de forger son idée propre : « Un texte littéraire, c’est un ensemble de points dans un ciel noir. Les étoiles sont les mêmes pour tout le monde, mais il appartient à chaque lecteur de tracer des lignes pour former ses propres constellations ».
    Étapiste de haut vol, l’auteure noircit d’abord à la main les pages de ses petits cahiers et les copie ensuite à l’ordinateur. Après les avoir imprimées, elle les découpe, en étale les pièces sur le plancher et commence à assembler son histoire. Un peu comme pourrait le faire un monteur de film. « Je ne sais pas s’il y a beaucoup de romanciers qui travaillent comme ça », se demande-t-elle. Dans Les villes de papier, elle prête son processus créatif à Emily Dickinson. « Elle pose [ses poèmes] par terre, côte à côte, sans qu’ils se touchent, comme les morceaux d’un gigantesque casse-tête. »
    La mer, ma maison
    Thème récurrent, la mer et les grandes eaux animent chacun des romans de Dominique Fortier, d’abord l’Arctique et la mer chaude des Caraïbes dans les premiers livres ; ce seront ensuite les méandres du Mississippi, la baie mythique du Mont-Saint-Michel et, enfin, les plages de la Nouvelle-Angleterre dans les romans suivants. Ses histoires se déclinent avec la puissance des eaux en arrière-scène. Elle reconnaît être une « grande amoureuse de la mer » : « Ma vraie maison, c’est la mer ». On comprend pourquoi le prix Gens de mer l’a autant touchée, ce prix « dont le jury est composé d’explorateurs, de capitaines de bateau et de navigateurs au long cours ».

    Photo : Sophie Gagnon-Bergeron

    Elle avoue cette passion et s’y adonne avec plaisir quand la famille s’installe dans son refuge d’Higgins Beach, là où depuis 1897 se désagrège lentement un navire échoué sur la plage, aujourd’hui envahie par d’habiles surfeurs. Elle écrira à Nicolas Dickner dans Révolutions : « Une petite maison grise se dresse, droite et haute, bordée de blanc, toute seule devant un marais. Les cormorans font sécher leurs ailes noires au soleil d’octobre ».
    L’enfant timide et solitaire qu’elle était, celle qui lisait « de manière boulimique, quasi pathologique », passait ses étés sur les plages du Maine et est restée imprégnée du vent du large. Sa petite enfance s’était pourtant déroulée à Cap-Rouge, sans vue sur le fleuve, mais ce sont les espaces infinis qui l’attirent. « J’ai un grand besoin de liberté », confie-t-elle. « Je n’ai jamais pu demeurer enfermée dans un bureau, faire ‘du 9 à 5’ ».
    Avant de plonger dans l’écriture d’un premier roman, Dominique Fortier a longtemps été pigiste et a occupé des emplois appartenant « aux métiers du livre » : libraire, éditrice, traductrice ou commis de bibliothèque. Elle est demeurée fidèle à ce qu’elle a toujours vu et fréquenté dans une maison familiale pleine de livres, en compagnie d’un père bibliothécaire et d’une mère enseignante.
    Les livres sont toute sa vie. « J’avais pourtant peur de l’écriture, comme je craignais la maternité ; le seul fait d’écrire me terrorisait, il existe déjà tant de chefs-d’œuvre, comment oser ajouter quoi que soit à cela ? D’autre part, je n’étais pas certaine d’être capable de me mettre entièrement au service de quelqu’un, même s’il s’agissait de mon propre enfant », raconte-t-elle. « Devenir mère a pourtant été la plus belle chose qui me soit arrivée, et j’y ai trouvé un nouveau centre de gravité. Quand on a un enfant, il y a un renversement complet qui s’effectue. Tout à coup, on n’est plus au centre de son univers ; c’est de l’ordre de ce qui s’est produit, au Moyen Âge, quand on a cessé de croire que la Terre était au centre du monde et qu’on a commencé à concevoir qu’elle tournait plutôt autour du Soleil – l’un des bouleversements fondamentaux qui guettent les personnages d’Au péril de la mer », confie-t-elle en souriant.
    Comme une bouteille à la mer
    Dominique Fortier vogue présentement en eaux calmes. Elle est encore étonnée d’avoir été préférée à des finalistes qu’elle admirepour le Prix littéraire du Gouverneur général 2016. Au Québec, en France ou traduits au Canada anglais, ses livres se vendent bien. Petit plaisir et non le moindre, elle goûte sa récente victoire auprès de Grasset qui publiera Les villes de papier en 2020. « J’ai réalisé un rêve de petite fille, celui d’être publiée par une des grandes maisons françaises. Comme une bouteille à la mer, j’ai envoyé moi-même le manuscrit sous pseudonyme à Gallimard et à Grasset. Ce dernier l’a accepté sans intermédiaire, sans agent, sans être influencé par ce que j’avais ou n’avais pas fait. » Seule la qualité de son texte a parlé et là réside tout le mérite de Dominique Fortier.


    1. Tous publiés chez Alto : Du bon usage des étoiles (2008) ; Les larmes de saint Laurent (2010) ; La porte du ciel (2011) ; Au péril de la mer (2015) ; Les villes de papier (2018).
    2. Créé pendant la Révolution française, le calendrier républicain ou calendrier révolutionnaire français a été utilisé de 1792 à 1806.
    3. Prix littéraire du Gouverneur général, Prix des libraires du Québec, Grand prix littéraire Archambault et prix Senghor du premier roman francophone.
    4. Yvon Deschamps, monologue Cable TV(1970).
    5. Martine Delvaux, Anaïs Barbeau-Lavalette, Daniel Grenier et Hugues Corriveau.
     

    EXTRAITS

    Il y aura demain trois ans que nous avons quitté Greenhithe. Nous aurons fait trois fois le tour du soleil, et serons en même temps restés cruellement immobiles.
    Nous avons monté une tente où nous laisserons ceux qui ne peuvent plus avancer. Nous y avons passé une dernière nuit avec eux avant de nous remettre en route, avec l’impression – juste, trop juste – de veiller un agonisant qu’on abandonnera le matin à la mort qui le guette.
    Du bon usage des étoiles, p. 330.

    « Très chère, comment vous portez-vous ? Ah, mais vous avez une mine superbe ! » [… ] « Quelles sont les nouvelles ? » Lady Jane répondait sans s’émouvoir que les navires devaient avoir cartographié depuis longtemps le détroit de Lancaster, ou même découvert l’entrée du Passage, qu’ils avaient sans doute fait halte pour l’hiver dans une baie protégée pour compléter leur mission l’été venu. On s’éloignait en murmurant : « Quelle femme. »
    Du bon usage des étoiles, p. 104.

    Isolées, elles n’étaient que lambeaux de mouchoir ou de chemise, morceaux de drap, bouts de tenture, guenilles et haillons. Ensemble, elles formaient des cabanes et des paysages, des champs sous le soleil, des nuits étoilées, des arbres lourds de fruits, des rivières sinueuses. […] Après des jours, voire des semaines passées à découper, à assembler puis à piquer, elle avait en regardant la courtepointe l’impression étrange qu’elle avait toujours existé, ou du moins qu’elle était depuis la nuit des temps destinée à apparaître sous cette forme exactement.
    La porte du ciel, p. 71.

    La Pelée depuis peu s’était mise à grommeler, d’abord presque imperceptiblement, puis de plus en plus fort, jusqu’à ce que personne ne puisse plus l’ignorer, mais sans que quiconque sût dire exactement quand cela avait commencé. Dans les rues, dans les chaumières comme dans les maisons élégantes, dans les clubs privés et jusque dans les salles dorées de la résidence du gouverneur, aux étals du port, sur les navires qui gagnaient ou quittaient l’île, on commentait avec intérêt mais sans grande crainte les manifestations de la montagne comme on l’aurait fait d’un quelconque phénomène météorologique […] rare mais non pas exceptionnel.
    Les larmes de saint Laurent, p. 30.

    Peut-être suis-je puni pour avoir voulu représenter la vie – péché d’idolâtrie doublé de celui d’orgueil. Tels les Hébreux pétris d’arrogance se prosternant devant le veau d’or qu’ils avaient façonné. Cela m’est apparu ce matin comme une évidence. Seul un fou peut vouloir regarder le Soleil dans les yeux. J’étais pis que fou : j’étais amoureux et j’étais jaloux.
    Au péril de la mer, p. 133.

    Dans la bibliothèque d’Emily, les livres s’alignent comme des soldats à l’attention. L’un renferme des oiseaux, un autre des coquillages. En ouvrant un troisième, on découvre le système solaire entier : Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne et Uranus. Il y a les œuvres complètes de Shakespeare. La Bible, qui contient toute la Vérité.
    Sa chambre abrite tout cela et bien plus, car rien n’a été dit des cahiers aux pages blanches qui attendent tout ce qui n’existe pas encore – les oiseaux, les arbres et les planètes qui peuplent son crâne, cette autre chambre secrète.
    Les villes de papier, p. 30.

    Quand ses tiroirs se mettent à déborder de poèmes épars […], Emily entreprend de les rassembler en petits volumes. Pour ce faire, elle commence par les étendre sur son bureau de façon à les voir tous à la fois. La surface de bois est bientôt recouverte. Elle se lève, en dispose quelques-uns sur sa chaise, puis sur le manteau de la cheminée, avant de se résoudre à les poser par terre, côte à côte, sans qu’ils se touchent, comme les morceaux d’un gigantesque casse-tête. Les poèmes envahissent la chambre.
    Les villes de papier, p. 176.

    Dernière journée à la mer peut-être avant la neige. Quand nous arrivons dans le Maine il flotte sur les champs une lumière dorée, aussi épaisse que le miel, de ces atmosphères ambrées qui font le sfumato du lointain des tableaux de la Renaissance.
    Sur la plage, deux trois promeneurs et leurs chiens, des cailloux semés sur le sable et partout des rubans, des frises, des dentelles d’algues noires, rousses et vert bouteille. De longs rouleaux fauves se dévident, humides et caoutchouteux, près de touffes pâles qui ressemblent à de minuscules anémones. Des cloques pleines d’eau accrochent la lumière et flamboient un instant dans le soleil, translucides, comme la chair farcie de pépins de quelque fruit des tropiques.
    Révolutions, p. 67.

     
     

  • La passion de l’altérité

    La passion de l’altérité

    Curieuse, passionnée, assoiffée de découvrir, de comprendre, de connaître, de partager et de transmettre, Aline Apostolska est aussi une grande voyageuse. Polyglotte – elle parle français, anglais, espagnol, croate et macédonien–, elle a publié une quarantaine de livres en trente ans, en France puis au Québec, dont certains sont traduits. L’auteure d’Ailleurs si j’y suis fait aussi voyager ses lecteurs du Vietnam en Inde en passant par Londres, La Havane, Paris ou Oulan-Bator, et les entraîne au cœur des multiples univers qui la font vibrer . . .

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  • Pourquoi a-t-on décerné le prix Nobel à Bob Dylan ?

    Pourquoi a-t-on décerné le prix Nobel à Bob Dylan ?

    Bob Dylan s’est vu décerner le prix Nobel de littérature le 13 octobre 2016, « pour avoir créé de nouvelles expressions poétiques dans la grande tradition de la chanson américaine1». On pourrait croire que l’Académie suédoise récompensait davantage le parolier et le chansonnier que le chanteur ou le musicien, ou que la création l’emportait sur la performance ; mais en fait, toutes ces composantes – paroles, musiques, chants et sonorités – forment un tout indissociable.
    Cette annonce créait un précédent : Dylan est le premier auteur-compositeur am . . .

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  • Yvon Rivard : entre l’aube et le crépuscule

    Yvon Rivard : entre l’aube et le crépuscule

    « Je suis né, m’a-t-on dit, à la fin de l’été, d’un père qui croyait que c’était le matin et d’une mère pour qui c’était le crépuscule, dans un rang qui n’avait pas de nom propre… » C’est en ces termes qu’Alexandre, le narrateur qu’on retrouve d’un roman à l’autre dans l’œuvre d’Yvon Rivard, évoque sa naissance. Comment, dès lors, ne pas chercher à comprendre qui l’on est, quelle est notre place dans le monde ? Comment ne pas se sentir happé par le monde . . .

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  • Ancrer l’éphémère : la collection « Écrits Chroniques »

    On sait bien que le rapport à l’écriture est différent lorsque l’auteur doit s’astreindre au rythme particulier des médias, à leurs contraintes d’espace et de temps et à leur objectif, qui est de s’inscrire dans la plus grande proximité qui soit avec l’actualité. Même celles et ceux qui ont, parmi la grande famille du journalisme, plus de liberté dans le style, dans le ton et dans les opinions subissent ces mêmes contraintes qui nous poussent souvent à affirmer que l’écriture journalistique a une portée éphémère. 
    Pourtant, certains éditeurs . . .

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  • Mémoires d’un auditeur ivre

    Mémoires d’un auditeur ivre

    « N’y aurait-il plus rien à tenter dans ce pays ? Ne doit-on pas fournir un dernier effort,
    une dernière goutte de sang avant de se résigner à la fin de tout ? »
    François Hertel, Le beau risque, 1939

     
    Oui, ivre. Ivre de voir et de savoir. De voir l’origine du langage. De savoir les tenants et aboutissants des mots. De tous les mots. Surtout de ceux jamais prononcés car leurs anciennes racines restent de travers dans la gorge ou dans un étrange et inextricable réseau historique . . .

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  • Les leçons de Patronio

    Les leçons de Patronio

    Dans le cadre de Québec, ville de littérature UNESCO, Nuit blanche vous propose des nouvelles provenant de deux autres villes de littérature UNESCO : Grenade et Barcelone. Ces textes, présentés par Louis Jolicœur et traduits par Tamara Djurica, font partie d’un projet plus large, l’objectif à terme étant de voir des auteurs d’ici également traduits et publiés dans des revues des villes participantes. Dans cette première livraison, nous vous proposons la nouvelle « Les leçons de Patronio » d’Alejandro Pedregosa.
    Cette nouvelle est tirée du recueil O, encensé par la critique espagnole, qui y a vu, au moment où l’ouvrage recevait le Prix de la critique andalouse pour la nouvelle, une sorte de pastiche des contes du Moyen Âge proposant une réflexion postmoderne sur les limites de la monarchie, à partir notamment du chef-d’œuvre de la littérature espagnole médiévale « Libro de los enxiemplos del Conde Lucanor y de Patronio » (« Le livre des leçons du Comte Lucanor et de Patronio ») – d’où l’allusion au personnage principal de notre nouvelle. Cette histoire vient de plus loin encore, puisque le conte espagnol tire son origine de la saga hindoue du Pañchatantra, voire des fables d’Ésope lui-même, qu’Alexandre a fait connaître en Orient, et qui, de l’Inde à la Perse, jusqu’à l’Europe ensuite, aura inspiré nombre d’auteurs au fil des siècles, La Fontaine en étant sans doute le plus célèbre émule.

     
    Le monarque demeurait recroquevillé et en pleurs dans le coin le plus sombre de la salle. En même temps qu’ils observaient son angoisse royale, les domestiques lui jetaient d’exquis mouchoirs brodés afin qu’il essuie les larmes et sécrétions variées qui lui coulaient du menton jusqu’à la poitrine.
    Dans la rue, un tumulte de voix clamait d’incompréhensibles slogans d’indignation. Les cris s’immisçaient dans les fissures du palais et provoquaient des spasmes soudains chez le monarque, scène que les domestiques observaient avec pitié et honte.
    Cela avait commencé vers les trois heures de l’après-midi, alors que la clameur, qui maintenant faisait claquer les fenêtres, n’était qu’une faible rumeur à peine audible. Le roi n’était pas un homme intelligent. Cependant, il avait un sens aigu de la survie : dès lors que la foule eut convergé vers l’esplanade du palais, il dit ces mots à un conseiller :
    « Ces fils de putes viennent me tuer. Je ne leur ai rien fait mais je sais qu’ils veulent me tuer. »
    Un gendarme royal se rendit aussitôt sur les lieux pour demander aux gens rassemblés les raisons qui les avaient amenés jusqu’aux environs du palais. Un de ceux qui semblaient toujours avoir le dernier mot confirma sans détours les soupçons du monarque : effectivement, ils étaient ici pour le tuer.
    La première réaction du roi fut d’envoyer les troupes contre les révoltés, mais durant le court moment que prirent les soldats pour s’équiper, l’esplanade s’était remplie de centaines de milliers de personnes ; le grand amiral n’eut d’autre solution que de reconnaître son incapacité à abattre tant de gens d’une seule traite et sans espace aucun pour commander convenablement ses troupes. C’est à ce moment-là que le roi se mit à être nerveux, même si son statut lui interdisait une quelconque marque de faiblesse.
    « Réunion urgente du conseil », prononça-t-il.
    Et le conseil se réunit, malgré le fait que l’urgence était relative, puisque ce jour-là, certains membres de l’élite royale se trouvaient loin de la Cour, et le Conseil dut attendre jusqu’à sept heures du soir avant que le roi n’entende les premiers avis.
    La discussion fut brève. Ils reconnurent promptement la gravité de l’affaire et résolurent d’agir avec toute la prudence et la rigueur nécessaires. Ils envoyèrent quelques messagers pour trouver qui, parmi la foule, étaient les chefs de l’insurrection. Le roi désirait parlementer avec eux, connaître leurs demandes et y répondre le plus rapidement possible. La priorité restait de calmer le bruit ambiant, plein de danger, qui venait de l’esplanade, et d’apaiser les esprits autant que faire se pouvait. Une fois que les chefs seraient à l’intérieur du palais, ce serait plus facile. Il suffirait d’accepter leurs propositions et de les encourager à prendre en charge eux-mêmes les réformes nécessaires, c’est-à-dire leur offrir une place dans l’administration du royaume, un poste flou mais bien rémunéré. Puis, la foule calmée, le temps et la nature humaine feraient le reste.
    Cependant, et contre toute logique historique, les émissaires du roi revinrent au palais avec un message aussi gênant que catégorique : « Les chefs disent qu’ils ne sont pas venus pour parlementer avec le roi, mais bien pour le tuer.
    – J’emmerde la putain de mère qui a mis au monde ces fils de pute », s’écria le roi.
    Les conseillers comprirent alors que le monarque commençait à perdre les pédales, mais personne ne dit rien puisque, au même moment, un bourdonnement assourdissant fit irruption en pleine séance plénière, laissant l’assemblée livide et ahurie. Le maréchal s’approcha de la fenêtre et eut la confirmation que la foule avait complètement arraché les grillages royaux de style baroque et qu’elle pénétrait, lentement mais sûrement, dans la cour d’armes du palais. La garde, n’osant ni fuir ni se confronter à la masse, se laissait tout simplement engloutir.
    Les désertions débutèrent avec le départ de don Candido, un marquis marchand d’esclaves et compagnon d’escapades juvéniles, qui une fois accomplie la génuflexion d’usage, prétexta une douleur soudaine qui l’envoyait tout droit au cabinet d’aisance.
    Ce fut au tour du maréchal d’abandonner la salle, se rappelant soudain un ordre urgent à donner aux troupes et dont il ne se pardonnait pas l’oubli. Et c’est ainsi que disparurent également le recteur de l’université, le duc de Mantoue, le penseur de Cathédrales, le chambellan ainsi que l’évêque lui-même qui, de nature prévoyante, vola au majordome le bâton avec lequel ce dernier annonçait les nobles invités, au cas où il rencontrerait durant sa fuite un de ces énergumènes et qu’il aurait à se défendre au nom du Christ.
    Seuls les domestiques demeurèrent à leur poste.
    Le monarque, abandonné et fébrile, se leva de son trône et marchant le dos tourné et les jambes tremblantes jusqu’à ne plus pouvoir se tenir debout, tomba par terre comme un pauvre animal faible et malade. Les domestiques s’approchèrent pour l’aider mais il rejeta les mains qu’ils lui tendaient et continua de ramper vers l’arrière, jusqu’au coin le plus sombre qu’il pût trouver.
    Le bruit menaçant de l’émeute montait par les pierres du palais et obligeait le roi à se boucher les oreilles. Quel supplice inconnu pensaient lui infliger ces hommes sans âme ? Combien de temps résisteraient les portes massives du palais ? Une heure ? Une demi-heure peut-être ?
    C’est alors que, face à l’idée de la mort, lui vint un éclair de génie : il se souvint de Patronio.
    Patronio.
    Le nom lui était venu à la bouche comme on se souvient d’un poème de son enfance. Patronio, répéta-t-il. Vivait-il toujours ? Peut-être bien que oui. Il crut se rappeler que quelqu’un, peu de temps auparavant, lui avait parlé de l’incroyable longévité de cet ancien conseiller de son arrière-grand-père qui, miraculeusement, vivait toujours dans ses appartements, tout ratatiné et immobile comme une vieille tortue.
    « Patronio ! cria-t-il, en même temps qu’il essuyait ses diverses sécrétions avec sa manche. Amenez-moi Patronio. »
    Les domestiques mirent un temps à déchiffrer les désirs du roi. Bien sûr, ils avaient entendu parler d’un vieil immortel qui habitait une salle retirée du palais, mais ils ne s’imaginaient pas qu’il s’agissait d’autre chose que d’une légende.
    « Dépêchez-vous, bande de connards, ma vie dépend de lui », dit le roi.
    Vingt minutes plus tard, au moment où la plèbe rassemblée et grouillante avait presque défoncé la porte de l’entrée du palais, les domestiques apparurent portant dans les airs quelque chose qui avait l’allure d’un homme, mais qui, en réalité, n’était rien de plus qu’un morceau de cuir desséché. Patronio avait tellement rétréci qu’il n’était pas plus haut que trois pommes. Les domestiques durent donc le soulever pour que le roi puisse lui parler à hauteur de visage.
    « Je suis en danger, Patronio. J’ai besoin d’une de tes leçons, la meilleure de toutes. »
    Le vieil homme bougea légèrement, d’un tremblement à peine perceptible, comme s’il revenait d’un rêve ancestral.
    « Et toi, qui es-tu ? » demanda-t-il au roi d’un filet de voix quasi inaudible.
    Une lueur de déception traversa les yeux du roi, mais il se ressaisit rapidement. Patronio représentait son salut, son unique salut.
    « Je suis le roi, ton seigneur et à l’heure qu’il est, une horde de fils de putes monte les escaliers, ils veulent m’empaler, me brûler et danser autour de ce feu de joie pendant que moi, j’exécuterai le chant funèbre. J’ai besoin d’un conseil, vieux Patronio, un ultime conseil qui sauvera ton seigneur. »
    Les mots furent si sincères et dramatiques qu’ils remuèrent intérieurement ce petit homme sec, faisant en sorte qu’il ouvrît les yeux pour la première fois. Mais personne ne pouvait dire si cette intensité bleue que jetait son regard était due à la cécité ou si c’était la seule lumière vivante qui irradiait de son intérieur.
    Patronio demanda à ce qu’on le remette au sol.
    « Connais-tu l’histoire du Maure qui se maria à une reine… ?
    ‒ Non, l’interrompit le roi, le cœur tout agité par l’urgence de la situation. Je ne suis pas celui qui a besoin de tes histoires. Je sais bien ce que je veux, Patronio, je veux continuer à vivre et à régner. Tu n’as pas à me convaincre de quoi que ce soit. Je t’ai fait venir pour que tu parles avec eux – et il pointa en direction de la porte –, là d’où venait la clameur devenue maintenant une évidence. C’est eux que tu dois convaincre, eux à qui tu dois raconter ton histoire. »
    Cela paraissait improbable, mais du visage de Patronio, presque entièrement effacé par le temps, surgit un demi-sourire édenté, si plein de complicité et d’intelligence que le roi n’eut point besoin d’expliquer davantage, et pour la première fois depuis le début des événements qui avaient commencé vers les trois heures de l’après-midi, le monarque ressentit un souffle d’espoir.
    « Amenez-moi parmi la multitude », demanda Patronio d’une voix rétablie.
    Les domestiques le portèrent de nouveau ; ils l’amenaient vers la porte.
    « Non, les arrêta le vieux. Je n’ai pas dit de m’amener devant la multitude mais bien parmi elle. Sortez-moi par un endroit d’où ils ne pourront pas me voir de face. Je veux faire partie d’eux, être eux. »
    Pendant qu’ils le sortaient par une porte latérale, le roi s’effondra encore un peu plus dans le même coin obscur de la salle, les mains jointes en une profonde prière.
    La terrifiante masse achevait de faire tomber l’une des dernières portes et s’apprêtait à monter par l’escalier de marbre blanc qui donnait sur les chambres royales, lorsque, du vacarme général, s’élevèrent quelques mots à la fois si durs et si sereins qu’ils provoquèrent, bien mystérieusement, un silence inattendu.
    « Voulons-nous vraiment tuer le tyran ? »
    La multitude tourna la tête dans toutes les directions, jusqu’à ce qu’elle trouvât le petit homme qui avaient prononcé ces mots. Patronio répéta :
    « Voulons-nous vraiment tuer le tyran ? »
    Un murmure d’incompréhension courut parmi les révoltés.
    « Que veux-tu dire, vieillard ? » dit un homme chauve en s’avançant d’un pas.
    Patronio arqua les sourcils et haussa ses frêles épaules.
    « Je ne sais pas, c’est seulement une question que je me pose. Je suis si vieux que je ne peux même pas calculer mon âge. Je suis peut-être celui qui a le plus de raisons parmi vous tous d’en finir avec le tyran, et c’est avec cette intention que je me suis joint à cette armée d’hommes libres… » Il fit une pause afin de mesurer l’intérêt que ses mots suscitaient sur l’auditoire. Lorsqu’il se fut assuré qu’il avait capté l’attention du public, il continua.
    « Cependant, je me demande… Je viens de me souvenir d’un homme que j’ai connu il y a de cela plus de cent ans et dont l’histoire m’a fait m’interroger sur le bien-fondé de tuer le roi.
    – Raconte-nous cette histoire, vieillard, dit une voix au loin, sortie de la multitude.
    – Nous n’avons plus de temps pour les histoires, répliqua une autre voix tout aussi lointaine. Nous devons tuer le tyran. Après nous aurons tout notre temps pour nous régaler d’histoires et de vin, quand nous aurons ravagé les caves du palais. »
    Patronio leva sa main tremblante avec un effort évident.
    « Cela ne durera qu’un moment, dit-il. Si, après m’avoir écouté, vous continuez toujours de penser que la meilleure chose à faire est de tuer ce chien, alors, je vous en prie, laissez-moi lui jeter la première pierre, mais avant, écoutez mon histoire. »
    La masse s’entassa autour de cette petite figure qui commença à parler avec une curieuse fraîcheur juvénile.
    « L’homme dont je vous parle était un simple commerçant qui avait hérité d’un esclave. Cet héritage lui venait d’un frère militaire qui avait fait les croisades et qui, de là-bas, avait ramené un gigantesque Maure avec un monosourcil, qui exécutait fidèlement tous ses désirs. Le commerçant, à la différence de son frère, était un homme d’une grande simplicité et n’avait nul besoin de plus de services ni de luxe au-delà de ce qu’il pouvait se procurer lui-même. C’est ainsi qu’il mit aux fers l’esclave et le fit prisonnier dans la cour de sa maison, jusqu’à ce qu’il trouvât quoi faire de lui.
    Les jours passaient et le commerçant ne savait toujours pas comment utiliser cet héritage fraternel. Lorsque la journée avait été fructueuse et que les pièces d’argent cliquetaient dans son sac, le commerçant versait le vin et invitait le Maure à boire avec lui pour célébrer ses succès. Cependant, les jours funestes où les dettes l’emportaient sur les maigres revenus, le commerçant retournait à la maison, furieux, et avec un bâton fait de bois de noisetier, il frappait le dos poilu du Maure qui implorait en pleurs la pitié de son maître, que ce dernier ne lui accordait que lorsqu’il tombait évanoui par l’effort.
    Ainsi, l’esclave apprit à vivre dans l’humiliation, souffrant comme les siens propres des échecs commerciaux de son maître, priant avec dévotion que la prospérité dont dépendait son futur fût obtenue au quotidien.
    Malheureusement pour lui, un soir pluvieux de mars, le commerçant revint à la maison le visage sombre et pâle. En une transaction, il avait perdu tous les gains de la dernière année. Il s’enivra seul tout en observant la peur croître dans le regard de l’esclave. Une fois la bouteille vidée, il prit le bâton et s’acharna sur le corps du Maure jusqu’au petit matin. En un sens, c’était un acte inutile puisque l’esclave avait déjà rendu l’âme après les deux premières heures de torture. Lorsque le commerçant comprit qu’il était en train de martyriser un corps mort, il ne ressentit pas de soulagement. Bien au contraire.
    Ce même matin, il abandonna sa maison pour ne plus jamais y revenir. »
    Un silence inquiétant s’installa dans les escaliers du palais. La volonté criminelle restait suspendue dans les airs, mais pour la première fois elle était muette.
    « Et pourquoi le commerçant est-il parti ? Lança une voix anonyme, pendant que Patronio se grattait du doigt son crâne sec.
    – Parce qu’il avait compris qu’en tuant l’esclave, il avait en même temps tué sa propre liberté…Il avait arrêté d’être un homme libre. »
    Un murmure d’incompréhension se resserra autour du vieil homme, qui se dépêcha de s’expliquer :
    « Un homme libre est celui qui peut agir selon son bon vouloir, sans s’arrêter aux lois et aux commandements. Il peut humilier quand il veut et être compatissant et magnanime si le cœur lui en dit. C’est pour cette raison que je me demande si nous ne serions pas plus libres en gardant le tyran vivant plutôt qu’en lui enlevant la vie.
    L’homme chauve, qui avait écouté l’histoire de Patronio avec beaucoup d’attention, s’avança un peu plus et dit :
    « Ce n’est pas mal, ce que tu racontes, vieil homme, et le conseil que tu nous donnes est assez sage. Mais il te faudrait remarquer la confusion des termes dans cette affaire. L’homme que nous voulons tuer n’est pas notre esclave, mais bien tout le contraire. C’est lui le commerçant tortionnaire et nous les Maures torturés.
    Une clameur de voix désordonnées s’apprêta à lui donner raison. Patronio attendit que la rumeur se calmât.
    « Vous croyez ? dit-il doucement, levant un bras tremblant en signalant la dernière porte qui restait à ouvrir, derrière laquelle se trouvait le monarque. Je crois que nous devons entrer dans cette chambre et nous trouver face à face avec le tyran. Alors, lorsque nous le regarderons dans les yeux, nous saurons sans contredit si nous nous trouvons devant le commerçant ou l’esclave. »
    La masse salua la proposition du vieillard, peut-être amusée par ce divertissement inespéré qui retardait sa soif criminelle. Patronio fit un geste et aussitôt la foule s’entassa pour le laisser passer. Le vieillard tendit la main à l’homme chauve et lui dit :
    « Allons-y. »
    À mesure qu’ils avançaient, la colonne humaine se refermait dans leur dos. Quand ils se trouvèrent devant la porte, l’homme chauve tourna la poignée sans aucune difficulté. Une fois la porte poussée, une salle magnifiquement décorée se présenta à la multitude, salle au milieu de laquelle se trouvait un fabuleux fauteuil en or, vide : le trône.
    Tous les yeux cherchaient la figure du roi avec une excitation tangible. Durant quelques secondes, une sorte de découragement se propagea parmi tous ceux qui étaient présents. Ce n’est que lorsque le roi lui-même renifla bruyamment qu’ils remarquèrent qu’il y avait une masse informe dans un coin sombre de la pièce.
    « Là-bas », dit quelqu’un, mais personne ne s’aventura à avancer jusqu’à ce que Patronio et l’homme chauve n’aient décidé de s’approcher.
    Lorsque la foule se trouva devant le roi, elle ne put voir autre chose qu’un pantin souillé de bave, de pleurs et de sécrétions nasales.
    « Et à vous de juger maintenant si ceci est un roi ou un esclave », dit Patronio. Et avec une curieuse agilité, qu’on n’aurait jamais imaginé pouvoir provenir d’un corps comme le sien, il donna un coup de pied aux parties les plus nobles et royales.
    Le roi se contracta de douleur mais il comprit au même moment qu’il était à un pas d’avoir la vie sauve, chose impensable quelques instants plus tôt. Il décida alors de rajouter une touche dramatique à ce merveilleux moment : même s’il ne savait pas exactement ce que les gens lui reprochaient, il rampa jusqu’aux pieds de l’homme chauve et au travers de ses larmes, marmonna :
    « Je suis désolé. J’ai fait une erreur. Cela ne se reproduira plus. »
    La foule qui s’entassait dans la salle resta sans voix devant ces paroles jamais entendues auparavant.
    Le chauve se pencha pour soulever d’un geste brusque de la main le roi tout tremblant. Il l’observa avec dégoût pendant plus d’une minute : les joues rougies de larmes, les yeux fuyants et les vêtements mouillés par la peur.
    Il éclata d’un rire tonitruant en même temps qu’il projetait le corps du monarque contre le mur.
    « Un esclave, cria-t-il sans arrêter de rire, un maudit esclave. Notre esclave ! »
    Un brouhaha de rires et d’insultes se fit entendre par la foule rassemblée.
    « Crachez sur l’esclave, cria l’homme chauve, frappez-le, même, mais laissez-le en vie puisque notre liberté repose sur son esclavage. »
    La multitude commença à cracher sur le roi et à rouer de coups de pieds son corps tout enroulé, pendant au moins une demi-heure. Lorsque Patronio considéra que c’en était assez, il dit :
    « Descendons dans les caves et saccageons le palais. »
    La masse révolutionnaire accueillit favorablement la proposition et abandonna la salle avec le même vacarme fébrile qu’elle avait mis à assaillir le palais quelques heures plus tôt. En moins de dix minutes, le roi et Patronio restèrent seul à seul. Le roi était tout couvert de bave et un filet de sang sortait de son nez enflammé. Ils se regardèrent et ne purent s’empêcher d’échanger un sourire complice et malicieux.
    « Les contes…, dit Patronio sans un gramme d’ironie, les contes, Majesté, détournent la volonté des hommes. »


    Alejandro Pedregosa (né à Grenade, en Espagne, en 1974) a obtenu, avec son premier roman, Paisaje quebrado (Germanía, 2004), le Prix de la nouvelle José-Saramago. Quatre ans plus tard, il publie El dueño de su historia (Point de Lunettes, 2008). Il fait irruption dans le roman noir avec Un extraño lugar para morir (Ediciones B, 2010), et un an plus tard, avecUn mal paso (Ediciones B, 2011). Le troisième roman de cette série est A pleno Sol (Temas de Hoy, 2013). Son dernier roman est Hotel Mediterráneo (Planeta, 2015). Il a également publié cinq recueils de poésie : Postales de Grisaburgo y alrededores (Universidad de Granada, 2000) ; Retales de un tiempo amarillo (Ayuntamiento de Trujillo, 2002) ; En la inútil frontera (Point de Lunettes, 2005) ; Los labios celestes (Pre-textos, 2007), avec lequel il obtient le prix Arcipreste de Hita, et El tiempo de los bárbaros (Tragacanto, 2013). Il collabore à différents journaux, dont Ideal, El Correoet El Diario Vasco. Ses deux recueils de nouvelles, La sombra de Caín (2013) et (2017), ont été publiés aux éditions Cuadernos del Vigía. Le dernier a reçu en 2018 le Prix de la critique andalouse pour la nouvelle.

  • Une demi-heure avec Gilles Vigneault… en 1966

    Une demi-heure avec Gilles Vigneault… en 1966

    Journal étudiant Le Nemrod, le vendredi 9 décembre 1966
    J’ai rencontré Gilles Vigneault tout juste après le spectacle qu’il nous a donné au Séminaire de Hauterive en novembre dernier.

    Jean-Yves Fréchette – Gilles Vigneault, bonsoir.
    Gilles Vigneault – Bonsoir.
    J.-Y. F. – On entend parler de vous. On vous dit chansonnier et poète, est-ce que vous l’êtes vraiment ?
    G. V. – Est-ce que je suis vraiment chansonnier et poète ? Ce n’est pas à moi de dire ça ; c’est à vous, c’est aux gens dont je parle, aux gens que je chante. Je suis, je pense, un chansonnier selon la définition qu’on donne ici à ce mot, selon l’acception de ce mot par ici. Que je sois poète, on verra ça plus tard, c’est-à-dire quand les gens m’auront lu et auront trouvé que c’était de la poésie.
    J.-Y. F. – Et la poésie, pour vous, c’est quoi ?
    G. V. – La poésie pour moi c’est l’expression la plus réaliste possible, la plus véridique possible du réel vu à travers une tête d’homme.
    J.-Y. F. – À travers cette expression du réel, est-ce qu’il vous est arrivé d’atteindre une certaine frontière, frontière qu’il vous était alors impossible de dépasser ?
    G. V.. – On arrive toujours à beaucoup de frontières. Quand vous voulez aller bien vite à la course, par exemple, il y a une frontière. Ce n’est pas en l’an 2000 que l’homme va courir le mille en une minute, quoi ! Il y a des frontières, mais il y a des frontières aussi en poésie, dans la chanson. Il y a des choses qu’on n’arrive pas à exprimer. Bien sûr, il y a des frontières.
    J.-Y. F. – Vous est-il arrivé d’être bloqué à un certain moment donné ?
    G. V. – Oui, oui, ça arrive à tout le monde qui compose d’être bloqué à un moment donné. Oui, ça arrive d’être bloqué dans le travail, mais alors on essaie de débloquer ou alors si on ne réussit pas, on passe à autre chose. C’est humiliant, mais ça nous enseigne que tout ça est limité, que nous sommes des êtres limités. C’est bon de réaliser ça de temps en temps que nous sommes des êtres limités.
    J.-Y. F. – Gilles Vigneault, s’il n’y avait pas le public, est-ce que vous pensez que vous seriez arrivé à un autre genre ? Est-ce que votre évolution se serait faite dans un autre sens ?
    G. V. – S’il n’y avait pas le public, c’est certain que je n’aurais pas fait un chansonnier parce que sans public, la chanson n’aurait pas de sens. Mais s’il n’y avait pas un public, j’aurais essayé d’avoir un public lecteur et j’aurais écrit, quoi. Mais j’écris pareil, j’écris quand même à travers tout ça. Je finirai probablement par ne plus rien faire qu’écrire.
    J.-Y. F. – Est-ce que vous vous sentez prisonnier du public ?
    G. V. – Oui, un petit peu… Mais je l’ai choisi aussi. La liberté, c’est de choisir de temps en temps ses chaînes.
    J.-Y. F. – Et puis, est-ce que vous vous sentez, disons, un peu prisonnier de la rançon de la gloire ?
    G. V. – Oh, ça c’est des mots, puis c’est de la blague. « La rançon de la gloire », ça n’existe pas parce qu’il n’y a pas de gloire. Quand il y aura gloire, on parlera de rançon, mais il n’y a pas de gloire. Si c’est ça la gloire, ce n’est pas intéressant.
    J.-Y. F. – Vous sentez-vous forcé de continuer ?
    G. V. – Non, je ne ressens pas une obligation, j’en ai le goût pour le moment. Quand je n’en aurai pas le goût, j’arrêterai parce que cela sera rendre justice au public qui attend qu’on fasse autre chose au lieu de continuer quand on n’en a plus le goût. Il faut arrêter !
    J.-Y. F. – Vous sentez-vous au-dessus du peuple ou bien avec le peuple ?
    G. V. – Eh bien, je ne me sens pas au-dessus. La preuve, c’est que je réponds à vos questions. Je ne me sens ni au-dessus de vous, ni au-dessus du peuple : je me sens parmi. Moi, mon père, il ne tenait pas un château et ce n’était pas un milliardaire, ni un ambassadeur. C’était un pêcheur, un inspecteur de poissons et puis, il était de Natashquan. Alors, je ne vois pas ce qui me donnerait la maladie de me sentir au-dessus des gens. Quand notre père est milliardaire, quand notre père est un baron ou un comte, quand notre père est un ambassadeur, un ministre ou un premier ministre, on peut être porté à se sentir au-dessus, peut-être… Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’un fils d’ambassadeur ou de comte va se sentir au-dessus des gens. Mais ça peut arriver. Seulement, dans mon cas, si ça arrivait, je me ferais rabattre le caquet bien vite par mon père, pour commencer, et puis, je me le rabattrais moi-même. Croyez-vous que j’aurais du plaisir à « snober » les gens de chez nous ? Je ne pourrais pas leur parler et je m’ennuierais profondément. J’en retire autant de la conversation avec eux qu’ils en retirent de moi, n’oubliez jamais ça. J’en retire peut-être plus…
    J.-Y. F. – Chantez-vous pour les gens de chez vous ?
    G. V. – Je chante pour eux et pour tous les gens de la province de Québec en premier. On chante d’abord pour les gens de son pays, les gens qui nous entourent, les gens qu’on connaît. On chante pour quelques amis aussi, en premier là, qu’on a à Québec, à Montréal et dans les villes de la province. Et puis, après cela, on peut chanter pour d’autres amis qu’on a ailleurs dans le Canada. Moi, je chante aussi pour les Canadiens français qui sont en Alberta, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Et partout où il y a des Canadiens français, je chante pour eux.
    J.-Y. F. – Croyez-vous que le poète ait une mission sociale ?
    G. V. – Est-ce que vous croyez qu’il n’en aurait pas ? Est-ce que vous désireriez qu’il en ait une ? Si le poète n’a pas une utilité sociale, mais à quoi il sert ? Mais pourquoi y a-t-il des poètes ? À quoi ça sert de l’être ? Vous savez, cela perdrait beaucoup d’intérêt si le poète n’avait pas un sens social. Je vous assure que le poète a une utilité sociale.
    J.-Y. F. – Alors, il y aurait moyen de faire passer des idées politiques même en poésie ?
    G. V. – Vous m’avez fait éternuer avec votre mot politique.
    J.-Y. F. – C’est que vous en parlez assez souvent.
    G. V. – J’en parle assez souvent, mais la politique… Voyez-vous, la poésie peut se trouver partout, pas la politique. On peut trouver de la poésie partout, mais on ne peut pas trouver de la politique partout. Et la poésie, c’est rarement négatif ou désagréable de prime abord, alors que la politique… Ça tient peut-être aux gens qui exercent la politique et aux gens qui exercent la poésie. Ce qui ne veut pas dire que tous les poètes sont honnêtes et tous les politiciens des voleurs. Mais ça laisse entendre qu’en général, il y a plus d’honnêteté dans la poésie que dans la politique. Ça tient peut-être aux gens qui les pratiquent… Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de mieux ? La politique, moi, ça m’intéresse parce que la politique s’intéresse à moi. Je paie des impôts, et à ce moment-là, la politique m’intéresse. Je veux savoir ce qu’ils font avec mes sous. Alors même si la politique ne vous intéresse pas du tout, que vous soyez poète, marchand ou n’importe quoi, même si la politique ne vous intéresse pas, vous, vous intéressez la politique. Un jour, la politique s’intéresse à vous. Elle vous fait payer des impôts. C’est la règle, c’est l’organisation d’une société démocratique.
    J.-Y. F. – Gilles Vigneault, êtes-vous indépendantiste ?
    G. V. – Oui, pourquoi ? C’est clair, oui, je suis indépendantiste. Mais je ne serais pas pour la séparation tout de suite, parce qu’on passerait directement aux États-Unis, et moi, ce que je n’aime pas dans ce monde-là, parmi les gens qui parlent anglais, ce que je n’aime pas, ce sont les Américains. Moi, j’aime les Américains comme hommes, comme humains. Je n’ai pas de racisme. Mais je n’aime pas leurs manières politiques, leur façon d’agir internationale… quand il va s’établir un moulin, chez nous, c’est une compagnie américaine qui va venir. Et puis, l’Iron Ore, M. Iron Ore, cela n’a pas été inventé à Saint-Joseph d’Alma. Si vous voulez d’autres détails, Clarke Steamship, ce n’est pas né à Baie-Johan-Beetz.
    Je vous dirai pour résumer que tout gouvernement qui couche avec une caisse électorale, c’est un gouvernement pourri, de façon automatique et définitive et que le peuple ne peut pas profiter de gens qui sont les valets des compagnies. Avez-vous d’autres questions à me poser là-dessus ? Gênez-vous pas, je vais vous répondre, mais moi je ne fais pas de politique.
    J.-Y. F. – Je m’en doutais un peu. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle je vous ai questionné. Gilles Vigneault, tant que vous aurez quelque chose à dire, je suis persuadé que vous allez continuer à le dire sur une scène.
    G. V. – Oh, j’essaierai de le dire sur scène ou autrement. Probablement pas sur les hustings, comme on dit en latin, mais je trouverai des moyens d’expression autres que la chanson. Et en dehors du sermon et du discours politique, il y a des choses…
    J.-Y. F. – Gilles Vigneault, je vous remercie beaucoup. Bonsoir.
    G. V. – Bonsoir.
    Et puis il refait sa valise et repart pour son pays : il s’appelle Natashquan.


    * Gilles Vigneault en 1970 – Source : http://gillesvigneault.com/album/1970-1979/

  • Eudore Évanturel, poète selon son cœur

    Eudore Évanturel, poète selon son cœur

    Poète à part dans le champ littéraire canadien-français de la fin du XIXsiècle, sorte de précurseur d’Émile Nelligan et de la poésie moderne, Eudore Évanturel est né en 1852 à Québec et décédé en 1919 à Boston. En 1878, il publie un recueil, Premières poésies. 1876-1878. Affecté par la critique, qui n’y avait pas compris grand-chose, il n’en publiera pas d’autres. Et pourtant, c’était de la très belle poésie.

    Dix ans plus tard, en 1888, paraît une nouvelle édition de l’unique recueil, à la fois expurgée et enrichie de quelques poèmes. Puis il faudra attendre exactement cent ans et la précieuse édition critique de l’œuvre poétique d’Évanturel par Guy Champagne pour pouvoir enfin disposer d’une œuvre complète, incluant des poèmes inédits et d’autres qui à l’époque n’avaient été publiés que dans des revues1. En 2004, cette édition a été reprise en format poche mais allégée de l’appareil critique2.

    Romantique à la manière de Rousseau et de Musset, Évanturel est un cas à part dans la société agriculturiste et ultramontaine du XIXsiècle québécois. Le père, François Évanturel, à qui le poète dédie son recueil, a été cofondateur de l’Institut canadien, rédacteur en chef du journal Le Canadien, député et ministre en lutte contre l’idéologie conservatrice ; il a permis à son fils de grandir dans une ambiance libérale et progressiste, ce qui favorise l’intérêt de celui-ci pour les poètes romantiques et parnassiens. En octobre 1875, la lecture publique que donne Alfred Maugard du poème « Crâne et cervelle » ne laisse personne indifférent, suscite la polémique et apporte à Évanturel une certaine notoriété. Ce long poème composé de 242 alexandrins relate le vol d’un cadavre pour les besoins d’une séance de dissection dans un cours de médecine ; or, le cadavre se révèle être la fiancée fraîchement décédée de l’étudiant qui a pris l’initiative de ce vol. Quelques jours plus tard, le journaliste Hector Fabre reproduit le poème à la une de son journal L’Événement. Cependant, le poème ne figurera pas dans Premières poésies, peut-être parce qu’il tranchait quelque peu avec le ton intimiste et plutôt mesuré de l’œuvre.

    Car Évanturel privilégie les scènes de genre, les tableaux confidentiels : une rencontre, un rêve, le spectacle des saisons, le souvenir d’un mort, l’évocation d’une anecdote sentimentale ou d’un amour malheureux. Figure centrale, la femme paraît inaccessible au poète ; désirée, elle ne fait que passer. Elle suscite tous les tourments, un peu comme la mort, autre thème dominant du recueil, assombrit le paysage. Le sujet religieux y est par ailleurs fréquent, et la femme ressemble trop à la Vierge pour ne pas parfois endiguer le désir du poète ; l’idéalisme a un pied dans la censure cléricale.

    Photo : Daniel Tremblay

    Cette poésie sensuelle, capricieuse et ironique heurte néanmoins les conventions classiques. Le rythme en est atypique. Évanturel pratique volontiers le rejet, son vers est fréquemment saccadé, abrupt, concis. Et le poète aime les couleurs primaires, les effets de luminosité, les ambiances nocturnes. Volontairement impressionniste, sa poésie accorde une place dominante aux sentiments et tourne le dos à la poésie oratoire et patriotique qui, à l’époque, a la faveur, comme en témoigne La légende d’un peuple (1887), de Louis Fréchette. Fait plutôt inusité, le préfacier des Premières poésies, l’auteur de romans historiques Joseph Marmette, montre lui-même au poète la voie à suivre : « Certes c’est de la poésie de genre et frappée au bon coin ! Cependant que M. Évanturel nous permette de formuler, en terminant, une espérance. À ne traiter que des sujets appartenant au fonds de poésie commun à tous les pays – l’amour et les scènes de mœurs – il s’expose à des comparaisons avec les maîtres français qui auront toujours sur nous l’immense avantage de manier la langue avec la plus habile facilité. Nous avons dans l’histoire de notre passé des traits, des récits et des motifs de tableaux admirables, qui sont une mine inépuisable d’un métal aussi riche que nouveau. C’est là qu’il faut creuser ». Fâcheux commentaire, quoique dans l’air du temps (l’abbé Casgrain dira la même chose à Laure Conan), car ce n’est guère stimulant pour un poète qui avait fait preuve d’une certaine hardiesse pour se révéler sur un ton plus personnel ; mais cela donne la mesure d’une époque qui jugeait toute littérature à l’aune de l’idéologie, cependant qu’Évanturel avait le malheur d’aimer la poésie pour elle-même. Évanturel fit acte d’humilité : « Personne plus que l’auteur de ces vers n’est convaincu que ce petit livre n’est pas un chef-d’œuvre », admet-il lui-même d’emblée dans la préface à l’édition de 1888 ; laquelle préface il conclut cependant en citant seulement la première phrase du commentaire de Marmette : « Certes c’est de la poésie de genre et frappée au bon coin ». La préface d’Évanturel s’arrête donc exactement à la ligne où commençait le conseil paternel formulé par Marmette. Une manière, peut-être, d’avoir le dernier mot, mais comme si ce dernier mot il fallait aussi le prendre à la lettre : dans les trente années qu’il lui reste à vivre, Évanturel se fera discret, se contentant de publier des souvenirs et d’autres textes en prose dans des périodiques.

    En effet, dès 1879, Évanturel quitte son emploi de fonctionnaire au Conseil législatif du gouvernement du Québec pour s’établir aux États-Unis, où il est secrétaire de l’historien Francis Parkman, dont il avait fait la connaissance à Québec. En 1884, Évanturel fonde un journal à Lowell, le Journal du commerce. Enfin de retour trois ans plus tard à Québec, et donc à la veille de la réédition de son recueil, il devient archiviste au Secrétariat provincial ; il occupera ce poste jusqu’à sa mort, en 1919. Il y aura de cela cent ans l’an prochain.

    Bizarrement, le dernier poème connu d’Évanturel, « Les cloches de la basilique », paru dans Le Terroir de Québec quelques mois après sa disparition, faisait une concession au patriotisme ; c’est le premier et seul de ses poèmes où, tout en conservant le ton nostalgique qui est le sien, Évanturel « entonne le même chant qu’Octave Crémazie » (le grand poète national), note Guy Champagne. Marmette, mort depuis longtemps, aurait apprécié… Ce sera en tout cas le seul poème retenu par Jules Fournier et Olivar Asselin dans leur édition de l’Anthologie des poètes canadiens de 1933 ; choix curieux, et qui laisse songeur, d’autant plus que l’édition liminaire de 1920 incluait un second poème, « Souvenir », écarté ultérieurement. Ce type d’élagage annonce toujours une postérité difficile.

    Mais du destin d’Évanturel, un autre poème surtout devait présager, « La tombe ignorée » : « Je suis allé revoir cette tombe ignorée ;/ Et seul, quand j’ai voulu retrouver le chemin, / Quelqu’un était debout, en défendant l’entrée :/ C’était l’Oubli, pensif, et le front dans la main ».

    Cette figure de l’Oubli, qui interdit l’accès à la mémoire et à la reconnaissance, n’est-ce pas la figure prémonitoire de la critique conservatrice qui devait malmener le recueil, en médire, le censurer, enterrer ni plus ni moins vivant le poète ?

    Sans hasard, La tombe ignorée sera le titre d’un ouvrage collectif que feront paraître l’an prochain, pour célébrer le centenaire de la mort d’Évanturel, Vincent Lambert, Yves Laroche et Claude Paradis aux éditions Nota bene. J’aime ces cas où l’oubli fait l’Histoire et la littérature fait acte de mémoire.


    1. L’œuvre poétique d’Eudore Évanturel, édition critique de Guy Champagne, Presses de l’Université Laval, 1988.
    2Eudore Évanturel, Œuvre poétique, texte établi et présenté par Guy Champagne, Nota bene, coll. « Prose et poésie », 2004.

     

    EXTRAITS

    Fatalité
    Sans doute, il se passait quelque chose d’étrange.

    La chambre rayonnait comme un lit de mésange,
    Et l’enfant pour le bal s’habillait. – Pas un bruit
    Au dedans ; au dehors, l’ouragan dans la nuit.
    Que tout semblait joyeux dans ce boudoir de vierge !

    Les gants blancs souriaient à la jupe de serge,
    Et la jupe épiait le soulier de satin.
    C’était de doux parfums, un sourire enfantin,
    Des reflets que lançait la belle robe verte.

    Moi, je vis tout cela par la porte entr’ouverte,
    Et j’écoutais, pensif, le gros vent qui soufflait ;
    (Car la nuit était dure et Janvier qui hurlait

    Dans la rue, avait l’air d’exciter la tempête.)
    Mais l’enfant, cependant, mit des fleurs sur sa tête.
    Chaussa ses petits pieds, puis murmura :

    – C’est bien ;

    Pour me faire jolie, il ne manque plus rien ;
    Maintenant, pour le bal me voilà toute prête.

    Puis, quand elle eut enfin achevé sa toilette,
    Quand elle eut sur son cou, surchargé de reflets,
    Dénoué ses cheveux, elle vint aux volets :

    – Dieu, que le ciel est noir ! mais n’importe – dit-elle,
    Moi j’irai ; malgré tout, je dois être bien belle.
    Allons, tiens ! J’oubliais ! et si j’allais me voir !

    Elle prit un quinquet et courut au miroir.
    Mais soudain, aux rayons de ce flambeau de cuivre,
    Pâle, elle chancela comme une personne ivre.
    Puis un cri déchirant roula sous le plafond.
    La mort lui souriait dans ce cristal profond.
    Œuvre poétique, Nota bene, 2004, p. 95-97.

    Voyage
    Dis, veux-tu t’en venir avec moi ? Nous irons

    N’importe où tu voudras, puisque la terre est ronde.
    Promène tes beaux doigts sur la carte du monde,
    Et cherche un paradis où nous nous aimerons.

    Veux-tu, nous partirons aux premiers jours d’automne,
    Avant, petite, avant que les arbres soient nus ?
    Nous partirons avant que les froids soient venus,
    Pareils à deux voleurs – sans le dire à personne.

    On s’enquerra de nous et l’on nous cherchera.
    – Où sont-ils ? À la ville ou bien à la campagne ?
    Je préfère la France, et toi, dis-tu, l’Espagne ?

    Eh bien, soit ! en Espagne, allons nous cacher là.

    Nous trouverons là-bas un endroit solitaire,
    Un gazon que personne encor n’aura foulé ;
    Un éden où jamais le soleil n’est voilé.
    Ô le rêve bâti dans un jet de lumière !
    Œuvre poétique, Nota bene, 2004, p. 217-218.

     

     

     

     

     

  • Panaït Istrati

    Panaït Istrati

    Il aimait, en toute chose, l’absolu.
    Panaït Istrati, La Maison Thüringer

    Panaït Istrati (1884-1935), né et décédé en Roumanie, est l’auteur d’une œuvre peu lue et pourtant absolument majeure écrite en français entre les deux guerres mondiales. Avec lui, la notion d’« auteur méconnu » prend tout son sens.
    On trouve actuellement les œuvres à peu près complètes d’Istrati en trois volumes chez Libretto dans une édition établie par l’écrivaine Linda Lê1. Les deux premiers volumes . . .

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  • Les chercheurs de trésors

    Les chercheurs de trésors

    D’abord, la masse de l’ouvrage, 1 082 pages de grand format (8 x 10 po) ; puis le titre, à l’ancienne, Dictionnaire des artisans de l’imprimé à Québec où l’on trouve des notices sur les imprimeurs, éditeurs, libraires, relieurs, graveurs, papetiers, etc., de Québec de 1764 à 19001.
    Voilà un livre qui ne fait pas mystère de ses prétentions, ambitieuses, et d’un certain état d’esprit où s’impose la formule canonique : on est en présence d’un travail de bénédictins – le pluriel s . . .

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  • La source de ma poésie, vous dites ? 

    Après bientôt 50 ans consacrés à la recherche d’un langage commun qui réconcilierait la raison et l’émotion, Renaud Longchamps, dans une série de textes amorcée avec « Babelle, prise 2 » (no 151), sonde la genèse de son œuvre à travers les livres et l’air du temps qui ont marqué son parcours d’écrivain. 
    Dans ce numéro : Le cheval dans la locomotive d’Arthur Koestler

     

    Dès 1907, Charles ab der Halden remarquait l . . .

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  • Le français dans tous ses états (de langue et d’âme)

    Parlez-vous français ? La réponse à cette question va de soi, direz-vous, puisque vous lisez ces lignes. Mais quel français parlez-vous ?
    Parce qu’il faut savoir que la langue évolue et diffère, ce que les linguistes scandent en chœur depuis des années. À travers le temps, d’une part, les situations et les lieux – c’est sa variation diatopique, dit-on –, d’autre part. Source inépuisable de griefs, cette dimension variationnelle a causé et continue de causer des maux de tête aux puristes de ce monde, tout comme à ceux qui . . .

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