Auteur/autrice : Neal

  • Commentaires de lecture : Dossier littérature acadienne contemporaine

     


    Serge Patrice Thibodeau
    ANTHOLOGIE DE LA POÉSIE ACADIENNE
    Perce-Neige, Moncton, 2009, 290 p. ; 24,95 $

    Il est difficile d’imaginer un « pays » aux frontières géopolitiques plus floues que celles de l’Acadie – apparemment désignée par les médias parisiens comme les « provinces canadiennes de la façade Atlantique ». Cela n’empêche pas les Acadiens d’avoir une histoire, une langue (aux registres très variés, notamment grâce à la proximité de la langue anglaise), une culture, une littérature, bref, une identité bien à eux. Les éditions d’Acadie, première maison d’édition acadienne, ont été fondées en 1972 par l’Université de Moncton. C’est dans cette ville du Nouveau-Brunswick que furent fondées, en 1980, les éditions Perce-Neige, pour faire entendre les voix acadiennes émergentes. Serge Patrice Thibodeau, l’actuel directeur et poète reconnu (deux prix du Gouverneur général), propose une anthologie de la poésie acadienne.

    Voici, selon lui, quelques-unes des caractéristiques (non exclusives) de cette poésie : le phénomène identitaire et ses dérivés ; le temps cyclique et les saisons ; l’usage baroque des symboles de la foi catholique romaine ; le profond sentiment d’appartenance à l’Amérique ; l’appel de la route versus les gestes banals du quotidien ; l’inquiétante étrangeté des vieux pays ; une forme d’autodérision débridée. L’anthologie va d’un anonyme du XVIIIe siècle à Sarah Marylou Brideau (née en 1983), en passant par Roméo Savoie (premier poète moderne à mon avis), Raymond Guy LeBlanc (dont le recueil Cri de terre aurait « marqué d’une pierre blanche l’histoire littéraire d’Acadie »), Gérald Leblanc, Herménégilde Chiasson, Ulysse Landry, Zachary Richard, France Daigle, Serge Patrice Thibodeau et Jean-Philippe Raîche (qui signe le liminaire), pour ne nommer que les plus « importants » parmi les cinquante poètes retenus.

    On s’en doute, le thème du pays perdu (conséquence des déportations de 1755-1763) revient régulièrement, sur le ton de la « complainte inachevée », qui dit bien l’écartèlement entre passé et avenir, entre douleur et espoir : « [L]a peine que j’ai / d’un pays perdu dedans mes recommencements » ; « Un pays d’emprunt / […] / Un pays qui est à nous sans l’être » ; « Certains diront que ce peuple n’a jamais existé » ; « Gens de mon pays chimère sans frontières et sans avenir » ; « Gens de mon pays / sans identité / et sans vie » ; « J’habite un cri de terre en amont des espérances » ; « J’inventerai le monde // et vous viendrez pour lui donner / toute sa densité d’humaine poésie ». Mais c’est peut-être le long poème « Je suis Cadien » de Jean Arceneaux qui résume le mieux l’anthologie et « l’odyssée acadienne » (titre de François-Moïse Lanteigne) : « Avec des voisins Mi’kmaqs et Souriquois / Irlandais et Écossais. // J’ai fait une vie. / J’ai fait une identité. / J’ai fait la pêche. / J’ai fait la récolte. J’ai fait l’amour. / J’ai fait des enfants. / J’ai fait de l’histoire. // Mais les Anglais ont gagné ma terre […] ». Présenté comme une invitation au voyage et comme la carte de visite d’une petite maison d’édition (projet légitime mais forcément restrictif), cet ouvrage, un peu beige dans sa facture, musical à souhait, sent le large et remplit bien son mandat : enrichir et diffuser le poétique patrimoine acadien.
    par Yves Laroche


    Robert Viau
    ANTONINE MAILLET
    50 ANS D’ÉCRITURE
    David, Ottawa, 2008, 354 p. ; 29 $

    Antonine Maillet a jusqu’ici 42 livres à son actif, auxquels il faut ajouter 12 textes divers parus dans des périodiques et des ouvrages collectifs ; sans compter un certain nombre de pièces de théâtre demeurées inédites. C’est en la regroupant par « cycles » que Robert Viau passe en revue cette œuvre vaste et multiple par laquelle Antonine Maillet « a mis l’Acadie au monde, dévoilé son âme profonde et fait de son coin de pays une référence à saveur universelle ». On pense ici bien sûr, parmi d’autres titres, aux incontournables monologues de La Sagouine (1971), qui ont véritablement lancé l’auteure et fait connaître sa « langue unique et particulière », et à Pélagie-la-charrette (1979), qui est à ce jour la seule œuvre canadienne couronnée par le prestigieux prix Goncourt et que l’essayiste considère comme le roman le plus construit de l’auteure.

    Des commentaires de Robert Viau émergent, entre autres constats, les reprises dont la production d’Antonine Maillet est tissée. Sur le plan thématique, par exemple, « le rabaissement des nantis, le réalisme grotesque, le rire, le carnavalesque et la permutation du haut et du bas reviennent dans presque toutes les œuvres ». Dans Les cordes-de-bois (1977) des thèmes rappellent les romans Don l’orignal (1972) et Mariaagélas (1973), lequel a connu une nouvelle version dans la pièce La contrebandière (1981) et dont la parenté avec Crache à pic (1984) saute aux yeux. « De nombreux récits mailletiens s’entremêlent dans Gapi  » (1976) et Pierre Bleu (2006) « reprend le récit élaboré dans Les confessions de Jeanne de Valois » (1992). Le personnage de Ma-tante-la-Veuve est repris « d’œuvre en œuvre ». Celui de la Sagouine apparaissait déjà en partie dans la première des trois versions de la pièce Les crasseux (1968) et on le retrouve dans les contes de Par-derrière chez mon père (1972) et dans les « commérages » de L’Île-aux-Puces (1996). Radegonde, alias Radi, née avec On a mangé la dune (1962), revient dans Le chemin Saint-Jacques (1996), Chronique d’une sorcière de vent (1999), Le temps me dure (2003)… Viau souligne aussi l’impression de « déjà-vu » de la pièce Garrochés en paradis (1986) et du roman Madame Perfecta (2001), qui est une « Sagouine Deusse »… Mais « pourquoi pas ? » conclut l’analyste qui motive ainsi les « longueurs » et les « répétitions » de l’œuvre : « L’univers d’Antonine Maillet étant vaste, pourquoi ne l’explorerait-elle pas à fond, quitte à revenir sur ses pas pour revisiter certains lieux et faire revivre certains personnages ? »

    Cette explication ne ralliera sans doute pas tous les lecteurs, mais force est de reconnaître la justesse du regard posé sur l’ensemble des écrits de la célèbre Acadienne par Robert Viau, qui a voulu en même temps rendre « hommage » à une auteure dont l’ « œuvre foisonnante et merveilleusement riche », à l’évidence, et avec raison, l’enthousiasme.
    par Jean-Guy Hudon


    Herménégilde Chiasson
    BÉATITUDES
    Prise de parole, Sudbury, 2007, 131 p, ; 15,95 $

    Herménégilde Chiasson recevait en avril dernier le prestigieux prix Champlain, autrefois remis par le Conseil de la vie française en Amérique et maintenant repris par le Salon international du livre de Québec. Le recueil Béatitudes fait montre, selon le jury, d’une grande liberté, « de celles qu’incarnent autant l’élan le plus flamboyant que le geste ancré dans l’ombre du quotidien ». En effet, la beauté de ce livre réside dans le réalisme poignant avec lequel le poète saisit la nuit derrière nos gestes, et dans le lyrisme de sa langue.

    L’Acadien réécrit à sa façon « Les Béatitudes », cette partie du « Sermon sur la Montagne » où Jésus rassure les pauvres, les affamés, tous les spoliés de la Terre, « Heureux soient-ils parce qu’ils seront récompensés ». Ceux-là, comme le promettent les Évangiles de saint Matthieu et de saint Luc, auront-ils le ciel ? Rien n’est moins sûr, bien que le début du livre le laisse supposer, par une sentence qui clôt des suites de vers commençant par « Ceux qui  » : « Ceux-là auront  » L’attachement à l’ici-bas devient de plus en plus fort à mesure que l’on avance dans cette œuvre, et bientôt, on constate que la promesse d’un paradis en haut a disparu, que c’est ici, sur terre, ni enfer ni ciel, que se joue l’avenir de nos vies. S’il y a réconfort dans ces paroles, il réside dans le destin commun qui unit ces « Celles qui » et « Ceux qui ».

    Parmi ces visages, on a plaisir à reconnaître sa propre mère, son enfant, son amour. Le poète sait décrire avec une extrême minutie des gestes qu’on leur croyait uniques. Par exemple : « [C]eux qui s’agenouillent momentanément dans les lieux publics, faisant fi des chaises qu’on leur propose » ou « celles qui vous laissent de longs messages, au point où l’on croirait y déceler l’étendue de leur douleur, les mots se répandant à profusion dans le grondement de machine où elles finissent par se résumer brusquement, pour tout dire, concluant à la hâte par d’abruptes déclarations d’amour ». Le livre est vite barbouillé de ces petits traits au plomb, ces traces laissées dans le but d’y revenir plus tard, pour lire à ceux et celles que l’on aime les passages qui les nomment. Des envolées lyriques, au contenu plus existentiel, se mêlent aux traits du portraitiste, construisant un bel équilibre entre une quête de profondeur et le quotidien. On sent par ailleurs le vibrant hommage que rend Chiasson à ceux et celles qui ont marqué sa vie, dont un certain Gérald Leblanc à qui, parmi d’autres, est dédié ce recueil.
    par Judy Quinn


    Fredric Gary Comeau
    VÉRITÉS
    Perce-Neige, Moncton, 2008, 103 p. ; 14,95 $

    Écrit entre Montréal, Cuba, Paris et Buenos Aires, ce beau recueil comprenant de surprenantes pages nous amène à comprendre, à voir que notre dite « réalité » est parsemée de significations, de « vérités » ne nous sautant point toujours aux yeux. Le poète est situé dans un « maintenant » mais nous parle d’un « Ailleurs » qu’il habite en s’adressant à une femme désirée, aimée. Mais il ne pourra, on le devine, tout englober dans son écriture. « [J]e ne suis pas d’ici / ne cernerai jamais / ce qui anime ces gens / les pousse toujours / à sortir de leurs gonds / à oublier de respirer / en clamant leur existence. »

    C’est sans doute le sort de l’art poétique – de toute la culture ? – que cette capacité limitée de faire surgir le Sens, d’ouvrir, d’éclairer nos horizons trop souvent quadrillés par des codes et des valeurs qui ne nous appartiennent pas. Serait-ce, d’ailleurs, pour cela que la poésie s’appuie sur de fragiles ancrages – cela facilitant son universalité ? Le poète n’a ainsi pas le choix de rappeler ceci : « [A]vance toujours / dans ce monde que je n’ai pas du tout cerné / peu importe où je suis je ne suis pas d’ici ». 
    par Gilles Côté


    Mélanie Léger
    ROGER ROGER
    Prise de parole, Sudbury, 2009, 121 p. ; 15,95 $

    Dans cette pièce de théâtre, Roger est un jeune homme de 27 ans qui deviendra électricien pour « payer sa van » alors que son père, député libéral, qui avait payé ses études universitaires en sciences politiques, aurait espéré de lui un brillant avenir dans son parti. Roger écrit son journal sur des pages blanches qu’il cache dans un Playboy. Souffrant d’une douleur à la poitrine, il doit apprendre à « vivre doucement ». Notre protagoniste aura un coup de foudre dans une mer de fils électriques. Annie, sa nouvelle flamme, une jeune fille extrêmement timide, se confie, quant à elle, à son four à micro-ondes. Dans une scène surréaliste particulièrement réussie, Annie, assise au restaurant avec Roger, devra faire face à ses peurs et à ses angoisses qui prendront forme, au fur et à mesure qu’elle les appréhendera. Roger, obnubilé par l’écran de télé derrière elle, tombera des nues lorsqu’elle s’éclipsera en courant. Il confie à sa sœur de douze ans, Sylvette, qu’il aurait bien aimé être un aventurier et faire ce qu’il avait envie de faire sans penser aux autres. Sa sœur lui lance une réplique savoureuse : « Arrête de me parler Roger. Je n’ai pas le goût de savoir comment c’est plate la vie d’adulte. Je vais attendre d’être une adulte ». Cette même sœur, qui lit « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, va mourir d’ennui au milieu de la pièce, au cours d’une scène démesurée où le père convoque une réunion de famille pour faire un discours à son fils sur le « vrai travail ». Quant à Dina et Dani, deux jumeaux, personnages clownesques, ils ponctuent l’histoire à travers de petites capsules à saveur absurde, en attendant leur conception

    On pense à Ionesco, à Boris Vian, à Samuel Beckett. En fait, c’est une jeune auteure de l’Acadie très prometteuse, dont on entendra probablement beaucoup parler sur nos scènes québécoises dans les années à venir. De son texte, à la fois touchant et drôle, émerge un style bien à elle. Dans un mélange d’absurde, de poésie, d’humour, elle nous invite à réfléchir sur la condition humaine, les troubles qu’apporte l’avènement de l’amour, les peurs profondes devant la solitude, l’abandon, l’avenir. Les angoisses existentielles sont exposées dans un humour décapant, soulignant la profondeur du propos. On sent la plume jeune, mais non moins mature, dardant ses pointes bien effilées sur nos multiples visages humains. À suivre…
    par Josée Guindon


    Marie Cadieux
    ENFANCE ET AUTRES FISSURES
    L’Interligne, Ottawa, 2008, 75 p. ; 13,95 $

    Avec son tout premier recueil de nouvelles, la scénariste et réalisatrice Marie Cadieux propose une relecture des premières années de la vie et de leurs empreintes sur l’âge adulte. L’enfance, chez Cadieux, n’est ni le temps de l’enchantement ni, à l’opposé, celui des tragédies indélébiles mais plutôt une période poreuse comme du bois tendre où les événements, même les plus minuscules, s’incrustent. Là, une trace de doigt. Là encore, un coup de canif. Ailleurs, une entaille plus profonde… Pour Antoine, cette fissure sera celle d’un uniforme et du visage soudain éteint de son père. Pour Maude, le chant coincé dans la gorge. Et pour Adèle, un cadeau d’anniversaire particulier.

    En peu de mots et quelques images prégnantes, Marie Cadieux saisit le lecteur et l’entraîne au cœur de cette fissure où s’engouffrent ses jeunes personnages. La nouvelliste maîtrise l’art de nous ramener aux émotions de l’enfance, nous laissant tout aussi désemparés que Mona, Pablo ou Anne qui, à six ans, ne comprend pas ce qui est arrivé à son grand frère. « Peut-être que c’est une pièce. Elle l’a vu une fois au Monument Lefebvre, il était le meilleur sur la scène. Alors si elle l’embrasse, il va sans doute ouvrir les yeux, se lever pour la faire valser. Elle monte sur le petit marchepied en velours, se penche sur le beau lit de satin. Un grand cri déchire le silence. Anne s’envole dans les airs. Elle voit le visage de son papa, grimaçant, rouge. »

    Enfance et autres fissures comprend dix nouvelles regroupées en deux parties. Si celles mettant en scène de jeunes personnages convainquent sans hésitation du rare talent de Marie Cadieux à laisser entendre les voix de l’enfance, le choix des « autres fissures » surprend. D’une écriture tout aussi maîtrisée et sans être inintéressantes, certaines de ces nouvelles détonnent par leur côté fantastique (« Bleu, bleu  »), mystérieux (« Jour anniversaire ») ou érotique (« Transports »). On cherche en vain la profondeur et la force contenue qui traversent « Les petites économies », « L’uniforme », « Premier jour », « Le salon » ou même « Le courage ».

    Mais cela n’est qu’un très léger bémol, et peut-être tout simplement le regret de n’avoir pu continuer de suivre encore et encore Marie Cadieux sur les chemins de l’enfance. Ne nous reste qu’à attendre avec impatience sa prochaine publication…
    par Linda Amyot


    Mourad Ali-Khodja et Annette Boudreau
    LECTURES DE L’ACADIE
    UNE ANTHOLOGIE DE TEXTES EN SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, 1960-1994
    Fides, Montréal, 2009, 641 p. ; 39,95 $

    Constituée surtout de textes à fort indice sociologique, l’anthologie Lectures de l’Acadie privilégie, de son propre aveu, certaines perspectives : il lui revient, dit-on en quatrième de couverture, « de rendre compte du précieux travail des sciences humaines et sociales en Acadie ». Rien là qui soit anormal ou illégitime ; surtout, rien qu’un non-Acadien puisse contester. Il en résulte, pourtant, pour le lecteur peu familier avec l’histoire et le tissu acadiens, le sentiment d’entendre un plaidoyer plutôt qu’un bilan large et serein. À noter également que l’anthologie cesse sa cueillette en 1994, ce qui, en ces temps d’accélération, force à interroger un passé déjà lointain.
    Plusieurs textes suscitent la réflexion. Insistons sur ceux de Marc-Adélard Tremblay, de Jean-Paul Hautecœur, de Léon Thériault, de Michel Roy, de Joseph Yvon Thériault, de Michel Bastarache. Celui de Marc-Adélard Tremblay, daté de 1962, donne un durable aperçu des tâches à assumer. Celui de Jean-Paul Hautecœur, de quinze ans postérieur, scrute le nationalisme acadien et en définit les étapes en termes nets et même brutaux. Pendant un temps, le fétichisme suffit, car l’Acadie vit « sur le mode de la parole », investie qu’elle est dans la prière, le sermon, les chants, le mythe originaire du Grand Dérangement ! Aux yeux de Léon Thériault, l’histoire de l’Acadie n’est racontée fidèlement qu’à propos du Régime français et de la période qui suit la confédération. Entre ces deux périodes, l’essentiel s’absente : « On nous a présenté une histoire de consensus, une histoire où tous les francophones étaient d’accord. Il y a au contraire tout un passé de violence que l’on a ignoré, violence dirigée non seulement contre des éléments extérieurs à la société acadienne, mais violence dirigée contre certains éléments de la société acadienne elle-même ».

    Avec des doigtés différents, Michel Roy et Michel Bastarache évoqueront les liens entre l’Acadie et le Québec. De dire Michel Roy : « La leçon de 1755 n’a pas servi. Nous essayons toujours de louvoyer entre une Amérique dont la vocation anglaise ne fait plus maintenant l’ombre d’un doute, et le Québec, seule partie française viable du continent ». L’éminent juriste Bastarache invite lui aussi l’Acadie à un questionnement englobant : « La signification profonde du dualisme canadien a été scrutée par les auteurs de toutes les études sur la Constitution ; nous croyons, pour notre part, qu’elle se résume à deux principes fondamentaux, la sécurité culturelle et la représentation politique des deux communautés nationales ». Autrement dit, renforcer la culture de la minorité acadienne et doter d’un poids politique ce qui demeure, dans le vocabulaire de Michel Saint-Louis, une « collectivité sans État ».

    Quant à la contribution de Joseph Yvon Thériault, elle touche un point sensible. « D’une certaine façon, écrit-il, l’histoire des sciences sociales et de l’Acadie fut un rendez-vous manqué. […] D’une certaine façon les sciences sociales sont nées en Acadie au moment où un peu partout elles entraient en crise  ». Ce verdict provoque de la part des coordonnateurs de l’anthologie une riposte qui témoigne de leur déplaisir : « Il y a d’abord le fait que cette lecture fait fi du caractère récent de l’institution universitaire. Plus important encore, son ignorance à l’égard de l’histoire contemporaine de l’Acadie ne permet en aucune façon de dire que ce n’est qu’après les réformes des années 60 qu’un ‘groupe d’intellectuels acadiens’ se forme ». Comme s’il avait pressenti la réticence, Thériault avait ajouté : « Ainsi les grandes réformes sociales et politiques des années 60 qui allaient marquer profondément la société acadienne se réalisèrent avant que naisse ici un groupe d’intellectuels acadiens capables, à partir d’une connaissance intime de leur milieu, d’en orienter le sens » (souligné par Thériault). Nouvelle réplique : « Nous réalisons aussi aujourd’hui que cette notion d’indigénisation doit être utilisée avec beaucoup de précautions et de nuances dans la mesure où la charge essentialisante dont elle est porteuse ne peut que brouiller dangereusement les frontières entre appartenance et savoirs et jeter un voile sur le travail que ces derniers effectuent ».

    Osons un commentaire. Il est notoire, et l’anthologie le confirme, que l’Acadie entend mener sa barque sans dépendre du Québec. Rien de plus légitime. L’Acadie sait pourtant que le Québec peut, aux conditions acadiennes, lui être utile. C’est là que l’arrivée en Acadie d’universitaires peu au fait de la relation haine-amour entre le Québec et l’Acadie risque d’en méconnaître les nuances.

    Ce serait dommage. En effet, tandis que plusieurs textes de l’anthologie s’inquiètent de ce que l’Acadie privilégie la culture faute de trouver une voie politique, il s’en trouve au Québec pour diagnostiquer la même propension. Ainsi, Daniel D. Jacques (La fatigue politique du Québec français, Boréal, 2008). Thériault ne formule-t-il pas un diagnostic analogue dans son propos sur les combats menés dans les années 1970 contre une certaine régionalisation : « Quand ces luttes se sont estompées, le mouvement est retourné à ses préoccupations culturelles » ? Percevoir une similitude – si elle existe –,ce n’est pas sacrifier sa liberté.
    par Laurent Laplante


     

     

     
     
     
     
  • Petite chronologie acadienne

    1604 : Fondation de l’Acadie par les Français. Pierre Dugua de Monts, Samuel de Champlain et leurs compagnons s’établissent sur l’île qu’ils ont nommée Sainte-Croix (située près de l’actuelle frontière sud du Nouveau-Brunswick). L’hiver 1604-1605 emporte la moitié des hommes.

    1605 : La petite colonie quitte l’île Sainte-Croix pour s’établir à Port-Royal (aujourd’hui Annapolis Royal en Nouvelle-Écosse), premier établissement permanent des Français en Amérique du Nord et chef-lieu de l’Acadie. Les colons doivent rentrer en France en 1607. Ils reviendront en 1610.

    1609 : Marc Lescarbot, qui a séjourné quelque temps en Acadie, publie la première Histoire de la Nouvelle France et donne naissance à une Acadie mythique, sorte de Terre promise française. Les récits d’explorateurs fournissent d’autres témoignages sur cette période.

    1710 : Conquête de l’Acadie par les Britanniques.

    1755-1763 : Le Grand Dérangement : 10 000 Acadiens sont déportés vers les colonies américaines puis vers l’Angleterre et la France. Des milliers d’autres prennent la fuite à travers les forêts. L’absence d’institutions autonomes et la précarité de l’enseignement en français vont pour un bon moment freiner le développement de la culture acadienne.

    1756-1911 : Période peu productive sur le plan de l’écrit, mais où le récit de la déportation s’inscrit par contre solidement dans la tradition orale.

    1764 : Début du retour des Acadiens.

    1815 : Les francophones du Nouveau-Brunswick obtiennent le droit de fonder leurs propres écoles.

    1847 : Publication du long poème Evangeline par l’Américain Henry W. Longfellow, qui n’a jamais mis les pieds en Acadie. Ce texte épique a pour thème l’exil acadien et engendre une tradition fertile, quoiqu’il soit fortement marqué par la nostalgie. Le livre est traduit en français en 1865 et connaît un succès instantané sous forme de feuilleton. Pendant ce temps, les écrits acadiens se limitent surtout à des essais de généalogie et de linguistique, de même qu’à des contes et à des poèmes dispersés dans les journaux.

    1887 : Parution du premier numéro de L’Évangéline à Digby en Nouvelle-Écosse. La publication est transférée à Moncton en 1905 et devient quotidienne en 1949. Le journal L’Évangéline cessera de paraître en 1982.

    1911 :Publication des premiers recueils de contes, puis de récits régionalistes.

    1948 : Publication du premier recueil de poésie, La vie en croix d’Eddy Boudreau, suivi l’année suivante par Poèmes de mon pays de Napoléon Landry. La comparaison entre les deux auteurs témoigne d’une oscillation entre la souffrance individuelle et les enjeux collectifs qui marquera les générations suivantes.

    1958 : Début de la carrière littéraire d’Antonine Maillet avec Pointe-aux-Coques.

    1968-1969 : Manifestations étudiantes à l’Université de Moncton. Les étudiants exigent l’égalité entre anglophones et francophones. C’est le début du réveil acadien après des siècles de résignation. Le film L’Acadie, l’Acadie ?!? (1971) de Michel Brault et Pierre Perrault relate cette période tumultueuse.

    On peut le visionner gratuitement au www.onf.ca/film/acadie_acadie

    1972 : Début de l’essor impressionnant de la littérature acadienne. Fondation des éditions d’Acadie, enseignement de la littérature acadienne à l’Université de Moncton, attribution du prix Goncourt en 1979 à Antonine Maillet pour Pélagie-la-charrette, création du prix France-Acadie, etc.

    1980 : Parution du premier titre des éditions Perce-Neige : Graines de fées de Dyane Léger (prix France-Acadie 1981).

    1984 : Fondation de L’Acadie nouvelle, aujourd’hui le seul quotidien en langue française au Nouveau-Brunswick.

    1994 : Premier Congrès mondial acadien (CMA), au Nouveau-Brunswick, sous le thème « Retrouvailles ». Depuis, l’événement est repris tous les cinq ans en août (Louisiane 1999, Nouvelle-Écosse 2004).

    2004 : 400e anniversaire de l’Acadie.

    2009 : 4e Congrès mondial acadien, du 7 au 23 août, dans la Péninsule acadienne (nord-est du Nouveau-Brunswick).

     

  • Amédé par Georgette LeBlanc : (Inédit)

    Extrait du recueil Amédé, à paraître aux éditions Perce-Neige en 2010.

    PROLOGUE

    l’Histoire a braqué dans la nuit
    un soir de fond de logis
    j’étions assis
    j’avions brassé le fudge
    racommodé mitaines et bas
    piqué et repiqué coton
    en falaise, en horizon
    jusqu’aux quatre mâts d’une couverte

    et la soif nous prit
    de quoi de fort cte soir-là
    une soif d’eau de lune
    marée montante
    je bure jusqu’à caler les bottes

    et c’est du fond de la cale que ça venit
    un son comme une pluie
    fine
    comme une poussière de loin
    oreilles creux de la mer de la coquille
    un braquement
    une chaleur
    une pesanteur
    du sable trempe entre les orteils
    et j’étions pus dans le logis
    j’étions derrière les rideaux
    dans les veines de la nuit
    j’étions les yeux d’une tempête qui s’en venait vite
    qui montait
    qui voulait
    qui virait
    et en virant, plus forte
    jusqu’au galop
    un champ de bêtes pris loose
    à faire et refaire le cercle de la terre
    à battre le cœur en quatre
    en fer jusqu’au feu

    et les chevaux et la pluie et la terre entière
    comme la fin des temps
    comme si en dehors du temps
    et les cris d’hommes et la montée du sang
    et la rondeur et le troupeau et la montagne
    et toute la misère du monde

    et la porte rouvrit
    la goule de baleine s’ouvrit comme un port
    ils havrirent
    une présence
    des pas de bêtes à deux pattes
    des voix d’hommes en rage
    une dispute
    et un cri
    un cri
    et aussi vite que ça avait monté
    le vent et la pluie et les chevaux et toute la misère du monde
    en un cri
    et ça arrêtit

    l’Histoire a braqué dans la nuit
    dans la plus profonde des nuits
    dans la sueur de l’attente ronde comme une goutte
    qui se nomme point, qui se voit point
    parce que t’es trop pris à grouiller dedans
    trop pris par sa chaleur
    par son temps qui se fige point

    l’Histoire a braqué dans la nuit
    dans le cri de l’homme sans nom et sans corps
    dans le cri comme la mesure
    de quatre murs aux vitres rouvertes grandes
    pour laisser flotter rideaux comme voiles
    comme l’été et le sel
    et tout ce qui veut faire la paix dans le monde
    déchiré

    l’Histoire a braqué dans la nuit
    dans la sueur de mon écoute
    dans l’eau de lune forte, si forte
    dans ma marche pieds nus à gobiller
    pris dans le cri
    pris dans le son
    partie
    comme on quitte trouver
    tout ça qui reste

     


    Georgette LeBlanc est née en 1977 à Chicaben (Pointe-de-l’Église) en Nouvelle-Écosse. Alma, son premier recueil, écrit en langue acadienne de la Baie Sainte-Marie, a obtenu les prix Félix-Leclerc et Antonine-Maillet’Acadie Vie en 2007. Succès exceptionnel en poésie, Alma a fait l’objet de trois tirages chez Perce-Neige.


     

  • Émotions par Herménégilde Chiasson (inédit)

    Extrait de Émotions, un des douze livres du projet « Autobiographie »,
    une suite poétique qui sera publiée à différents moments et dans divers lieux.

    du feu
    les flammes qui ont ravagé la plus belle partie d’une vie
    de la grisaille
    cette maison qui tombait en lambeaux à bonne distance
    de l’embarras
    cet homme en avance porteur de mauvaises nouvelles
    de l’amour
    sa vie entière attendant la nudité plurielle sous une tente
    de la colère
    tout ce silence obligé à contenir l’impuissance des autres
    des ruines
    les rebords calcinés d’un livre et ses images vengeresses
    de la route
    un pays traversé à perte de vue pour vaincre le sommeil
    du regard
    l’azur de ses yeux la négligence de sa beauté contrainte
    de la mer
    un reposoir silencieux habité du cri de tous les oiseaux
    de la lumière
    à contre-jour sa silhouette imbibant le rouge de la toile
    de l’absence
    l’oubli s’imposant à la dure et grave consigne du silence
    du temps
    le son de sa voix estompé dans les méandres du souvenir

    Le vieil homme près de moi en avion me dit qu’il a eu les deux genoux refaits. Le premier il y a six ans au prix de plusieurs opérations et le second il y a deux ans mais il me dit qu’il devra retourner en chirurgie car la douleur lui est de plus en plus insupportable. Il ne se fait pas d’illusion sur les progrès de la science car il souffre d’arthrite et il sait qu’il n’y a pas de retour possible. Sa voix est éraillée et elle se faufile à travers un sourire qui lui donne cette lumière et cette candeur des gens qui n’attendent plus grand-chose. Il se rend dans sa ville natale pour assister aux funérailles de sa sœur qui est décédée il y a trois jours. Elle était dans le coma à la suite d’une crise cardiaque. Il me dit que le jour de son décès elle s’est levée pour la première fois en treize ans, s’est assise à la table pour ensuite revenir dans son lit et s’éteindre quelques heures après. Il me parle de cet homme dont il a entendu parler et qui s’est réveillé dans un hôpital pour ne plus rien comprendre à ce qu’on lui disait.

    Il a trois enfants. Son fils viendra le rejoindre de Vancouver. Il me parle de la tempête où il est tombé six pieds de neige en une fin de semaine. La porte avant de la maison impossible à ouvrir, la manière dont il s’y est pris pour se rendre au magasin chercher du lait pour ses deux enfants en bas âge. La neige empilée jusqu’à hauteur du toit.

    Il y a cinquante ans qu’il vit à Toronto et il n’est pas souvent retourné à Regina. Il est surtout allé à Winnipeg qui selon lui est la plus belle ville au pays. Il raconte qu’autrefois il se rendait en voiture et qu’en deux jours il couvrait les mille quatre cents miles en passant par le Wisconsin et en remontant vers la frontière canadienne. Il lui est arrivé de couvrir la distance complète en une seule journée, quittant Toronto à trois heures du matin et conduisant toute la journée jusqu’à la tombée du jour. Maintenant il ne pourrait plus faire ça. C’est pourquoi il apprécie les prix spéciaux d’Air Canada pour les gens qui doivent se rendre d’urgence à des funérailles. Malgré ces mesures humanitaires il me dit qu’il n’a pu se rendre lorsque son frère est décédé étant donné qu’il était immobilisé sur un lit d’hôpital où il récupérait à la suite de l’une de ses chirurgies.

    Il me raconte la fois où il a vu les montagnes Rocheuses depuis les plaines et je lui parle de ma traversée du pays en voiture, de mon impression de ces montagnes qui n’en finissaient plus de surgir à l’horizon. J’avais fait ce voyage avec L. Nous nous lisions des livres à haute voix, chacun notre tour, tandis que l’autre conduisait. La fuite immobile. Volkswagen Blues. Le Premier sexe.

    J’essaie de lire mon journal mais il m’interrompt pour me dire qu’il a toujours aimé faire la pêche mais que maintenant il ne peut plus rien faire de tel en raison de ses genoux. Il me relate en détail les prises qu’il a faites. La fois où il a pris deux « jacks » un poisson dont je n’ai jamais entendu parler mais il semble fier de son exploit et je lui dis que j’ai peu pêché sauf les fois où, enfant, j’accompagnais mon frère à un ruisseau où nous ne prenions jamais rien. De la même manière que, fils de pêcheur, je ne suis pas allé sur l’eau plus de cinq fois dans toute ma vie. Il continue à me faire part du temps où il pouvait marcher sans l’aide d’une canne, sans l’aide d’une chaise roulante, sans l’aide des autres. La fois où il a pris quatre saumons. Il me dit à quel point cette activité est maintenant devenue un sport de riche. Il relie cette activité au golf qui lui aurait coûté une fortune s’il avait voulu joindre le club qui opère en face et à quelques pas de chez lui.

    Pour m’accompagner dans ma lecture, il ouvre son sac et se met à la recherche de la dernière édition du Reader’s Digest. Il me dit qu’il a fait une partie de ses bagages mais que son épouse a fait l’autre moitié et que les deux ont peut-être oublié d’y inclure la précieuse revue. En cherchant il me montre une édition périmée, en plus grand format et en gros caractères pour les personnes dont la vue faiblit. Il y est abonné et transporte six numéros pour la plus jeune de ses sœurs qui habite Regina et qu’il va revoir à l’occasion des funérailles.

    Il me dit à quel point la population de la banlieue qu’il habite a augmenté au cours des années où il a vécu à Toronto au point où il n’y a plus d’espaces verts entre la ville et la campagne. Il me fait part de ses réflexions sur la politique, de son admiration pour sa mairesse qui a décidé de régler des situations qui ne peuvent plus durer. Il élabore sur une série de détails, de personnes, d’événements dont je ne saisis pas vraiment la portée mais qui semblent lui donner beaucoup d’espoir à l’effet que le monde s’améliore. Je retiens qu’elle veut faire un point d’ordre qui forcerait chaque personne de la communauté à se trouver un emploi car son quartier, qui est plus riche, en a assez de payer pour les autres plus pauvres qui l’entourent. Par hasard je regarde l’hôtesse debout tout à côté, sa beauté étrange et blasée tandis que, sur les petits moniteurs vidéo qui viennent d’apparaître devant nous, on donne les instructions d’usage en cas d’écrasement de l’avion suivies des nouvelles bilingues. L’assassinat en Irak d’Uday et Qusay Hussein. Le procès de Robert Pickton, meurtrier en série de 22 femmes. La prise du pouvoir par Paul Martin.

    J’écoute cette voix confondue dans le souffle, ces veines comme une carte géographique projetée sur le visage, cette insistance à se remémorer les menus détails comme une vérification ultime et je pense à mon père assis sur son dernier lit, regardant devant lui cette longue vie qui fut la sienne, le silence prenant qui envahissait la chambre où il allait décéder une semaine plus tard. Je me dis qu’il serait peut-être temps de passer une partie de ma vie à écouter ces histoires qui n’ont pas plus de direction qu’elles n’ont de sens mais qui témoignent d’un passage, d’un parcours, d’un trajet, d’une errance si semblable à la mienne, à la nôtre au fond, perdue et retrouvée dans celle des autres.

    L’avion va se poser à Regina. Du haut des airs je regarde les champs qui ressemblent à un damier, les routes qui se fondent à l’horizon lointain pour disparaître dans le halo de chaleur qui monte de la terre. Il me demande ce que je fais dans la vie et sans attendre ma réponse il me confie qu’il a été toute sa vie représentant en machineries agricoles. Du haut des airs, il me parle des champs et des cultures que l’on voit au sol. Le jaune à perte de vue est occupé par les fleurs d’une plante qui donnera de l’huile, les champs de pois, de blé. Je ne vois que des teintes de vert et une inspiration probable pour un type de peinture déjà fait ailleurs, autrefois. Je lui dis que je suis écrivain, même si j’éprouve toujours un malaise à me définir comme tel. Le silence s’installe soudainement. Une distance entre le vécu et ce qu’on en perçoit, ce qu’on en retient. L’ancien pouvoir du chaman tandis que l’avion descend lentement du ciel pour s’immobiliser sur la terre sacrée des Cris. Il ne bouge pas. Il me dit qu’il a du temps et qu’on va venir le chercher. Il me demande si je peux sortir sans qu’il ait à se lever. Je le quitte en lui disant de faire attention, sous-entendant que le monde est rempli de pièges et d’imprévus. Il me retourne le même conseil et je m’enfonce dans l’étroit corridor de métal me demandant pour combien de temps encore le monde sera pour moi rempli de pièges et d’imprévus.

     


    Poète majeur, dramaturge prolifique, artiste visuel, cinéaste… La somme des créations artistiques d’Herménégilde Chiasson est impressionnante. Son œuvre a été récompensée par de nombreux prix et honneurs dont le Prix du Gouverneur général 1999 pour son recueil Conversations ainsi que le prix Champlain 2008 pour Béatitudes.

    Herménégilde Chiasson a publié : 
    Mourir à Scoudouc, D’Acadie, 1974 et L’Hexagone, 1979 ; Rapport sur l’état de mes illusions, D’Acadie, 1976 ; Claude Roussel, sculpteur/sculptor, D’Acadie, 1985 ; Prophéties, Michel Henry, 1986 ; Atarelle et les Pakmaniens, Michel Henry, 1986 ; Existences, Perce-Neige/Écrits des Forges, 1991 ; Vous, D’Acadie, 1991 ; Vermeer, Perce-Neige/Écrits des Forges, 1992 ; L’exil d’Alexa, Perce-Neige, 1993 ; Miniatures, Perce-Neige, 1995 ; Climats, D’Acadie, 1996 ; Aliénor, D’Acadie, 1998 ; Conversations, D’Acadie, 1998 (Prix du Gouverneur général 1999) ; Pour une culture de l’injure, Le Nordir, 1999 ; Brunante, XYZ, 2000 ; Actions, Trait d’union, 2000 ; Laurie ou la vie de galerie, Prise de parole/La Grande Marée, 2002 ; L’oiseau tatoué, La Courte échelle, 2003 ; Le Christ est apparu au Gun club, Prise de parole, 2005 ; Parcours, Perce-Neige, 2005 ; Béatitudes, Prise de parole, 2007 (prix Champlain 2008).

     

     
     
  • Un théâtre à la recherche d’auteurs

    Fragile, le théâtre en Acadie. D’autant plus qu’un faible nombre des écrivains qui se sont aventurés dans ce domaine ont persisté. Ce qui n’a pas été sans poser quelques problèmes aux compagnies, parfois contraintes de créer des textes qui auraient demandé des réécritures. Nulle surprise, dès lors, que très peu de textes soient publiés. Par contre, la situation change.

    En Acadie, il existe deux compagnies que l’on pourrait qualifier d’institutionnelles, le Théâtre populaire d’Acadie (Caraquet, créé en 1974) et le th . . .

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  • Le roman acadien depuis 1990

    Le premier roman de la période contemporaine de la littérature acadienne a été publié en 1958 ; il s’agit de Pointe-aux-Coques d’Antonine Maillet. Les années qui ont suivi ont vu la publication de deux autres romans de la même auteure qui n’ont pas fait grand bruit. Au cours de la même période, Ronald Després publie Le scalpel ininterrompu, roman quasi révolutionnaire pour son époque et qui mérite d’être relu aujourd’hui, mais qui n’a pas fait davantage parler de lui au moment de sa . . .

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  • La paradoxale existence de la littérature acadienne

    En 2009, la question de l’existence de la littérature acadienne ne se pose plus comme elle se déclinait il y a une quinzaine d’années pour la littérature franco-ontarienne ou encore il y a un demi-siècle en ce qui concerne la littérature québécoise.

    En effet, on convient aisément des jalons importants de la modernité de cette littérature en évoquant, d’une part, l’année 1958 pendant laquelle Ronald Després et surtout Antonine Maillet publièrent leur première œuvre et, d’autre part . . .

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  • La littérature acadienne débarque

    Au Québec, la littérature acadienne se résume essentiellement à La Sagouine (1971) et aux romans d’Antonine Maillet, plus particulièremenPélagie-la-charrette, prix Goncourt 1979.Dans le meilleur des cas, on sait encore, peut-être depuis qu’il est lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, qu’Herménégilde Chiasson est un poète majeur, que Gérald Leblanc, peut-être parce qu’il est décédé en 2005, est un autre poète majeur, et que le nom de France Daigle évoque une certaine écriture formaliste. C’est déjà un début, mais ce n’est pas tout. De la même manière, la littérature acadienne, ce n’est pas seulement un discours sur le passé historique, ses misères et sa résistance. Alors que la littérature acadienne des années 1970 est dominée principalement par des préoccupations historiques et nationalistes, elle acquiert, au tournant des années 1980, une nouvelle dimension, plus intime, où l’imaginaire et l’identité du sujet tendent à se substituer à la narration de l’histoire populaire. Depuis, cette littérature, en se développant et en se renouvelant, ne cesse de s’imposer dans l’univers des lettres francophones.

    Cependant, une telle littérature reste évidemment vulnérable, liée à une institution littéraire et à des infrastructures culturelles fragiles, comme le rappelle Benoit Doyon-Gosselin, professeur de littérature francophone à l’Université Laval, à qui nous avons posé la question : la littérature acadienne existe-t-elle ? À Raoul Boudreau, spécialiste de la littérature acadienne à l’Université de Moncton, à François Paré, l’auteur des célèbres Littératures de l’exiguïté, et à David Lonergan, qui remportait il y a un an le prix Antonine-Maillet’Acadie Vie pour ses Chroniques de littérature dans l’Acadie d’aujourd’hui, nous avons demandé de nous orienter respectivement sur les pratiques romanesques, poétiques et théâtrales contemporaines. Si fragilité de la littérature acadienne il y a, ce dossier rappelle surtout qu’il existe des auteurs qui n’entendent faire aucune concession non seulement sur l’identité qui détermine leur rapport à la langue, mais plus encore sur une activité d’écriture qui peut se dire pleinement littéraire.

     


    Ils ont répondu à nos nombreuses questions et demandes. L’équipe de Nuit blanche les remercie chaleureusement :
    Roxanne Charlebois et le Regroupement des éditeurs canadiens-français,  Serge Patrice Thibodeau, Jovette Cyr et les éditions Perce-Neige, Francine Dion, Maurice Arsenault et le Théâtre populaire d’Acadie, Sylvie Lessard et les éditions Prise de parole, Marguerite Maillet et les éditions Bouton d’or Acadie, Jean Babineau, Herménégilde Chiasson, Emma Haché, Dano LeBlanc, Joël Boilard et la revue Ancrages, Les éditions La Grande Marée, Les éditions de la Francophonie, André Wilson et les éditions Court-Circuit, Francette Sorignet, Raymond Thériault, Leméac éditeur, Les éditions du Boréal, Les éditions Fides, XYZ éditeur.

     

  • Pierre Luccin (1909-2001)

     

    Steward, bibliothécaire, artilleur, romancier, nouvelliste, négociant en vins de Bordeaux, critique vinicole, Pierre Luccin (1909-2001) eut une vie à l’image de sa chère Garonne, capricieuse, impétueuse, bouillonnante.

    Homme aux multiples visages, personnalité complexe aspirant à la simplicité, il teinta ses récits de cette vie aventureuse et pittoresque, développant une écriture hybride, entre mer et terre, liberté et aridité, lyrisme désabusé et formules au vitriol. Au final, une voix contrastée et pleine de charme, séduisante même par l’effet inattendu et gouleyant que produit l’assemblage, tel qu . . .

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  • À raison et à tort (Mon encrier de Jules Fournier)

    Je ne l’ai jamais acheté, il ne m’a jamais été offert. Il ne dort donc pas sur un rayon de ma bibliothèque sans avoir été lu, comme nul autre des livres qui l’honorent de leur présence, puisque je ne saurais aussi irrespectueusement y abandonner aucun. Aucun en effet ne tombe entre mes mains par hasard, chacun ayant été désiré, objet de mes goûts littéraires aussi bien que de mon besoin de connaissance. Innombrables, mes livres jamais lus emplissent plutôt les bibliothèques publiques et les librairies. Parmi eux, un ouvrage qui . . .

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  • Rouges rivières d’Alain Dubos

    Après le 400e anniversaire de la fondation de Québec, ce pourrait être le moment de découvrir plus largement le combat d’une autre minorité francophone du Canada dans la seconde moitié du XIXe siècle. Si l’histoire tragique de Louis Riel est bien connue au Canada, elle ne l’est pas en Europe. Alain Dubos, qui dans ses précédents romans a évoqué l’histoire des Acadiens, s’intéresse à ce personnage mythique et controversé dans Rouges rivières1.

    Au moment de l . . .

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  • Seul dans le noir de Paul Auster

    Seul dans le noir de Paul Auster

    « Seul dans le noir, je tourne et retourne le monde dans ma tête tout en m’efforçant de venir à bout d’une insomnie, une de plus, une nuit blanche de plus dans le grand désert américain. » Ainsi débute le tout dernier roman de Paul Auster, Seul dans le noir1, le propos résumé en une seule phrase, le ton et le style donnés dès le coup d’envoi (sobre, rythmé, efficace), le lecteur attaquant déjà la seconde phrase : « À l’étage, ma fille et ma petite-fille sont endormies, seules, elles aussi, chacune dans sa chambre  ».

    Tour à tour, le narrateur nous livrera par bribes l’histoire de sa fille qui ne parvient pas à se remettre d’une séparation et qui cherche à sa façon à fuir le monde en écrivant une biographie de Rose Hawthorne (la plus jeune des trois enfants de Nathaniel Hawthorne), celle de sa petite-fille fortement éprouvée par la mort atroce de son jeune amant parti travailler en Irak, et la sienne, celle d’un critique littéraire à la retraite âgé de 72 ans, condamné à l’immobilité à la suite d’un accident de voiture, absurde comme tous les accidents, dévastateur comme tout ce qui remet en question une vie, les choix que l’on a faits comme ceux que l’on n’a pas faits. Pour échapper à sa situation, il invente des histoires, une histoire en fait : celle d’un pays fédéré qui se désintègre de l’intérieur.

    Tout au long du roman, les récits se croisent et s’entrecroisent, chacun d’eux faisant écho aux autres, aux drames qui s’y jouent. Dans cette mise en abyme habilement menée, où la notion de mondes parallèles, empruntée à Giordano Bruno, ajoute par moments une teinte fantastique au récit, le narrateur se projette lui-même dans une invraisemblable histoire (mais l’est-elle vraiment ?) où certains États américains optent pour la sécession afin de se soustraire à la bêtise d’un président qui a plongé le pays dans un incommensurable chaos, thème cher à Paul Auster, qui prend ici une importance accrue. Le personnage principal, un magicien au nom très austérien d’Owen Brick, se retrouve malgré lui plongé au cœur du conflit dont il cherche d’abord à nier l’évidence pour se soustraire à la mission qu’on lui a assignée : assassiner nul autre que le narrateur du récit qui prend forme au fil des pages puisque, imaginant cette guerre, il en est responsable et, en l’éliminant, c’est aussi la guerre qu’on éradiquera. Logique implacable de mondes parallèles s’imbriquant l’un dans l’autre comme un puzzle pour enfants surdoués.

    Seul dans le noir ne doit pas être perçu comme la réponse de Paul Auster aux événements du 11 septembre, au sens où l’auteur chercherait à expliquer l’inexplicable. Qui plus est, ces événements, comme pour mieux confondre Owen Brick, n’ont jamais eu lieu dans cette Amérique au décor de carton-pâte qui n’est pas sans rappeler la vision hollywoodienne du rêve américain. Les questions importent ici davantage que les réponses, le roman s’inscrivant dans la poursuite de la quête d’identité entreprise depuis la trilogie new-yorkaise. L’effondrement de la société, tel qu’imaginé dans Le voyage d’Anna Blume, atteint toutefois une intensité nouvelle.

    Plus que dans les autres romans, Paul Auster met le lecteur face à sa propre inaction, prolongement de la paralysie de ses personnages, qui tous cherchent à se soustraire à leur situation présente, ce qu’illustre cet échange entre deux protagonistes : « Alors, demande le personnage du magicien à sa conjointe qui a été mise au courant de la mission qu’il doit accomplir, qu’est-ce que je dois faire ? Rien, lui répond-elle. Comment ça, rien ? On recommence à vivre, poursuit-elle. Tu fais ton boulot, moi le mien. On mange, on dort, on paie les factures. On lave la vaisselle et on passe l’aspirateur. On fait un bébé ensemble. Tu me mets dans la baignoire et tu me shampouines les cheveux. Je te frotte le dos. Tu apprends des nouveaux tours. On va voir tes parents, et on écoute ta mère se plaindre de sa santé. On continue, mon chou, on vit notre petite vie. Voilà ce que je veux dire. Rien ».

    L’absence de démarcation entre chacune des histoires, et entre chaque type de discours, accentue l’impression qui se dégage du roman, celle d’une longue nuit entrecoupée de moments d’angoisse, d’accalmie et d’espoir. Le traitement romanesque vise à tout ramener sur un même plan : l’échange entre les personnages, l’action imaginée par le narrateur et la condition de ce dernier qui le confine à l’immobilité, reclus dans une chambre d’une maison où sa fille et sa petite-fille cherchent aussi à réapprendre à vivre. Le constat qui s’en dégage est dur, voire impitoyable lorsqu’on passe en revue les événements qui ont marqué la vie des personnages : abandon, mort violente, incapacité d’agir. N’étaient la tendresse, la complicité qui unit les personnages, voire par moments un certain humour de situation, le roman serait des plus sombres. Mais tel n’est pas le cas.

    Et ce monde étrange continue de tourner, rappellera au narrateur sa fille qui a retenu ce vers de Rose Hawthorne pour illustrer sa propre thèse. Quant au romancier, il clôt son propos en réunissant dans une dernière phrase, comme le ferait un dramaturge en rappelant sur scène ses personnages avant la tombée du rideau, les trois protagonistes mis en scène dès le début du roman : « Oui, papa, dit-elle, en examinant sa fille d’un œil soucieux, ce monde étrange continue de tourner ».

     


    1. Paul Auster, Seul dans le noir, trad. de l’anglais (états-Unis) par Christine Le Bœuf, Actes Sud, Arles/Leméac, Montréal, 2009, 182 p. ; 25,95 $.

     

    EXTRAITS

    Il n’y a pas qu’une seule réalité, caporal. Il existe plusieurs réalités. Il n’y a pas qu’un seul monde. Il y en a plusieurs, et ils existent tous parallèlement les uns aux autres, mondes et antimondes, mondes et mondes fantômes, et chacun d’entre eux est rêvé ou imaginé ou écrit par un habitant d’un autre monde. Chaque monde est la création d’un esprit.
    Seul dans le noir, p. 75.

    C’est comme si on entrait dans un rêve, n’est-ce pas ? Le même endroit, mais tout est différent. L’Amérique sans guerre. C’est difficile à digérer. On prend tellement l’habitude des combats que ça s’insinue en nous, dirait-on, jusqu’à l’os, et au bout d’un certain temps on ne peut même plus imaginer un monde sans guerre.
    Seul dans le noir, p. 116.

    Nous voici au cœur des choses, au cœur obscur de la nuit noire, encore quatre bonnes heures à tirer et tout espoir de dormir totalement anéanti. La seule solution, c’est d’abandonner Brick, de m’assurer qu’il aura un enterrement convenable, et d’inventer une autre histoire. Quelque chose de terre-à-terre, cette fois, qui fasse contrepoids à la machine fantastique que je viens de fabriquer. Giordano Bruno et la théorie des mondes multiples. Matière à provocation, certes, mais d’autres pierres, aussi, méritent qu’on les déterre.
    Seul dans le noir, p. 123.

     

  • Un siècle d’histoire de Denis Goulet

    Un siècle d’histoire de Denis Goulet

    À l’indiscutable réussite qu’était depuis peu la Grande Bibliothèque du Québec (GBQ) s’est ajouté plus récemment encore l’heureux rattachement des Archives nationales du Québec (ANQ) à leur ancienne rivale. L’absorption des ANQ par la Bibliothèque nationale du Québec (BNQ) a engendré « la plus importante institution culturelle du Québec ». Le Québec aurait-il comblé en un éclair ses retards en lecture, en mémoire, en diffusion ? Il faudrait de la candeur pour le croire. Bien que tenté par le triomphalisme, Denis Goulet, l’auteur de Bibliothèque et . . .

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  • Marc Bernard (1900-1983)

    Marc Bernard (1900-1983)

    Marc Bernard, né à Nîmes en 1900 et décédé en 1983, est issu d’un milieu modeste. Ayant quitté l’école à douze ans pour devenir garçon de courses, cet autodidacte, grand admirateur de Zola, a cofondé le groupe des écrivains prolétariens en 1932.

    Romancier, il a aussi été journaliste, critique littéraire à l’hebdomadaire Monde (lancé par Henri Barbusse) et animateur à la radio nationale. Zig-zag, son premier roman, a été publié en 1929 et lui a valu la protection de Jean Paulhan et d’Andr . . .

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  • Le roi est nu (Ulysse de Joyce)

    Le roi est nu (Ulysse de Joyce)

    Le livre que je n’ai jamais lu, c’est tous les livres, ou peu s’en faut. Je ne lis presque plus. Lire m’emmerde, il faut dire. Le plus souvent, en tout cas…

    Une chose est certaine : je ne lis pas pour passer le temps, pour me distraire (de quoi ?) ou pour oublier. À cet effet, il y a les mots croisés, le sudoku ou la vodka : c’est fait pour.

    Je commence beaucoup de livres, j’en termine très peu. Chaque fois, pratiquement, pour la même raison : en quoi ces centaines de pages . . .

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  • Mais qu’a bien pu vouloir nous dire Robert Lepage ?

    On ne s’est pas gêné, comme on le fait souvent dans le monde des arts, pour utiliser les plus forts qualificatifs pour parler de la production de Robert Lepage, Le Moulin à images*.

    Le « magnifique » Lepage, au sommet de son art, aurait produit une autre de ses œuvres « splendides », « fantastiques », « grandioses ». L’œuvre, une histoire de la ville de Québec, qui embrasse en même temps de vastes pans de l’histoire du Québec, est un spectacle « son et image » utilisant comme écran les vieux silos gris de la compagnie céréalière Bunge dans le Vieux-Port de Québec. Visibles d’un peu partout de la Haute comme de la Basse-Ville, ces vieux silos, témoins de l’ère industrielle de l’époque du chemin de fer, formèrent ainsi un écran aux dimensions titanesques : plus de 600 mètres de long, 33 mètres de haut, pour une superficie totale de près de 20 000 mètres carrés.

    Le Moulin à images serait une prouesse technique qui met le Québec au diapason des plus grandes réalisations techno-artistiques du monde. Une prouesse aussi pour ainsi dire écologique qui en fait un prototype d’une reconversion réussie de bâtiments industriels en produit touristique. Immense succès populaire par ailleurs où tous les soirs d’un été pluvieux, des milliers de Québécois et de touristes s’agglutinèrent sur les rives du Vieux-Port et derrière les remparts de la ville fortifiée pour se gaver du défilement ininterrompu des milliers d’images du moulin.

    Tous ces jugements et tout ce monde ne sauraient mentir. Il faut bien convenir qu’inscrit dans ce mélange d’urbanité  le Vieux-Port adossé au Vieux-Québec  et de splendeur naturelle  l’immense écran-silo répercutant la majesté du grand fleuve –, le spectacle a du panache, d’un esthétisme assuré. Et, qui plus est, avec les concerts de l’ex-Beatle Paul McCartney et de la star mondiale, mais néanmoins d’origine québécoise, Céline Dion, Le Moulin à images fut l’événement qui transforma les fêtes du 400e anniversaire de la fondation de Québec, de catastrophe annoncée, en un World Success.

    L’œuvre est un cadeau  néanmoins financé  que Robert Lepage, artiste cosmopolite, a voulu offrir à sa ville d’origine pour son 400e. C’est d’ailleurs dans ce cadre, celui des fêtes commémoratives de la fondation de Québec, que j’émets ici ces quelques commentaires sur l’œuvre. Car, n’étant ni critique d’art, ni grand amateur d’effets techniques, ni même spécialiste de l’art populaire, je ne me permettrai pas de mettre en cause le déluge d’éloges versé sur la production et dont je viens rapidement de faire part.

    Que commémorait-on à Québec à l’été 2008 ?

    Tout en reconnaissant le succès esthétique, on peut toutefois sincèrement se demander : « Qu’a bien pu vouloir nous dire Robert Lepage dans son Moulin à images ? » ou, plus précisément encore : « Quelle vision de notre histoire collective a-t-il voulu transmettre dans son œuvre ? » Ici, la réponse est plus nuancée. Ce qui étonne en effet, c’est le silence sur ce contenu, nulle insinuation que l’artiste fournirait une interprétation consensuelle ou contestable de l’histoire, mais simplement absence de références au contenu mémoriel de l’œuvre.

    Ce silence a d’ailleurs singulièrement simplifié le travail des critiques. La plupart d’entre eux se limitent ainsi à rappeler que cette histoire est présentée à travers une chronologie en quatre temps : 1) le chemin d’eau, l’époque de l’exploration et de la découverte, 2) le chemin de terre, l’époque du défrichage et de l’appropriation, 3) le chemin de fer, l’époque de l’éclosion industrielle et enfin 4) le chemin d’air, l’époque de la communication et des déplacements tous azimuts. Là s’arrête habituellement la référence à tout contenu substantiel de l’œuvre. Aucun débat d’importance n’a été soulevé sur la représentation historique proposée par Lepage. Même silence après la représentation à laquelle j’ai assisté. Tous louaient l’esthétique et le brio technique de l’œuvre, la beauté de Québec illuminé par les silos, mais aucun commentaire sur la vision de Lepage de l’histoire. Pourtant j’ai assisté à la représentation en présence d’un parterre d’invités de prestige susceptibles d’être intéressés à l’histoire qui leur était présentée  des maires de villes qui furent liées par leur fondation à l’histoire de Québec.

    Est-il pertinent de poser une telle question à Lepage ? Celui-ci a bien pu vouloir créer quelque chose qui relève plus de la techno-esthétique que de la commémoration. Le contexte de l’œuvre nous semble toutefois rendre pertinente une telle question. Après tout, le cadeau de Lepage a coûté plus de huit millions de dollars sur un budget de quatre-vingt-dix millions mis à la disposition des organisateurs par les gouvernements (notamment Patrimoine canadien) pour commémorer la fondation de Québec. En réponse aux reproches adressés aux organisateurs des fêtes du 400e d’utiliser l’argent de la commémoration  des subventions de nature historico-culturelle  pour simplement préparer un gros festival d’été, on a rappelé inlassablement que la production de Robert Lepage  événement phare des fêtes de la fondation  avait une dimension éminemment historique. De quelle histoire alors s’agit-il ?

    Cette question : « Quelle histoire commémorait-on à Québec en l’an 2008 ? » était d’ailleurs au cœur de la catastrophe annoncée, avant, comme nous l’avons dit plus haut, les succès populaires des concerts de Céline Dion et de Paul McCartney et avant celui, bien entendu, du spectacle Le Moulin à images. Cette question semble oubliée aujourd’hui où tout le monde, le maire de Québec en tête, s’empresse de souligner à qui veut l’entendre la réussite du 400e. Mais mesure-t-on le succès d’une commémoration au nombre de participants à des spectacles populaires ? Oubliées, aussi, les interrogations sur l’inexistence de grands spectacles voués à l’histoire de la chanson et de la culture québécoise, au profit des stars internationales Dion et McCartney. Oubliée, encore, l’absence de véritables discussions-productions historiques dans le cadre des fêtes du 400e. On rappellera simplement pour mémoire comment le bicentenaire de la Révolution française a été le moment d’un travail historiographique important. Rien de tel pour le 400e de Québec pourtant largement financé par un budget dit commémoratif.

    S’il y avait catastrophe annoncée c’était, rappelle-t-on, avant ces succès populaires, parce que le comité organisateur des fêtes n’avait pas su très bien définir ce qu’il fêtait exactement. Célébrait-on la fondation d’une ville  Québec –, celle d’une province  le Québec (pas étonnant que Paris Match ait confondu les deux) -, la fondation de la culture française en Amérique, celle du Canada français, celle du Québec français, la fondation de la nation québécoise, celle de la nation canadienne, comme l’affirmera la gouverneure générale qui s’est « mandatée » pour ouvrir les célébrations en France ? Pour être une réussite, d’un point de vue mémoriel, c’est à cette question : « Quel est l’objet de la commémoration ? » que Le Moulin à images devait nous aider à répondre.

    Toutes les histoires se valent

    Avant d’y regarder de plus près, j’aimerais revenir sur la controverse provoquée par le spectacle de Paul McCartney sur les plaines d’Abraham. Des artistes  Pierre Falardeau  et des politiques  Pierre Curzi  ont, à cette occasion, reproché aux organisateurs d’avoir invité un artiste britannique pour donner le grand spectacle de ces fêtes en l’absence d’une véritable fête à la création québécoise. Ces propos « nationalistes » furent rapidement jugés illégitimes au nom d’un Québec ouvert sur le monde.

    Dans une chronique au Journal de Montréal du mois d’août 2008, le juriste Julius Grey réagissait à ces propos en renvoyant l’illégitimité de ceux-ci au caractère inapproprié qu’un groupe particulier, en l’occurrence ici les Québécois francophones, puisse s’approprier la mémoire d’un événement comme celui de la fondation de Québec. L’histoire de Québec, comme toute histoire d’ailleurs, a des conséquences nécessairement plurielles, rappelait-il. C’est un événement qui peut être interprété de manière pluraliste. Une telle histoire peut se comprendre du point de vue des autochtones, du point de vue des citoyens de la ville de Québec, du point de vue du Québec français, comme de celui du Québec anglophone ou des communautés culturelles ; elle peut être interprétée comme étant à la source de la fondation du Québec, du Canada, voire de l’Amérique blanche.

    Je contesterai personnellement le point de vue de Julius Grey qui relève d’un pluralisme absolu des valeurs et qui conduit ultimement à nier toute possible hiérarchisation dans l’interprétation des faits historiques, ou plus encore qui rend illégitime toute affirmation se réclamant d’une mémoire historique. Je plaiderai plutôt pour ce qu’il serait possible de nommer, paraphrasant « l’intérêt de connaissance » chez Max Weber, un « intérêt d’histoire ». Si un fait historique est effectivement susceptible de soulever une pluralité infinie d’interprétations quant à ses conséquences, ce ne sont pas toutes ces possibilités qui se réclament pour autant d’une telle affirmation. Pour que cela soit, il faut qu’il y ait intérêt d’histoire, autrement dit que le fait historique ait acquis une signification mémorielle pour un groupe particulier.

    Dans le cas de la fondation de Québec, ni les autochtones (si ce n’est par la négative), ni l’Amérique anglophone, ni les communautés culturelles québécoises n’ont démontré d’engouement particulier pour se réclamer d’un tel héritage. Il n’y a pas, chez ces groupes, manifestation d’un tel intérêt d’histoire rendant significatif l’événement en question. C’est pourtant l’existence d’un intérêt d’histoire qui rend compréhensible et légitime l’appropriation particularisante par un groupe, ou des groupes, d’un événement historique.

    Ce que je veux souligner ici par ce détour est que la tentative de Julius Grey de lire l’histoire d’un point de vue universel conduit à une impasse : toutes les commémorations sont possibles et aucune n’a plus de légitimité qu’une autre. Je pense qu’une telle lecture est aussi possible du Moulin à images de Robert Lepage. Ce qu’il a voulu nous dire, c’est que l’histoire de/du Québec ressemble à toutes les histoires du monde lorsque prise d’un point de vue universel, cosmopolite. C’est pourquoi, comme il n’y a rien à en dire de spécifique  sinon un déferlement d’images qui passent avec une telle rapidité que personne ne peut véritablement en saisir le sens -, il vaut mieux garder le silence sur ce sens ou le faire éclater dans toutes les directions.

    La fascination technicienne

    Il existe toutefois une différence de taille entre le point de vue de Julius Grey et celui de Robert Lepage. Le point de vue de Grey repose sur un universalisme abstrait, celui des droits de l’homme et de l’humanisme des Lumières : parce que tous les hommes sont égaux en droits, toute revendication d’une histoire particulière trahirait leur humanité. Le point de vue de Lepage repose, lui, sur un universalisme technique : tous les hommes sont déterminés par les mêmes éléments universels, les mêmes conditions matérielles et techniques : ils pensent faire l’histoire, mais c’est la technique qui la fait pour eux.

    On connaît la fascination de Lepage pour la technique. Celle-ci, en effet, remplit toute son œuvre ; elle est à la fois le véritable personnage de ses histoires et son sens ultime. Il partage d’ailleurs cette fascination avec les tenants de l’américanité québécoise pour qui notre identité et notre histoire sont plus techniciennes que culturelles. Une telle démarche, je l’ai déjà souligné dans Critique de l’américanité, a comme effet d’évacuer tout sujet collectif, toute intention de l’histoire de la nation française d’Amérique. Elle commémore les machines plus que les projets qui ont fait l’histoire. Il ne s’agit donc pas d’une adhésion à l’Amérique réelle  celle de l’histoire du peuple américain ou encore de la culture américaine  mais d’une Amérique essentiellement perçue comme machine technicienne, autopoétique, prototype d’une post-humanité.

    C’est là que se découvre finalement le contenu de l’œuvre de Lepage : comme le disait Marshall McLuhan de l’univers technique moderne, « the medium is the message ». C’est ainsi qu’il n’y a ni Québécois, ni Canadien français, ni Canadien, ni Américain dans le « moulin à images », seulement un moulin, véritable personnage de l’histoire du Québec, qui produit des images d’hommes et de femmes qui traversent l’histoire. Des hommes et des femmes qui sont arrivés à Québec par le hasard des routes de la mer, qui furent quelque temps contraints à y demeurer en raison des limitations des chemins de terre et des chemins de fer, mais qui finalement retrouvent leur nature cosmopolitique par l’avènement du chemin de l’air. Le Québec un détail dans la grande histoire de l’univers des machines.

    Lui-même reconnaît l’intention technicienne du Moulin à images lorsqu’il présente le 9 avril 2008 sa production au public : « Je me suis toujours dit que cela serait merveilleux si cette grosse machine pouvait bouger. Je voulais raconter l’histoire de façon impressionnante. Ce sera un défi technique énorme de projeter des images sur 0,6 km. On parle de la plus grosse projection au monde et de l’histoire. Cela fait deux ans que nous travaillons là-dessus ». L’historien-muséologue de l’Université Laval Philippe Dubé qui a participé à la scénarisation du Moulin à images rappelle comment « selon les vœux de Robert Lepage, il fallait d’emblée écarter tout repère se référant explicitement à la chronologie, à l’événementiel ou au carcan biographique ». Cela a paradoxalement donné une chronologie d’une froideur technique qui tourne autour du chiffre quatre : « Quatre siècles, quatre saisons, quatre chemins pour relier Québec au monde (voie maritime, voie terrestre, voie ferrée, voie aérienne), quatre couleurs de base de l’imprimerie (rouge, bleu, jaune, noir), quatre éléments de base des philosophes grecs (l’eau, la terre, le feu et l’air)1 ».

    Mais ultimement, c’est moins la démarche de Lepage qu’il faut critiquer que l’engouement de la critique pour cette fascination technicienne et l’intériorisation dans la conscience collective d’une telle perspective comme la vérité sur notre histoire. Après tout ce n’est pas Lepage qui nous impose ce regard technicien sur nous-mêmes, il ne fait que présenter une production techno-esthétique sur l’histoire du Québec. C’est « nous » qui faisons d’une telle production le cœur d’une commémoration que nous disons réussie. Cela en dit beaucoup sur notre rapport à l’histoire et à la mémoire. Nous nous complaisons dans une représentation historique où nous sommes les effets des machines plutôt que la cause de notre histoire.

    Texte à paraître dans le numéro printemps-été 2009 de la revue Argument (vol. 11, no. 2).

     


    *Est paru : Le Moulin à images/The Image Mill, Robert Lepage, Ex Machina, 2008.

    1. « Par quatre chemins », Au fil des événements (Le journal de la communauté universitaire), Université Laval, Québec, le 28 août 2008.

     

     

     

  • Jacques Folch-Ribas : Les pélicans de Géorgie

    Jacques Folch-Ribas : Les pélicans de Géorgie

    L’œuvre de Jacques Folch-Ribas compte, depuis les années soixante-dix, une douzaine de romans – parmi lesquels le très beau La chair de pierre évoquant la construction de la basilique à Québec. Cette œuvre (qui comprend aussi des essais sur l’art) se nourrit d’une expérience riche et diversifiée.
    Originaire de Catalogne, de culture française, vivant à Montréal depuis de longues années, Jacques Folch-Ribas a été architecte, journaliste à
     Combat, le quotidien fondé à la Libération par Camus, chroniqueur à la radio et à la télévision, et il est écrivain de première force.

    Les personnages de ses récits, brefs pour la plupart, semblent toujours en mouvement, passant d’un lieu, d’une occupation, d’un partenaire amoureux à l’autre, poussés par un désir et par une angoisse. Ils apparaissent, disparaissent, se retrouvent à l’improviste, se séparent sans que l’on sache, ou qu’ils sachent, bien pourquoi. Ainsi dans Les pélicans de Géorgie1, le narrateur arrive à Savannah pour y rencontrer un collectionneur d’art. Passionné de dessin, il s’est engagé dans l’engrenage d’une activité moins noble : on devine qu’il est devenu faussaire et ses fréquentations, elles aussi, sont douteuses. Dans cette ville du Sud, pleine de fleurs, d’odeurs, de palmiers et de chênes, indolente et colorée, qui incite au farniente, où l’alcool coule à flots, vivent de curieuses figures qui s’abandonnent au présent facile et ne se préoccupent guère du lendemain. Mais leur passé est loin d’être transparent ! Il se révèle peu à peu, au fil de conversations souvent interrompues, livrant des renseignements partiels et contradictoires qui laissent celui qui veut savoir, narrateur et lecteur, sur sa faim. L’art du récit tient ici beaucoup à cette fragmentation, à cette incomplétude qui demeure jusqu’à la fin et qui n’est pas seulement un arbitraire esthétique.

    Un peintre d’une probité douteuse, donc, comme son client, comme Théo l’avocat qui n’est pas sans reproche, non plus que le « Capitaine », ancien policier. Et il y a les femmes. Ada la belle et sculpturale Noire qui, entre autres ressources, conduit un taxi et pose pour le narrateur. Et surtout cette étrange, cette insaisissable Marie qu’il a connue à Paris peu après la guerre alors que tous deux étaient étudiants en architecture. Quel périple a-t-elle accompli, par quels détours se retrouve-t-elle tenancière d’un club à Savannah ? Cette femme, elle aussi d’une grande beauté sensuelle, d’autant plus fascinante qu’elle tient à distance ses soupirants, attire les hommes prêts à se sacrifier pour elle, comme le pélican le fait pour nourrir ses petits. Elle est le véritable centre du roman, son foyer magnétique et, pourrait-on dire, sa raison d’être.

    Elle est devenue avant Savannah l’épouse d’un professeur de Harvard qu’on retrouva un beau jour assassiné. Quel rôle exact joua Marie devenue riche héritière grâce à un testament établi par Théo, le soupirant jamais découragé et sans doute parfois récompensé ? Quand le narrateur quitte la ville, il s’interroge : « Qui êtes-vous, Ada, aujourd’hui ?… Votre visage […] bouge et change sans arrêt ». Et « qui est Marie, aujourd’hui ?… Couverte d’hommes durant des années, soupirants, attentifs, la voulant seuls, jaloux, enragés, et maintenant enfouie dans cette ville enveloppée d’histoire, endormie, morte de n’avoir pas gagné une guerre, où se réfugient les bonheurs sans relief. Une femme sans visage, de dos, esquissée, qui regarde un tabouret ».

    Les questions demeurent sans réponse. La tentative pour y répondre échoue, tout comme, selon un symbole récurrent, échoue le dessin qu’a voulu faire le narrateur de la belle Ada. Pas d’intrigue serrée dans ce roman écrit d’une main légère qui donne aux phrases le rythme juste et sait ménager les silences. Le récit, en effet, ne peut appuyer, il ne peut viser l’effet dramatique : avec subtilité il évoque un glissement, les variations continuelles des rapports entre les êtres, leur ambiguïté, leur flou. Si le désir qui les pousse les uns vers les autres y est célébré dans son ardeur et sa volatilité, il y est pour cette raison même redouté. À travers la possession charnelle de tel ou tel ou tel individu, au-delà d’elle, c’est la Beauté qui est cherchée. Elle se dérobe. Les personnages, souvent inconscients de leur plus profond désir, eux aussi s’échappent. Une fois encore, et ici avec beaucoup d’art, un roman illustre ce constat fondamental : nous ne pouvons jamais connaître la vraie nature des êtres, seulement saisir des moments successifs de leur vie quand ils passent devant nous en un chassé-croisé sans fin.

     


    1. Les pélicans de Géorgie, Boréal, Montréal, 2008, 151 p. ; 19,95 $.

     

    EXTRAITS

    Et puis, on dit que les pélicans sont les seuls oiseaux qui refusent obstinément d’aller chez les Yankees, malgré les innombrables poissons qu’ils y trouveraient. Les pélicans concentrent leur vie au Sud, chez les Confédérés, particulièrement en Géorgie, mer et plaines, lacs et rivières, et même montagnes. Ce sont de véritables Géorgiens. Voilà pourquoi on appelle les gens d’ici des Pélicans.
    Les pélicans de Géorgie, p. 21-22.

    Ada me décrivait la campagne de Géorgie où elle avait passé, disait-elle, quelques années de son adolescence : « Il y a des champs interminables, vallonnés, parfois on peut voir très loin jusqu’aux forêts de sycomores et de pins. Tante Sarah disait : N’y allez jamais, vous rencontrez un chasseur, un vagabond, un soldat nordiste, la pire des races, n’importe qui, vous êtes mortes. Tante Sarah exagère toujours. »
    Les pélicans de Géorgie, p. 13.

    C’était la deuxième fois que je me rendais à Savannah. J’avais attendu plus de trois semaines après ma première visite au collectionneur de mon cœur que je considérais déjà comme un futur client. De quoi le rendre malade d’inquiétude, ce Mister Brozic C’est loin, Savannah. Comme dirait Hiro San, cet ami du Japon qui ne parle qu’en haïkus : Tout est loin / de l’endroit / où je suis
    Les pélicans de Géorgie, p.14.

    À l’époque, j’étais fortement engagé dans une organisation internationale de vente d’art. De vente de peintures, surtout, huiles, gouaches, dessins, aquarelles. Nous proposions trois sortes de tableaux. D’abord, des originaux, difficiles à dénicher, parfois volés durant la guerre un peu partout dans les pays occupés, c’était le plus petit nombre – le recel n’est pas notre fort, nous craignons les flics des assureurs qui finissent toujours par retrouver la marchandise ; puis, des copies souvent heureuses, détournées de leur vocation de copies, signées et datées avec talent après vérification que l’original était en des mains secrètes de collectionneurs fous, hors du circuit des experts et des galeries ; et enfin, des plagiats, les plus nombreux […].
    Les pélicans de Géorgie, p. 16.

     

     

     

     

  • La révolution tranquille, mythe ou réalité ?

    L’élégance de Daniel D. Jacques rend sereine la discussion d’un thème délicat : l’agonie de la ferveur souverainiste au Québec. L’auteur de La fatigue politique du Québec français1 n’édulcore aucune perception, si barbelée soit-elle, mais jamais il ne s’abaisse au cynisme ou aux épithètes blessantes. Ses questions alertent pourtant les nerfs. À quoi répondait l’aspiration souverainiste ? Quels méandres de l’histoire rendent improbable sinon indésirable le projet d’indépendance ? Aux réponses requises, Jacques ajoute, à juste . . .

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  • Paroles de survivants

    Paroles de survivants

    Génocides et camps de concentration forment une réalité proprement indicible parce qu’elle atteint et dépasse nos capacités de résistance comme celles de l’expression. Pour tenter d’en parler, les mêmes mots usés sont repris sans cesse car on sait bien, cette répétition le montre, qu’ils sont inadéquats et impuissants. Et cependant, depuis plus d’un demi-siècle, cette réalité a fait surgir une littérature abondante qui ne cesse de s’accroître : récits de . . .

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  • Suzanne Aubry : Dépoussiérer l’histoire (entrevue)

    Suzanne Aubry : Dépoussiérer l’histoire (entrevue)

    Le roman historique est un genre très prisé du public. Bon an mal an, il en sort quelques dizaines, dont plusieurs ayant pour cadre le Québec d’hier, ou celui d’avant-hier.
    Avec Fanette, À la conquête de la haute ville1, premier volume d’une fresque qui comprendra à terme six volumes (publiés chez Libre Expression), l’écrivaine et scénariste québécoise Suzanne Aubry nous plonge dans le Québec du XIXe siècle. Une société en plein essor . . .

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  • Arthur Koestler : Les prisons de l’histoire

    Arthur Koestler : Les prisons de l’histoire

    C’était une prison extrêmement humaine, et presque aimable – pique-nique au bord des tombes.
    Un testament espagnol, 1939

    Arthur Koestler1 est né le 5 septembre 1905 – la même année que Jean-Paul Sartre – à Budapest. Il est issu de l’« ancien monde » façonné par l’Empire austro-hongrois,qui chapeautait une mosaïque de nations. Son père était hongrois, sa mère autrichienne, l’un de ses grands-pères russe et l’autre tchèque. C’est dire . . .

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  • Louise Portal, vocation : amoureuse

    Louise Portal, vocation : amoureuse

    Lire Louise Portal ne se révèle pas tant une aventure littéraire qu’une incursion dans le parcours d’une femme à la recherche d’elle-même et de l’amour. Bien avant d’apparaître sur scène et sur les écrans, Marie Jeanne Louise Lapointe avait fait de l’écriture son moyen d’expression.

    En effet, déjà à l’âge de quatorze ans, l’adolescente romantique confiait rêves et émotions à son journal intime. Depuis lors, un cahier l’accompagne où qu’elle aille, dans lequel elle décrit et analyse les variations de . . .

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  • L’Amérique latine : Perspectives pour l’avenir d’un passé incertain

    L’Amérique latine emprunte présentement une voie différente de celle du reste du monde occidental. Alors que les élites et les populations locales d’Europe et d’Amérique du Nord élisent des gouvernements de droite avec le mandat de réduire la taille de l’État (selon l’expression consacrée), de nombreux pays latino-américains choisissent le chemin inverse et privilégient les moyens de contrer la puissance du marché mondial, et ce, au grand bonheur des militants de gauche qui peuvent ainsi se remettre à rêver qu’un « autre monde est possible . . .

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  • Thomas Bernhard

    Thomas Bernhard

    Un jour, un ami m’avoua qu’il avait été incapable de lire Thomas Bernhard parce que c’était trop sombre. Oui, c’est une œuvre franchement pessimiste. Mais comme dans une pièce où il ferait complètement noir, disons un cachot, la lumière qui surgit, même faible, devient pour celui qui la voit essentielle, elle redonne au monde des ténèbres une vie précieuse. Pour dire simplement, il fait bon entendre de la bouche d’un misanthrope dépressif la raison qu’il trouve à vivre.

    L’occasion se prêtait enfin de . . .

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  • La poésie québécoise : Des origines à nos jours

    La poésie québécoise, Des origines à nos jours1 est devenu un passage obligé en poésie. Les lecteurs, nombreux, qui possèdent l’édition antérieure datant de 1986 (ou de 1990) devront à tout prix se procurer la nouvelle, revue et grandement augmentée. Sans se débarrasser de l’ancienne. Car, malheureusement, comme beaucoup de choses dans la vie, certains poèmes ont vu leur vie (publique) écourtée.

    Dans leur premier regroupement, les anthologistes Pierre Nepveu et Laurent Mailhot, bien de leur temps, avaient fait une large place à une poésie plus hermétique et formaliste, une esthétique qui se révélera un peu moins importante vingt ans plus tard. On regrettera ou non les noms de Jean-Yves Collette, Michel Gay ou Jean-Michel Valiquette, mort à 19 ans, dont l’œuvre, « rageuse et visionnaire », disait-on, était « annonciatrice des nouveaux courants de la poésie québécoise qui se sont développés à partir de 1970 ». De René-Louis Chartier de Lotbinière, auteur du « premier poème écrit par quelqu’un qui a fait ses études au Canada », à André Beaudet, qui incarna la modernité rationaliste québécoise, ils sont une vingtaine de poètes à être effacés de cette petite histoire. À cet égard, la suppression de Michèle Lalonde et de son « Speak White » est discutable. Même si ce poème, d’un point de vue idéal, n’a pas une valeur hautement esthétique, il a marqué au moins une génération de lecteurs, sinon plusieurs. Plus compréhensible est la disparition de Jacques Godbout poète, un auteur surtout apprécié pour ses romans et ses essais.

    On enlève pour ajouter. Et malgré tous ces retraits, une centaine de pages viennent augmenter l’épaisseur d’un livre déjà volumineux. Les premiers noms nouveaux, selon leur date de naissance : Éléonore Sioui (1925), première Huronne-Wendat à publier un recueil au Québec, Anthony Phelps (1928), né à Port-au-Prince, et D. G. Jones (1929), originaire de l’Ontario. On le voit, la notion de « poésie québécoise » s’est élargie depuis les années 1980. Par ailleurs, quelques « oublis » ont enfin droit de figurer sur la liste des élus. On nommera Louky Bersianik, une voix importante de l’écriture féminine (ou féministe) au Québec, et Denise Desautels.

    Les autres, ils sont une quarantaine, jeunes poètes et moins jeunes, dont l’œuvre a marqué plus récemment le genre. On pourrait déplorer quelques absences. Mais seul le temps nous dira si une Kim Doré, un Louis-Jean Thibault ou une Tania Langlais étaient de meilleurs choix qu’un Mario Brassard, un Jean-Simon DesRochers ou un Tony Tremblay.

     


    1. Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise, Des origines à nos jours, Typo, Montréal, 2008, 754 p. ; 19,95 $.

     

    EXTRAITS

    OBEDJIWAN

    Obedjiwan
    La ouate
    De tes neiges
    Sans fin
    Renferme
    Les glaçons
    Aigus
    Argentés
    Des sanglots
    Perdus.
    Éléonore Sioui, p. 239.

    POUR LA SUITE DES CHOSES

    La lune est au large et la poussière
    retombe sur les objets pour un temps partagés.
    Toute la nuit, je regarde la frange de l’horizon
    comme on observe au loin
    s’ébattre la mer : statufié
    dans l’insuffisance des mots.
    Sous les ponts on entend passer le fleuve
    avec ses ondes vertes, bleues et rouille ;
    elles viennent se fracturer
    contre les rampes des piliers,
    et je comprends qu’il faut à nouveau
    me dessaisir de mes vêtements
    comme on le fait aux pieds d’une femme
    avant de se lancer dans le noir et les remous.
    Louis-Jean Thibault, p. 727-728.