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Auteur/autrice : Neal
L’autre et le poème
DOLLARD DES ORMEAUX
Pseudo d’Alfred DesRochers, La Tribune, 193L’autre : Alors, par quoi voulez-vous commencer ?
Moi : Peut-être en disant mon amour pour la poésie, pour toutes les poésies et aussi pour les livres de poèmes qui m’apparaissent comme l’autre par excellence. En effet, cette étrange lumière qui s’échappe des recueils quand on les ouvre est une présence dont on fait l’expérience par une lecture, non pas de distraction . . .
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Une alchimie de l’imposture
COLBERT BOUCHER
Pseudo de Rodolphe Laplante, La Revue Desjardins, 1943 et L’Épargne, 1949D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu recommencer ma vie, dans une sorte de bégaiement à cheval entre l’esprit et le corps. Virus de l’écriture, de la réécriture, quand en retrait de la parole on peut reprendre mille fois la bouche, multiplier les repentirs, scarifier la page et ses carences avant que sonne l’heure de tombée, ou qu . . .
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Généalogie littéraire (Hilda Doolittle)
En effet, je n’ai pas lu ce livre publié en 1986, acheté probablement la même année, rangé dans ma bibliothèque et conservé jusqu’à maintenant. Il y a eu des déménagements, j’ai donné beaucoup de livres, celui-là est sur ma table de travail. Sa couverture blanche n’est plus impeccable. L’élégance des livres des éditions des Femmes reste, sobriété, classicisme, littérature. Le titre Hermione, le nom de l’auteure H. D., indication d’origine : traduit de l’américain par Claire Malroux. La quatrième de couverture nous apprend . . .
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Éric Charlebois ou la langue matérielle
Au moment de publier son premier recueil en 2002, c’est vers son ancien professeur, Robert Yergeau, que se tourne Éric Charlebois. Alors directeur des éditions du Nordir, Yergeau accueille cette voix qui dit l’Ontario français dans son éclatement et ses peurs. Originaire de l’est, le jeune poète revient alors d’un séjour dans le Nord qui l’a marqué. « Hawkesbury et Sudbury jouissent de la même terminaison / d’enterrement », remarque-t-il dans Faux-fuyant (Le Nordir, 2002).
Il est vrai que la poésie d’Éric Charlebois est située, les sept recueils qui suivront ce premier livre en témoignent. D’abord située géographiquement, sa langue parle d’un pays qui n’existe pas tout à fait. C’est celui de cet homme qui « s’immobilise / comme le soleil dans / le nord de l’Ontario » (Péristaltisme, Clystère poétique, David, 2004), mais aussi de l’homme qui se souvient de l’enfance « à l’est de tout » où « [il] secouai[t] le soleil pour qu’il se levât » (Compost-partum, David, 2014).
Situé, ce travail du langage l’est aussi politiquement. Dès son premier recueil, Charlebois s’intéresse à la figure du minoritaire : « Je verse du lait dans mon verre de crème de menthe. / Les deux substances demeurent superposées, / refusent obstinément de fusionner / comme le personnel enseignant d’une école bilingue / du nord de l’Ontario » (Faux-fuyant). Plus tard, dans Centrifuge, Extrait de narration, poésie faite de concentré (David, 2005), il évoquera ces erreurs qui « sont / bilingues et / unisexes / comme un / magasin ».
Mais c’est aussi par leur forme que ces recueils sont situés dans leur contexte particulier. Avec cette poésie de l’abondance et de la profusion, cette rencontre entre le ludisme du langage et une sourde douleur de vivre, Éric Charlebois s’inscrit en droite ligne avec l’oralité caractéristique de la génération précédente de la poésie franco-ontarienne tout en tentant de trouver cette langue qui témoignerait de son époque.
La matière d’une génération
Nous pourrions parler d’une matérialité générationnelle. Convoquant les traces du quotidien, le poète se met en bouche dès ses premiers livres le vocabulaire culturel et industriel qui fait de son cœur « une planche de Cranium / jonchée de féculents » (Péristaltisme) ou évoque la « pastille Halls / dans la gorge de / la Grande Ourse » (Cinérite, Fertilité des cendres ou tradition du mouvement, David, 2006).Dans le recueil Circatrices (David, 2008) apparaissent pour la première fois les marques associées à leur symbole de copyright : « Mon cœur est en béton, à l’épreuve du sang. / Mon cœur est en Goretex™, à l’épreuve des larmes. / Mon cœur est en tain, à l’épreuve des autres. / Mon cœur est en verre, à l’épreuve de moi ». Ce procédé, qu’on retrouve aussi dans le recueil Lucarnes (David, 2009), sera largement utilisé dans son dernier livre, Compost-partum. Plus qu’un caprice, la marque de commerce ainsi affichée dit l’époque, tout en rappelant comment les objets – souvent désignés par leur marque – sont des piliers de nos parcours, et plus particulièrement de l’enfance. Ici, ce sont Pyrex®, Vim™ et Sunkist® qui deviennent des métaphores du temps qui passe autant que des traces culturelles comme peuvent l’être Jeopardy, les barres granolas ou le lait au chocolat en grumeaux. « Mon sac d’école était en simili cuir et ma boîte à lunch affichait des superhéros : / tout était déjà si authentique », rappelle-t-il dans Compost-partum.
Père et mère
Il faut dire que la préoccupation de l’enfance chez Charlebois s’accompagne d’une préoccupation de la filiation. Les images autour de la césarienne – et du monde obstétrical en général – parsèment l’ensemble de son œuvre. Le poète se demande d’où il vient, d’une façon à la fois matérielle et existentielle. Si parfois il sculpte « un sourire luisant et aligné comme / le plancher de céramique d’une salle d’accouchement » (Péristaltisme), ailleurs il rappelle être « né avec le vertige » (Circatrices).La figure du père, très présente dans la poésie de Charlebois, apparaît dès son premier recueil sous les traits de celui « qui conduit comme un homme en retard sur sa vie » (Faux-fuyant) pour mener son fils vers le Forum de Montréal. La culmination de ce motif se trouve sans doute dans le recueil Circatrices, où certains poèmes comme « We deter » s’apparentent à des slams. À travers la force modulable du langage, le fils cherche à fixer la figure du père. « Je ne perds pas ; / je père / une aube », conclut-il, tentant de faire la paix avec ce qui l’a précédé.
La figure de la mère, pour sa part, hante le recueil Le miroir mural devant la berceuse électrique (David, 2012). Elle est celle qui peut répondre à mille questions : « Maman, pourquoi la vie si périssable, si perfectible, / si en détresse, / si vespérale, / donc si espérée ? » Dans Compost-partum, le recueil qui suivra, la mère se révèle plutôt dans sa rigidité et ses souffrances. C’est elle qui est responsable du « silence d’un verre de lait obligatoire », alors que l’ancien enfant se rappelle avoir été « sa bouée éventrée ». Il ajoute : « Elle m’a vite sensibilisé à la futilité du pléonasme : / aimer sa mère ». Il y aurait donc de l’amour dans l’insuffisance parentale ?
Amour qui ne convainc pourtant pas le poète de mettre le pied dans le cycle de la filiation : « Je croyais dur comme fer / fondu / que / je serais un mauvais père. / J’aurai eu tort : je ne serai pas père » (Compost-partum).
L’amour impossible ou le corps incontournable
Cette figure de la non-paternité est sans doute le corolaire de celle de l’amour, vécu souvent comme impossible. « Je te trompe avec celle / que tu deviens », souligne le poète dans Lucarnes avant d’ajouter qu’« il y a deux coquelicots, / fleurs de pavot, / sur le champ de bataille / cartographié de tes seins ». Parce que si l’amour est difficile chez Charlebois, le corps, lui, est incontournable.Ici, rien du corps ne semble devoir relever de l’innommable. Des sphincters aux lochies, c’est dans la corporalité nommée que la rencontre se réalise. Dès son deuxième recueil, le poète affirme : « Tu fais corps avec la poésie / Corps tellurique. / Silicium. / Cilice. / Anathème. / Tu fais poésie avec le corps » (Péristaltisme).
Et ce corps-texte, c’est aussi le terrain de jeux d’une série de métaphores vives qui forcent le lecteur à se souvenir des images qu’il a vues sans savoir les nommer, comme « ses cheveux / un mélèze / sur la neige / de son visage », ou encore à les inventer, tels « ses pieds / un catamaran / dans ton / atlantique / sensualité » (Centrifuge). Malgré le corps qui se rencontre, oserait-on dire, la relation tourne à vide et devient rapidement ce lieu où « on s’entendait / se taire » (Le miroir mural devant la berceuse électrique).
Ainsi, s’il faut retenir d’Éric Charlebois la vivacité de son travail métaphorique, la parole comme un trop-plein qui doit se dire, il serait triste d’oublier que ses vers sont aussi les reflets d’une époque en quête de repères. Quand la filiation fout le camp, quand l’amour manque d’ancre – ou d’encre –, c’est dans la matérialité qu’on peut se creuser un sillon de sens. La matière, c’est le corps, y compris dans ses tabous. Ce sont les objets, aussi industriels soient-ils. Et les mots, bien sûr, au cœur de l’expérience même de dire.
Le ludisme de la langue ou l’abondance de la parole ne doivent donc pas cacher le témoignage d’une
douleur de vivre dans laquelle nous pouvons tous nous reconnaître. Dans le quotidien tel que le dépeint Charlebois, chaque objet peut devenir le témoin d’un parcours qui ne tourne pas très rond telle « la cuiller [qui] te renvoie un véritable reflet / de toi-même : / à l’envers » (Péristaltisme). D’ailleurs, les nombreuses références à la mort – ou au « désenvie » de naître – soulignent la fragilité de la motivation dans un parcours qui expérimente le doute et le met en page, non seulement dans le choix des thèmes, mais aussi dans les jeux de langage.Derrière la plasticité de cette langue, certains espaces demeurent toujours trop restreints. « Ton cœur est un appartement / à une chambre, / chauffé et éclairé, / sans four, sans eau chaude pour le bain, / sans stores, sans rideaux / pour cacher / décembre / éternel / en étain terni » (Centrifuge).
EXTRAITS
Tu t’endors comme un nourrisson
et te réveilles comme un homme :
les cheveux-épingles à linge,
les yeux-pistaches
et l’haleine-naphtaline.
« Traits d’union » dans Centrifuge, Extrait de narration, poésie faite de concentré, p. 68.Et si le ciel seul
était seuil
plein comme
une joue.Géophobie.
Lorsque s’écroule le plafond,
il tombe sur la tête.
Lorsque s’effondre le ciel,
il tombe sur le cœur.
« Marsupiaux » dans Cinérite, Fertilité des cendres ou tradition du mouvement, p. 12.Les tuques bleues d’Anne-Marie Sicotte
Ils sont nombreux les ouvrages consacrés aux effervescences de la décennie 1830 ; Anne-Marie Sicotte1 en renouvelle pourtant la description. À tel point que Saint-Denis et Saint-Charles, au lieu de constituer les sommets de la protestation, en deviennent les corollaires tristement prévisibles. L’histoire, entre ses mains, fait l’impasse sur les dates et les noms illustres pour redevenir la marche du peuple vers son destin.
Dès les premières pages du récit, la langue affirme ses . . .
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L’Olympe de l’écriture (L’Iliade et L’Odyssée)
Il y a plusieurs livres que je n’ai pas lus et que j’emporterais en voyage, comme Le colosse de Maroussi de Henry Miller, acheté en 1986, que je comptais apporter en Grèce ; mais je ne m’y suis pas encore rendu. Ce jumelage est toutefois à l’origine d’une méthode d’écriture : intégrer le voyage à la fiction que j’écris, et un livre au voyage de ma fiction. C’est peut-être en souvenir de ce projet grec en suspens que j’ai emporté Sexus de Miller au Costa Rica quand je me suis mis . . .
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Georges Limbour (1900-1970)
Malgré les efforts de ses célèbres amis Michel Leiris ou Louis Aragon, Georges Limbour (1900-1970) reste un auteur peu connu, fort goûté d’un cercle d’aficionados, mais aujourd’hui presque absent des rayons des librairies.
Cette discrétion a été en partie voulue par l’auteur, peu soucieux de rassembler ses récits dispersés en revues ou son abondante production critique, qui fait pourtant de lui après la guerre un critique d’art reconnu. Voyageur impénitent, vagabondant entre les genres, Limbour, entre rire et émerveillement, interroge dans sa marche l . . .
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Les versets sataniques de Sir Ahmed Salman Rushdie
C’est comme une vieille habitude : j’entre dans une librairie avec l’intention d’acheter Les versets sataniques, j’en ressors avec deux ou trois livres sous le bras, mais pas l’ombre d’un verset. Ma main survole le livre en question, finit par s’en saisir, à contre-cœur, je dirais, le feuillette un moment, le redépose et va tout naturellement se poser ailleurs.
Jusque-là, rien de grave. On lit autre chose, voilà tout. Mais la question demeure, précisément celle que pose la rubrique du « Livre jamais lu » : pourquoi lit-on tel livre . . .
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Maurice Henrie : Écrire au hasard de l’espace
Romancier, mais surtout auteur de neuf recueils de nouvelles, de récits brefs et de portraits, Maurice Henrie est un homme fasciné par le hasard. Celui qui, encore enfant, suivait sa famille au gré de nombreux déménagements dans les petites villes et villages de l’est de l’Ontario ne cesse de reproduire l’éclat de ces instants-seuils où le sens a basculé et emporté avec lui la suite de tout récit.
Si les dizaines de personnages mis en scène par Henrie, autant dans les récits de fiction que dans les textes plus autobiographiques, mettent beaucoup d’efforts à prévoir, organiser et mener à bon terme les étapes successives de leur existence, ces précautions n’empêchent jamais l’inattendu de rompre l’enchantement et de frapper durement au cœur de la tranquille continuité. Dans ces moments de choc et de transformation, la conscience se trouve littéralement déroutée par des forces maléfiques dont elle pressentait l’existence, mais qu’elle avait cru conjurer en instaurant à la surface du quotidien une fragile logique du temps. La nouvelle est alors avant tout chez Henrie une histoire interrompue au moment même où chacun commençait à y croire. Ainsi, pour ce maître du récit bref, l’un des auteurs franco-ontariens contemporains les plus achevés, la pratique nouvellière reste le mode même de l’inattendu, car le hasard y opère, au moment où chacun s’y attend le moins, des mutations profondes dont l’issue reste toujours imprévisible.
Dans L’enfancement1, le dernier recueil de récits autobiographiques publié par l’écrivain en 2011, les bonheurs simples de l’enfance et les rituels familiaux qui en forment les contours sont marqués par des fractures temporaires du sens, des moments d’étonnement dont on ne revient pas. Ainsi, la mort, la maladie, le conflit, le geste de violence, le refus et l’abjection sont autant d’intrusions fracassantes dans la matière lisse et prévisible de l’existence quotidienne. Chez Henrie, l’écriture se penche avec tendresse et pudeur sur ces scènes de tous les jours où l’angoisse affleure inévitablement. Dans la distance que lui confère son âge avancé, le narrateur ressemble plutôt à un témoin sympathique que rien ne laisserait indifférent. Le moindre détail l’amène à s’interroger sur le cours incertain du temps, comme s’il était le condensé vivant de la destinée des gens sans prétention qui l’entourent. Pas plus que les autres, il ne sait ce qui adviendra. Les années écoulées, aperçues de loin avec « étonnement et nostalgie »2 , ne lui confèrent aucune maîtrise particulière sur le hasard. Au contraire, vieillir a marqué son entrée dans le monde du « clair-obscur, du contre-jour, des demi-vérités »3. Seule l’écriture parvient à orchestrer les discontinuités du temps, parce qu’elle est de l’ordre de la naissance et du recommencement et qu’en cela elle contourne provisoirement les forces obscures qui emportent tout dans l’oubli.
Depuis les toutes premières publications à la fin des années 1980, ces préoccupations traversent l’ensemble des nouvelles de Maurice Henrie et permettent de construire une série de tensions très particulières. Dans La chambre à mourir (1988) et dans Le pont sur le temps (1992), la quiétude fraternelle des paysages et des situations ne parvient guère à résoudre l’angoisse de la mort soudaine, celle qui vous terrasse en plein milieu d’un geste parfaitement anodin. Dans certaines nouvelles de ces deux recueils très unifiés, la peur du hasard éloigne le personnage de sa communauté d’origine et provoque chez lui des comportements irrationnels. Quelle est cette sourde menace qui s’abrite dans le quotidien le plus banal et qui se manifeste dans ces moments de rupture ? Refusant de s’attarder inutilement à ces questions sans réponse, les personnages des nouvelles préfèrent gagner du temps. Le détour est donc leur mode de fonctionnement fondamental.
C’est pourquoi, dans deux de ses œuvres les plus importantes, l’écrivain a recours à l’allégorie. Dans Une ville lointaine, roman majeur paru en 2001, Odette part à la recherche d’Antoine, son époux mystérieusement disparu un matin alors qu’il prenait tranquillement son café dans une maison de banlieue comme toutes les autres. Ayant convaincu ses voisins de partir avec elle, la femme s’engage dans une aventure mythique qui les forcera tous à traverser par une série d’allers-retours l’ensemble du continent et les amènera enfin aux abords de la ville fictive d’Escanaba. Cependant, ce qui semblait être la fin tant attendue d’un long parcours vers la réunification et l’accomplissement du désir n’aura l’apparence en ces dernières pages que d’un puissant mirage. L’espace de la disparition, que pouvait sans doute être Escanaba, la « ville lointaine », se définit alors comme un vaste tracé diasporal qui, partout, signe les contours de l’Amérique. Emportés soudainement par les forces de l’imprévisible, Antoine et Odette sont l’image même d’une géographie élargie et sans borne que le roman, plus que la nouvelle, permet de cadastrer de façon privilégiée.
Dans Le chuchotement des étoiles, publié en 2007, l’espace romanesque se distend au point de se rompre. Nous sommes très loin du comté ontarien de Prescott-Russell, ce lieu d’enracinement que décrivent avec tant de minutie les nouvelles et les portraits d’enfance. En effet, dans ce roman d’Henrie, le couple essentiel, aujourd’hui à la retraite, est transporté cette fois dans une galaxie aux confins de l’univers. L’espace fantasmé reste pourtant étrangement familier. L’homme et la femme habitent une maison comme toutes les autres, parlent au téléphone avec leurs enfants aujourd’hui indépendants et font régulièrement la navette avec la Terre. L’âge ne les a pas séparés, bien qu’ils se soient retrouvés ensemble dans cet écart vertigineux par rapport à leur ancienne existence. La dérive spatiale qui les a soutirés au régime terrestre répond plus que jamais aux lois du hasard. Pourraient-ils vivre éternellement dans l’opacité des étoiles qu’ils ne le sauraient pas. Les lieux où ils se sont installés en misanthropes sont parcourus par des « naines blanches et des météorites, qui sont si imprévisibles et si difficiles à repérer ». Si Le chuchotement des étoiles reste une des œuvres les plus étranges du romancier, sa construction si obsédante des lois du hasard sidéral renvoie aux préoccupations les plus profondes de l’écrivain sur l’imprévisibilité de toute fin. Armés de leurs convictions et de leurs désirs, les personnages qui peuplent les récits de Maurice Henrie depuis 25 ans témoignent de la discontinuité des espaces identitaires et d’une quête incessante du recommencement.
1. L’enfancement, Prise de parole, Sudbury, 2011, 280 p. ; 23,95 $.
2. Ibid. p. 11.
3. Le jour qui tombe, p. 107.Maurice Henrie a publié :
La chambre à mourir, nouvelles, L’instant même, 1988, (prix Ottawa-Carleton) ; La vie secrète des grands bureaucrates, humour satirique sur la bureaucratie, Asticou, 1989 ; Le petit monde des grands bureaucrates, humour sur la bureaucratie des fonctions publiques canadiennes, de Mortagne, 1992 ; Le pont sur le temps, nouvelles, Prise de parole, 1992 (prix Ottawa-Carleton) ; Le balcon dans le ciel, roman, Prise de parole, 1995 (Prix du Salon du livre de Toronto, prix Trillium et prix Ottawa-Carleton) ; La savoyane, nouvelles, Prise de parole, 1996 ; Fleurs d’hiver, essais et nouvelles, Prise de parole, 1998 ; Une ville lointaine, roman, L’instant même, 2001 (Prix des lecteurs Radio-Canada) ; Mémoire vive, nouvelles, L’instant même, 2003 (Grand Prix du livre d’Ottawa, prix Le Droit) ; Les rosés et le verglas, nouvelles, Prise de parole, 2004 (Grand Prix du livre d’Ottawa) ; Le chuchotement des étoiles, roman, Prise de parole, 2007 ; Esprit de sel, carnets littéraires, Prise de parole, 2008 (Grand Prix du livre d’Ottawa) ; Le jour qui tombe, nouvelles, L’Interligne, 2009 ; L’enfancement, récits, Prise de parole, 2011.Le conservatisme au Québec et le gouvernement Harper
Deux essais parus fin 2010 traitent du conservatisme au Québec et du gouvernement conservateur de Stephen Harper, qui dirige le Canada depuis 2006. Le conservatisme au Québec, Retour sur une tradition oubliée1 est un ouvrage de Frédéric Boily, professeur de science politique à l’Université de l’Alberta. Et, Contre Harper, Bref traité philosophique sur la révolution conservatrice2 a été écrit par Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie de l’Université de Montréal.
Frédéric Boily s’est déjà intéressé au même thème dans La pensée . . .
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Roméo Dallaire : Ils se battent comme des soldats, ils meurent comme des enfants
La cause est noble, le croisé fidèle à ses certitudes, mais le plaidoyer1 n’emporte pas l’adhésion. Roméo Dallaire, militaire recyclé dans la dénonciation du recours aux enfants soldats, se bat contre une ignominie, mais il ne démêle pas suffisamment l’écheveau des causes pour la pallier.
L’insertion des enfants soldats des deux sexes dans de nombreux conflits lève le cœur. L’Afrique vit le gros du fléau et Dallaire explique honnêtement pourquoi : découpage géographique bafouant les cultures, comportements aliénants des États impérialistes… « À l’époque . . .
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Jan Outis ?? : Remarques sur les origines d’un livre
« Que cherche-t-on dans l’origine ? De quoi innerver et modeler chaque présent qui lui succède », écrit Jan Outis dans la conclusion de Remarques sur les origines de la peinture qui suit Le lézard, l’araignée et l’ange1. Propos fort à propos, si l’on peut dire, dans la mesure où il concerne peut-être l’origine même de ce petit livre. Métalangage donc, ou délire d’une lectrice travaillée par cette quête de l’origine ?
N’importe quelle œuvre est inextricablement liée au contexte qui l’a vue . . .
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Feu ! feu ! Joli feu ? Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier
Jocelyne Saucier n’est pas une vedette, une star flamboyante du scintillant univers du spectacle que devient de plus en plus la littérature. Elle édifie depuis une quinzaine d’années, dans l’ombre, une œuvre romanesque qu’elle prend la peine et le temps d’approfondir. Cette discrète ténacité est en train de lui assurer progressivement la reconnaissance de lecteurs qui attendent des livres qu’ils renouvellent leur regard sur le monde et leur compréhension de l’existence.
Son précédent roman, Jeanne sur les routes, publié il y a cinq ans, faisait ainsi revivre l’Abitibi « rouge » des militants syndicaux et politiques engagés dans la lutte révolutionnaire pour changer le monde durant la période terrible de la grande crise des années 1930. Et ce à travers l’évocation imaginaire d’une histoire d’amour impossible entre un mineur marié, sympathisant du Parti communiste, et Jeanne Corbin, figure héroïque réelle de ce mouvement à l’époque. L’histoire personnelle, privée, des personnages croisait et recoupait dans ce roman, de manière très convaincante, le traumatisme social qu’a représenté la crise durant cette période de misère.On retrouve pour l’essentiel une conception romanesque de cet ordre dans Il pleuvait des oiseaux1 où une histoire d’amour peu banale entre deux vieilles personnes se profile sur une toile de fond constituée par les grands incendies qui ont dévasté le nord de l’Ontario au début du XXe siècle. Encore une fois l’univers réel de l’événement social et historique et le monde fictif d’une aventure amoureuse improbable sont entrelacés dans une narration qui se déploie sur un double registre, celui du récit historique et mémoriel et celui du conte et de ses vertus enchanteresses.
Incendies : la tragédie historique
Dans un premier temps, on trouve au centre du roman, comme le signale le narrateur anonyme qui ouvre le récit dans l’avant-texte qui lui sert de liminaire, « trois êtres épris de liberté », trois vieillards qui vivent en solitaires, sur le bord d’un lac logé dans la forêt abitibienne, et qui sont unis par un « pacte de mort ». Parvenus au terme de leur route, ils ont décidé en effet, en toute conscience et lucidité, de prendre congé par eux-mêmes de l’existence lorsque celle-ci, à leurs yeux, ne sera plus viable et pris l’engagement de s’épauler au moment du passage à l’acte.
Ces personnages singuliers, retirés du monde, véritables ermites, seront d’une certaine manière rejoints finalement par ce monde quand arrivera dans leur vie une photographe à la recherche de témoins des grands feux survenus près d’un siècle plus tôt dans le nord de l’Ontario. C’est elle qui prend en charge le récit et qui évoque d’abord la figure des vieux, et notamment celle d’Ed Boychuck, un rescapé de l’incendie de Matheson en 1916, qui depuis s’est réfugié dans le silence et la pratique de la peinture, revivant par ses tableaux le traumatisme éprouvé à l’époque. Boychuck demeurera un témoin muet, ne parlant qu’à travers ses projections picturales fantasmatiques. La photographe essaiera de retrouver la vérité qui se dissimule derrière des tableaux relevant, à première vue, d’hallucinations délirantes. C’est l’une des deux grandes dimensions du roman : la quête d’une vérité historique sur les grands feux et sur ceux qui les ont vécus dans leur chair vive.
Cette recherche chez la photographe est déclenchée par sa rencontre quelques années plus tôt avec une vieille dame, dans les rues de Toronto, qui lui avait confié être aussi une survivante du Grand Feu de Matheson. Dans la nuit d’encre noire créée par l’incendie, lui avait-elle confié, on voyait des « oiseaux qui tombaient comme des mouches ». C’est cette rencontre qui sert de déclencheur à la quête qui va conduire la photographe en forêt, à la poursuite de témoins qu’incarne et symbolise Boychuck. On apprend que celui-ci, adolescent, était amoureux de la vieille dame, Angie Polson, qu’il peint de manière obsessionnelle dans ses tableaux, expressions tourmentées de sa passion éperdue, puis perdue : il la croit morte depuis longtemps et essaie de la rejoindre désespérément par la création. Ses peintures reproduisent également, dans leur caractère dantesque, le choc de la fascination morbide et de l’hallucination éprouvées au moment du feu auquel il a échappé par miracle et qui l’a toutefois marqué d’une empreinte ineffaçable.
Le feu de la passion
C’est la ligne tragique du roman. Une seconde, plus souriante, va se construire et se développer à partir d’un autre élément déclencheur : la venue dans ce milieu de célibataires solitaires et renfermés d’une vieille dame, Gertrude, internée en clinique psychiatrique depuis plus de soixante ans et qui recouvre sa liberté au moment où elle devient octogénaire. Abandonnée à seize ans par sa famille pour cause d’aliénation mentale, elle est prise en charge par son neveu, Bruno, un personnage secondaire du roman, qui l’entraîne avec lui dans l’univers des vieux qui, au début, se montrent réfractaires à sa venue mais qui vont rapidement entrer en sympathie avec cette prosaïque Gertrude qui va elle-même se métamorphoser en une Marie-Desneige poétique, figure un brin mythique, émouvante et attachante.
Une idylle se noue bientôt entre Marie-Desneige et Charlie, un des membres du trio de célibataires, qui finissent par s’unir et qui vont troquer la forêt contre un petit village où la vieille amoureuse pourra de son balcon assister au spectacle – qui lui manquait – des autos qui défilent devant sa maison. La vie continue donc après les morts successives des deux vieux compagnons et la ligne amoureuse du roman se termine par un happy end.
Mort et renaissance : le triomphe de la vie
L’autre versant de l’histoire, celui de la tragédie provoquée par les feux, se dénoue par la mort de la victime et témoin halluciné que représente Boychuck. C’est son côté sombre. Mais l’événement comme les personnages du peintre et d’Angie Polson, dont il était l’amoureux transi, vont connaître une seconde vie à travers le récit historique qui nous en est donné et aussi à travers l’exposition de photographies et de tableaux organisée par une photographe elle-même devenue entre-temps une amoureuse et qui s’intitule, bien sûr, Il pleuvait des oiseaux.
La mort et la vie se rejoignent donc dans cette finale qui réunit les contraires dans une nouvelle, et supérieure, harmonie et qui s’apparente en cela au conte merveilleux. Cette fable envoûtante est toutefois construite comme un roman très habilement tissé, s’offrant telle une courtepointe séduisante qui ne peut que ravir les lecteurs, pour peu qu’ils soient sensibles aux variations libres d’un imaginaire créatif et au plaisir que procure une langue aussi déliée que parfaitement maîtrisée. On est devant un véritable accomplissement artistique, une réussite totale d’une auteure en plein contrôle de son talent qui s’avère incontestable, et qui fait bien voir la puissance de la littérature lorsqu’on la prend et la pratique au sérieux, par-delà le divertissement auquel la réduisent de trop nombreux écrivains pour épouser l’air éphémère du temps.
1. Jocelyne Saucier, Il pleuvait des oiseaux, XYZ, Montréal, 2011, 184 p. ; 22 $.
EXTRAITS
L’histoire est celle de trois vieillards qui ont choisi de disparaître en forêt. Trois êtres épris de liberté.
– La liberté, c’est de choisir sa vie.
– Et sa mort.
p. 9Les arbres encore debout, fûts noirs sous un ciel bleu, s’affaissaient dans un bruit étouffé en soulevant un épais nuage de cendre blanche.
Dorée, finissent-ils par dire, il y avait une lumière dorée dans l’accalmie. La lumière de Dieu qui venait nous chercher, disent-ils. Ils ont tous eu le sentiment d’avoir vécu la fin du monde.
p. 73La petite vieille était une survivante du Grand Feu de Matheson. Elle lui avait parlé d’un ciel noir comme la nuit et des oiseaux qui tombaient comme des mouches.
Il pleuvait des oiseaux, lui avait-elle dit. Quand le vent s’est levé et qu’il a couvert le ciel d’un dôme de fumée noire, l’air s’est raréfié, c’était irrespirable de chaleur et de fumée, autant pour nous que pour les oiseaux et ils tombaient en pluie à nos pieds.
p. 81La photographe avait carte blanche. Le concept de l’exposition leur plaisait. Tableaux et photos qui s’interpellent et surtout cette histoire tout à fait inédite, le Grand Feu de Matheson, un garçon à moitié aveugle errant dans les décombres à la recherche non pas d’une amoureuse mais de deux, absolument identiques, qui allaient le tenir toute sa vie dans les fils emmêlés d’un amour impossible. Amour, errance, douleur, forêt profonde et rédemption dans l’art, des thèmes chers au cœur de jeunes artistes qui aiment que la vie racle les bas-fond avant d’atteindre la lumière.
p. 173L’histoire ne dit pas où est situé le village non plus que son nom. Le silence vaut mieux que le bavardage, surtout quand il est question de bonheur et qu’il est fragile.
Le bonheur a besoin simplement qu’on y consente. Marie-Desneige et Charlie ont quelques années devant eux et ils comptent s’en faire toute une vie. Ils resteront cachés aux yeux du monde.[…]
Et la mort ? Eh bien, elle rôde encore. Il ne faut pas s’en faire avec la mort, elle rôde dans toutes les histoires.
p. 179Luc Baranger, écrivain migrant (entrevue)
« J’ai voulu descendre dans les fosses où la société se débarrasse de ce qui la menace ou de ce qu’elle ne peut nourrir. »
Albert Londres, Le chemin de Buenos Aires« Et il y avait les autres, ceux qui ne tiennent pas en place, les insatiables, les pèlerins et les migrants. »
Gilles Lapouge, Besoin de miragesLe Français bourlingueur est arrivé au Québec en deux temps. En 1972, Luc Baranger d . . .
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La nouvelle québécoise : Deux livres deux auteurs, Cristina Minelle et Gaëtan Brulotte
Cristina Minelle1 et Gaëtan Brulotte2 ont signé à quelques mois d’intervalle un essai portant sur la nouvelle québécoise, un genre qui fut longtemps considéré comme mineur avant de connaître, à la fin du XXe siècle, un développement marqué : en témoignent la multiplication des revues spécialisées, la naissance de maisons d’édition dédiées au genre bref, la création de prix littéraires et la publication de nombreuses études, individuelles ou collectives. Dans ce contexte, qu’ont de . . .
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Renée Dunan (1892-1936 ?)
Le nom de Renée Dunan (1892-1936 ?) évoque surtout, dans l’histoire littéraire, celui d’une pionnière du roman érotique au féminin, au style particulièrement hardi et cru, même pour une période aussi propice aux excès que l’ont été les Années folles.
Or Dunan a laissé davantage que des œuvres polissonnes. Ses romans, à situer entre Crébillon fils, Stendhal, Zola, Verne et Lovecraft, se démarquent autant par leur rythme haletant que par la liberté de pensée qui les sous-tend.
La liste des œuvres publiées . . .
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France Daigle
Je ne connaissais pas l’œuvre de France Daigle avant de déménager en Acadie, à Moncton pour être précis, à l’été 1994. Curiosité, intérêt puis passion m’ont mené sur le chemin de la production artistique acadienne d’autant plus facilité que dès l’automne je devenais critique de cette production dans le quotidien L’Acadie nouvelle.
C’est ainsi que j’ai lu 1953, Chronique d’une naissance annoncée (1995). Le roman met en scène Bébé M. aux prises avec une maladie cSliaque qui la (on comprend vite qu’il s’agit de France Daigle) retient à l’hôpital sous les soins bienveillants de garde Vautour et le regard inquiet de sa mère tandis que le père vaque à ses occupations journalistiques au sein de L’Évangéline.
La structure du roman avait suscité ma curiosité par sa virtuosité et sa logique : huit chapitres, chacun divisé en huit temps, deux « intrigues » (Bébé M. en 1953, mais aussi Élizabeth « aujourd’hui »). À cela s’ajoutent plusieurs réflexions sur l’écriture qui mettent en scène, en l’absence de dialogues, la France Daigle devenue adulte.
De là, j’ai remonté son parcours. Les trois premiers romans sont à la frontière de la prose poétique et du récit romanesque. Sans jamais parler du vent (1983) traite de l’enfance. Chaque paragraphe occupe une page. Les phrases sont courtes, les textes évocateurs, porteurs des mille mondes qui habitent l’auteure. Le sous-titre donne le ton : Roman de crainte et d’espoir que la mort arrive à temps. Son troisième roman, Histoire de la maison qui brûle (1985), pousse plus loin la démarche formaliste. Le texte de la page gauche est placé en haut de la page, celui de la page droite en bas. Aucun texte ne dépasse quelques lignes. À la limite, on peut lire ce roman de différentes façons : les pages d’en haut, celles d’en bas, toutes les pages. La prose demeure poétique, la structure ferme, le thème sujet à des interprétations. Cette maison qui brûle peut symboliser la destruction de la première Acadie, tout il peut s’agir de notre feu intérieur, même si le roman raconte l’histoire d’une femme et de ses deux enfants, victimes de ce feu. Dans tous les cas demeurent la beauté des phrases, la richesse pourtant simple du texte.
Ces deux romans ont été adaptés de belle façon pour la scène par le collectif Moncton-Sable de Moncton qui a vu le jour en créant des pièces de l’auteure. D’une certaine façon la recherche esthétique de cette troupe rejoint les préoccupations formelles de la France Daigle de ces premiers romans. Ce qui est curieux, c’est qu’elle n’écrit plus du tout de la même façon quand ce collectif crée Moncton-Sable (1997) qu’elle écrit pour lui, pièce qui donnera son nom au groupe. Deux autres pièces suivent, Craie (1999) et Foin (2000). Cette trilogie se fonde sur la matière pour faire apparaître le texte. Et le théâtre se laisse envahir par des tonnes de sable, de foin ou par une installation qui permet de dessiner, avec des craies bien sûr, au sol.
Puis, pour revenir à mon histoire, arrive Variations en B et K (1985) publié non pas aux éditions d’Acadie comme les précédents romans, mais à la Nouvelle Barre du jour. Au texte du roman (si l’on peut dire) placé en haut des pages répondent en tout petits caractères des informations factuelles, scientifiques, historiques. Un va-et-vient entre l’imaginaire et le réel.
Et l’écriture de l’auteure change comme si le temps de l’exploration pure de la forme était terminé. Un peu comme si son apprentissage de l’écriture laissait la place à une expression plus personnelle, plus ouverte, plus confiante en son propre monde. Coédité par les éditions d’Acadie et la Nouvelle Barre du jour, La beauté de l’affaire (1991) introduit le changement, presque timidement, néanmoins l’écriture passe du registre poétique au romanesque.
L’affirmation vient avec La vraie vie (1993) et avec elle, les personnages. Coédité par les éditions d’Acadie et l’Hexagone, ce roman se développe dans un cadre strict : cinq chapitres divisés en deux parties, lesquelles se composent de dix segments. France Daigle construira tous les romans qui suivront autour de contraintes qui, paradoxalement, libéreront son écriture. Et puis apparaît Élizabeth que l’on retrouvera dans les deux romans suivants. Elle ne sera pas la seule à « se promener » d’un roman à l’autre, à s’immiscer dans des aventures qui ne sont pas les siennes, mais elle y apportera une couleur qui crée d’un roman à l’autre une résonance, une continuité, même si les choix formels et structurels seront très différents. Élizabeth, une Québécoise qui choisit d’exercer la médecine à Moncton. Élizabeth qui devient le premier véritable personnage de France Daigle. Ce roman est également celui où l’Acadie est explicitement présente, ce qui annonce ce qui va suivre.
L’Acadie est au centre de 1953. C’est elle le personnage principal, c’est son histoire et celle du monde dans lequel elle s’inscrit. Et le quotidien L’Évangéline dont on épluche presque systématiquement les éditions en donne le pouls. France Daigle n’avoue jamais être ce Bébé M., même si c’est évident. Elle est pourtant présente, tant dans la façon dont elle met en scène sa famille que par sa vision de l’Acadie.
Cette retenue disparaît dans Pas pire (1998). Elle devient le personnage principal de ce roman écrit à la première personne, utilisant jusqu’à son nom dans cette « fiction-réalité ». Élizabeth est toujours là, mais ce sont Terry et Carmen qui retiennent le plus l’attention en sus de France, qui doit se rendre en France pour participer à Bouillon de culture, elle qui souffre d’agoraphobie. Avec eux apparaît la langue vernaculaire de Moncton, le chiac, alors que l’écrivaine explore pour la première fois le dialogue. Première fois dans le roman, mais elle vient d’en commettre pour Moncton-Sable. Du théâtre, elle retient la parole, mais laisse au collectif l’exploration des sons, des matières et de l’espace. De fait, elle leur livre des squelettes de textes que le groupe fait siens. Par contre, sa quatrième pièce, Bric-à-brac (2001), sera davantage « écrite » et mettra en scène de véritables personnages (si ambigus et complexes soient-ils) qui parlent une langue familière (donc avec des incursions chiaques).
Arrivent Un fin passage (2001) et Petites difficultés d’existence (2002), les deux chez Boréal, construits autour du jeune couple de Moncton, Terry et de Carmen. Les dialogues y occupent une grande place, merveilleusement habités par le chiac, qui devient une véritable langue littéraire. La narration est en français standard avec la couleur acadienne, ce qui donne toute leur vigueur aux dialogues. On sent Moncton, on vit avec les personnages. Ces deux romans, tout en étant comme tous les autres très structurés et « encadrés » par des contraintes, respirent la vie.
Ainsi, d’un roman à l’autre, France Daigle interroge l’écriture, la forme, le sens même du roman. Et quand on refait son parcours depuis ses premiers poèmes – elle en a publié dès 1981, le premier avait un titre prémonitoire : « Poème impossible à finir » –, on ne peut qu’admirer la qualité de sa démarche de même que l’excellence de chacun de ses romans, pourtant fort différents les uns des autres. Si au début elle se cache derrière la forme, elle en arrive à la dominer et à s’affirmer dans toutes les facettes de son être et de son talent.
France Daigle a publié, entre autres :
Sans jamais parler du vent, Roman de crainte et d’espoir que la mort arrive à temps, D’Acadie, 1983 ; Film d’amour et de dépendance, Chef-d’œuvre obscur, D’Acadie, 1984 ; Histoire de la maison qui brûle, Vaguement suivi d’un dernier regard sur la maison qui brûle, D’Acadie, 1985 ; Variations en B et K, Plans, devis et contrat pour l’infrastructure d’un pont, Nouvelle Barre du jour, 1985 ; L’été avant la mort, avec Hélène Harbec, Remue-ménage, 1986 ; La beauté de l’affaire, Fiction autobiographique à plusieurs voix sur son rapport tortueux au langage, Nouvelle Barre du jour/D’Acadie, 1991 ; La vraie vie, l’Hexagone/D’Acadie, 1993 ; 1953, Chronique d’une naissance annoncée, D’Acadie, 1995 ; Pas pire, (prix France-Acadie 1998, prix Éloizes 1998 et prix Antonine-Maillet’Acadie Vie 1999), D’Acadie, 1998 et Boréal, 2002 ; Un fin passage, Boréal, 2001 ; Petites difficultés d’existence, Boréal, 2002.EXTRAITS
Élizabeth s’était sentie un peu moins coupable d’être médecin le jour où une cliente, une petite dame un peu âgée, lui a confié qu’elle trouvait merveilleux de penser qu’elle allait bientôt mourir. Parce qu’en choisissant la médecine, Élizabeth n’avait pas nécessairement opté pour la prolongation de la vie.
La vraie vie, l’Hexagone/D’Acadie, 1993, p. 24.L’écriture d’un roman offre plus de latitude à la personne qui éprouve de la difficulté à s’en tenir aux faits. Le romancier a non seulement le droit de fabuler, il en a même le devoir. [ ] Néanmoins, pour écrire, le romancier a besoin de cette matière qu’est la réalité. Il a besoin de la réalité – et le langage fait partie de cette réalité – pour traverser le mur qui veut se refermer sur lui, mur qui ressemble étrangement au mur de la connaissance.
1953, Chronique d’une naissance annoncée, D’Acadie, 1995, p. 61-62.– Je croyais que t’aimais mon chiac ? C’est une des premières affaires que tu m’as dit quante tu m’as rencontré.
– Ben, je l’aimais aussi. Je dis juste qu’asteure c’est pas pareil.
Terry monta aux barricades.
– O.K., si on connaît les mots, là ça se comprend. Disons que je minderais pas de dire poêlonne à la place de frying pan. Ben quoi c’qu’arrive quante tu connais pas les mots ? Comme ball bearing ? Ou steering wheel ?
– Tu sais pas comment dire steering wheel en français ?
Carmen ne voulait pas perdre patience, mais elle sentait qu’il était temps de crever l’abcès.
– Je sais peut-être, ben quand même-ti, c’est pas un mot que je userais au garage. Ça dépend à qui c’que tu parles.
Carmen fut piquée.
– Comme là ! Le mot userais ! T’aurais pu dire de quoi d’autre ! T’aurais pu dire « utiliserais » ! C’est ça que je veux dire ! On dirait que tu fais par exprès !
– …
– Ou en tout cas, tu te forces pas.
– …
– Tu parlais mieux que ça en France.
– Ben là, c’est pas pareil. Y nous connaissiont pas. Pis je parlais moins.
– …
– Pis anyways, depuis quand c’est qu’y faut qu’on force pour parler notre langue ? Je veux dire, c’est notre langue. On peut-ti pas la parler comme qu’on veut ?
– …
– Je veux dire, c’est-ti actually de quoi qu’y faut qu’on s’occupe de ?
Petites difficultés d’existence, Boréal, 2002, p. 149-150.Georgette LeBlanc et Georgette Leblanc (The Blue Bird for Children)
Le livre que je n’ai jamais lu, The Blue Bird for Children, était sa création à elle, à Georgette Leblanc. Son oiseau bleu de la mémoire a réveillé la voix qui sommeillait en moi.
À l’époque, impossible d’imaginer comment écrire, devenir auteure. Impossible d’imaginer vivre de sa plume ni de considérer que la création puisse être vocation. J’avais grandi dans un monde rural, merveilleusement complexe et riche. Fondé en 1768 par un groupe d’Acadiens revenus de la déportation de 1755, le petit village nommé Pointe-de-l’Église par les arrivants . . .
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Jean-François Beauchemin : La vie, et rien d’autre (entrevue)
Depuis 1998, Jean-François Beauchemin séduit, étonne, bouleverse. Obsédé, selon son propre aveu, il ne cesse de parler de choses à la fois banales et stupéfiantes. La vie, et rien d’autre, pour reprendre le si beau titre du film de Bertrand Tavernier, voilà ce dont il s’entête à nous parler depuis Comme enfant je suis cuit jusqu’au récent Le temps qui m’est donné.
Linda Amyot : Comme enfant je suis cuit a été suivi . . .
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L’œuvre de Louky Bersianik : Un secret bien gardé
L’embêtant pour parler de l’œuvre de Louky Bersianik en 2011, c’est qu’il faut se dégager de ce qu’en ont dit les seules féministes et pallier ce que n’en ont pas dit les coryphées de l’institution littéraire et les professeurs de philosophie, depuis plus de trois décennies. Dits et non-dits qui sous-estiment et occultent une contribution essentielle à la pensée philosophique contemporaine et menacent d’oubli une œuvre littéraire exceptionnelle, d’une entière originalité par son propos et son style.
Selon Victor . . .
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Les vivants, les morts et les autres de Pierre Gélinas
Trois-Pistoles réédite Les vivants, les morts et les autres1, un roman de 1959 de Pierre Gélinas, préfacé pour l’occasion par Jacques Pelletier. Décédé en 2009 dans l’indifférence complète, Gélinas, né en 1925, n’était plus lu depuis longtemps, même s’il était revenu à l’écriture dans les années 1990 après un silence éditorial de plus de 30 ans.
Que Les vivants, les morts et les autres soit en partie un roman autobiographique ne fait aucun doute, et ce, sur . . .
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À chacun sa lecture : À chacun son Octobre 1970
Chez ceux qui ont vécu Octobre 1970, les souvenirs varient. Ceux qui n’étaient pas nés s’en remettent à des sources divergentes. D’autres, qui, en leur temps, ont souhaité l’autonomie québécoise, offrent leurs prémonitions, tandis que d’autres encore situent Octobre 1970 à tel ou tel point d’une trajectoire inachevée. Octobre se transforme ainsi en auberge espagnole avec le risque d’une subjectivité déformante et l’espoir d’un fécond élargissement des perspectives.
Les contemporains
On attendait des contemporains de la crise des témoignages probants. C’est rarement le cas. Ainsi, bien qu’en mesure de tout dire sur la mort de Pierre Laporte, Francis Simard dans Pour en finir avec Octobre1 pratique, selon l’expression, un silence assourdissant. Sans l’insistance de Pierre Falardeau, il n’aurait rien écrit. C’est pourtant grâce à Simard que les générations pour lesquelles Octobre 1970 n’est qu’illusion, abus de force et amateurisme peuvent imaginer le climat social et politique de l’époque et sentir le respect des comploteurs pour les démunis et les humiliés.
Par sa truculence, par sa mémoire des simagrées qu’ont multipliées les autorités dans le sillage d’Octobre, par la déconnexion entre le tribunal et les accusés, Le procès des Cinq2 suscite le malaise, même chez ceux qui s’alignent par réflexe du côté du pouvoir. La preuve s’étale : l’appareil judiciaire n’était ni préparé aux situations créées par le FLQ, ni de taille à inventer les ripostes adéquates. De confiance, le pouvoir présumait l’indépendance du juge, la sagesse des lois, y compris les plus poussiéreuses, le triomphe des savants procureurs sur la plèbe des récalcitrants. Le petit bouquin rend audibles les grincements d’une machine judiciaire secouée dans ses certitudes. Les accusés avaient fait bon usage de leurs loisirs forcés ! Et ce n’était pas un outrage au tribunal de plus qui les empêcherait d’utiliser leur science fraîchement acquise. Peut-être ce simulacre de procès a-t-il contribué à raréfier les griefs d’outrage au tribunal.
Paru en anglais en 2007, l’ouvrage de l’ex-ministre libéral William Tetley, Octobre 1970, Dans les coulisses de la Crise3, fait la preuve que l’examen pointilleux d’une situation complexe peut en méconnaître les aspects névralgiques. Il suffit, pour réussir cet indésirable paradoxe, de s’en tenir à des conclusions préétablies et de ne laisser aucune curiosité, pas même la plus saine, entraîner la recherche loin de ses ancrages. William Tetley satisfait pleinement à ces deux conditions. À tel point que les indéniables mérites de son travail laissent inentamés ses verdicts spontanés et étriqués. Procédant avec méthode, déployant une pédagogie soucieuse de faciliter au lecteur la saisie d’une synthèse, mettant à contribution nombre de sources pertinentes (dont le minutieux travail de Marc Laurendeau), Tetley dresse d’Octobre un bilan incomplet et vindicatif. Il s’épuise, par exemple, à accréditer la rumeur d’un gouvernement provisoire dont Claude Ryan aurait pris l’initiative et qui aurait voulu se substituer au gouvernement Bourassa. La rumeur, farfelue à souhait, repose depuis longtemps sous un ridicule bien mérité. Impénitent, Tetley cite lui-même La Presse : le maire Drapeau, alors en campagne électorale et cherchant à affoler la population, « fut le premier à lancer officiellement cette histoire ». Ne voyant là aucune inélégance, Tetley ne se demande même pas si Drapeau eut raison de tenir ses élections pendant que l’armée circulait dans les rues. Au passage, Tetley aura trouvé le moyen, pour mieux montrer que les conjurés du gouvernement provisoire ne méritaient que mépris, de signaler comme une tare le fait qu’aucun avocat ne faisait partie du complot. Les années qui ont suivi Octobre 1970 n’ont pas émoussé le tranchant de Tetley : les réactions gouvernementales furent exemplaires, les arrestations justifiées, le manifeste du FLQ réprouvé par la population dès sa lecture, le gouvernement Bourassa (dont Tetley faisait partie) parfaitement autonome et d’un sang-froid exemplaire. Nuances ? Il ne les connaît pas.
Très tôt dans son autobiographie de policier, Révélations d’un espion de la SQ4, Claude Lavallée jette son lecteur dans l’ambivalence. Autant on admire ses multiples compétences, depuis celles de l’alpiniste ou du plongeur jusqu’à celles du technicien rompu à tous les secrets de la téléphonie, autant sidère la désinvolture avec laquelle Lavallée mène ses enquêtes au mépris des lois. Si son camion doit ressembler à ceux de Bell, il vole les identifications de nature à créer la confusion désirée. S’il faut, pour photographier un mafioso, jouer au journaliste, Lavallée « emprunte » l’identité du reporter. Que l’initiative soit la sienne ou celle de ses patrons change peu à l’affaire : Lavallée tient à faire savoir que, en zone grise, on s’en remettait à lui du choix des moyens. Sa contribution personnelle ne fait donc pas de doute. La caution accordée à Lavallée par la lénifiante préface de Jean-Pierre Charbonneau étonnera d’autant plus : « Le jugement qui sera porté sur sa saga doit être celui de l’intérêt historique de clarifier certains faits déjà exposés au grand jour, d’en apprendre de nouveaux et, surtout, de comprendre comment on faisait la chasse aux caïds et aux terroristes à l’époque effervescente de la Révolution tranquille ». Autrement dit, la règle voulant que « la fin ne justifie pas les moyens » n’avait pas cours à l’époque et les délits de Lavallée ne seraient que folkloriques. Qu’on en juge par un exemple d’une exceptionnelle gravité dans le dossier d’Octobre 1970 : « Un peu avant ce procès [des felquistes], mon ami Denis Viau, officier responsable de l’Escouade des homicides, m’a fait venir à son bureau.
– Claude, j’ai accepté que Robert Lemieux, l’avocat de Paul Rose, rencontre son client ici, dans mon bureau, en toute confidentialité… mais j’aimerais partager cette confidentialité… sans qu’ils ne s’en aperçoivent, bien sûr…
– Je vois ».Résultat ? Paul Rose, raconte Lavallée, se confie à Robert Lemieux… et à l’enregistreuse : « Quand on a vu qu’on ne pouvait pas faire grand-chose pour lui [Laporte], parce qu’il nous était impossible de faire venir un médecin ou de l’amener à l’hôpital, on l’a fini, avec la chaînette qu’il avait dans le cou ».
Doit-on juger la « saga » de Lavallée à l’aune de l’époque ?
Analyses d’hier et d’aujourd’hui
La brochette de textes groupés sous ce chapiteau éclaire d’irremplaçable façon le parcours de la pensée indépendantiste québécoise. Au départ, rappelle Gilles Laporte dans le premier tome de l’Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois, 1834-19685, dirigé par Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière, « les revendications les plus pressantes ne concernent pas l’indépendance nationale, mais bien la souveraineté du Parlement bas-canadien ». À d’autres instants de la trajectoire, les sursauts d’amplitude internationale trouvent un écho au Québec. Charles-Philippe Courtois peut écrire : « Chacune des grandes vagues d’indépendance qui ont marqué la planète a influencé l’indépendantisme québécois… » Au fil des ans, tenants et adversaires de l’indépendantisme échangent les coups sans toujours se préoccuper des principes. Quand, raconte Courtois, l’abbé Groulx envisage d’enseigner l’histoire à l’Université de Montréal, sa demande de permanence et de rémunération tombe en sol méfiant : « […] la direction de l’Université de Montréal, dont le conseil d’administration accueillait des libéraux éminents (Lomer Gouin, Louis de Gaspé Beaubien, les sénateurs Frédéric-Liguori Béique et Raoul Dandurand), saisit l’occasion pour lui demander de s’engager à prêcher à ses étudiants la loyauté à la Constitution du Canada ». Brossant le portrait de Raymond Barbeau, Gaston Laurion rapporte son propos au sujet des liens que le vertueux Henri Bourassa souhaite avec les groupes catholiques américains : « Il me semble que notre catholicisme canadien-français est déjà assez superficiel sans que le catholicisme de foire américain s’en mêle ». L’empan du recueil est large à souhait : il va de l’anecdote révélatrice aux axes politiques essentiels.
Un ouvrage collectif dirigé par Alain-G. Gagnon, D’un référendum à l’autre, Le Québec face à son destin6, analyse, dix ans après l’événement, le référendum de 1995. Les angles d’observation et d’analyse varient au gré des allégeances : Gilles Duceppe et Benoît Pelletier, Joseph Facal et Thomas Mulcair ne liront pas 1995 du même œil. L’exercice attache une ardente importance ‘ à conclusions variables ‘ à la déclaration de Jacques Parizeau sur l’influence de l’argent et du vote ethnique. Il met aussi en lumière les particularités de la région de Québec : « En fait, si on prend toute la population du Québec, plutôt que seulement les francophones, on note que la région métropolitaine de Québec est à peine plus favorable à la souveraineté que la population de l’île de Montréal, non-francophones compris ». Deux illustrations demeurées litigieuses.
Encore flou malgré les efforts titanesques de Georges Aubin et de Renée Blanchet pour le rendre familier, le portrait d’Amédée Papineau, tel qu’il émerge du premier tome de sa correspondance7, en dit long sur Papineau lui-même et sur le parcours douloureux de son fils. Père et fils ont payé de plusieurs années d’exil leur contribution à l’édification d’une société québécoise plus républicaine et plus autonome. On s’étonnera qu’ils aient tous deux placé un certain espoir en Durham et qu’ils aient tant fait confiance au fair-play britannique, mais en quel autre gouvernant auraient-ils pu croire ?
Pour qu’ils sachent !
Heureuse initiative et défi relevé : deux petits livres racontent Octobre 1970 aux jeunes d’aujourd’hui. André
Marois avec Mesures de guerre8 songe à ces enfants qui, à dix, onze ou douze ans, s’intéressent au hockey-bottines plus qu’aux échanges politiques. De son côté, Magali Favre dans 21 jours en octobre9 voit les événements à la manière de jeunes qui, à quinze ou seize ans, s’initient à la conscience politique, à l’amour, à l’autonomie personnelle. Dans les deux cas, le jeune perçoit les problèmes qui préparaient la crise et s’interroge sur la violence. Le décalage entre îlots anglophones cossus et quartiers francophones miteux, la difficulté de travailler en français, la masse des arrestations perpétrées sans motif et sans manières, l’indécence d’une élection municipale sous observation militaire, autant d’aspects qui composent le tableau offert aux jeunes générations.À chacun son Octobre 1970, mais décantation en net progrès.
1. Francis Simard, Pour en finir avec Octobre, Lux, Montréal, 2010, 248 p. ; 24,95 $.
2. Michel Chartrand, Pierre Vallières, Charles Gagnon, Robert Lemieux et Jacques Larue-Langlois, Le procès des Cinq, Lux, Montréal, 2010, 144 p. ; 12,95 $.
3. William Tetley, Octobre 1970, Dans les coulisses de la Crise, trad. de l’anglais par Jean Chapdelaine Gagnon, Héritage, Saint-Lambert, 2010, 412 p. ; 39,95 $.
4. Claude Lavallée, Révélations d’un espion de la SQ, L’Homme, Montréal, 2010, 265 p. ; 24,95 $.
5. Sous la dir. de Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière, Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois, T. I, 1834-1968, VLB, Montréal, 2010, 288 p. ; 32,95 $.
6. Sous la dir. d’Alain-G. Gagnon, D’un référendum à l’autre, Le Québec face à son destin, Presses de l’Université Laval, Québec, 2008, 203 p. ; 24,95 $.
7. Georges Aubin et Renée Blanchet, Amédée Papineau, Correspondance, T. I, 1831-1841, Michel Brûlé, Montréal, 2009, 545 p., 29,95 $ ; T. II, 1842-1846, 2010, 481 p., 29,95 $.
8. André Marois, Mesures de guerre, Boréal, Montréal, 2010, 110 p. ; 9,95 $.
9. Magali Favre, 21 jours en octobre, Boréal, Montréal, 2010, 150 p. ; 10,95 $.Maïakovski déboulonné
Avec La vie en jeu, Une biographie de Vladimir Maïakovski1, le Suédois Bengt Jangfeldt n’ajoute pas un autre pavé aux pesants hommages dont fait l’objet Maïakovski depuis sa « canonisation » par le régime soviétique, en 1930. Au contraire, cette remarquable biographie déboulonne allègrement la statue du camarade-poète et nous restitue, en lieu et place, le portrait d’un homme dévoré par ses contradictions.
On ne peut évoquer la figure de Vladimir Vladimirovitch Maïakovski sans évoquer du même coup celle de . . .
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François Fosca (1881-1980)
Né à Paris en 1881, François Fosca (pseudonyme de Georges de Traz) est décédé presque centenaire en 1980 à Genève, où il enseigna à l’École d’architecture et à l’École des beaux-arts. Auteur prolifique, il publia quelques dizaines d’ouvrages sur la peinture, dont des monographies sur Degas, Renoir, Bonnard, etc.
Il publia en outre une Histoire des cafés de Paris (Firmin-Didot, 1935), une Histoire et technique du roman policier (Nouvelle Revue critique, 1937), De Diderot à Valéry, Les écrivains et les arts visuels (Albin Michel, 1960). Enfin, il produisit une œuvre romanesque, essentiellement avant . . .
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Le poids lourd toutes catégories (La Peuchère de Frédéric Dard)
Non. Je n’ai jamais lu La Peuchère, le tout premier ouvrage – en fait une grosse nouvelle – écrit à dix-sept ans par l’un des deux plumitifs qui me font encore dire aujourd’hui que la langue française, par sa truculence, sa saveur rabelaisienne, son audace et sa gourmandise reste sûrement l’une des plus facétieuses du monde, et l’une des moins farouches. Pourquoi ? Simplement parce qu’elle se laisse pomponner et bricoler comme une voiture des années 1970, avant l’arrivée de cette engeance que les mécaniciens d’aujourd’hui, costum . . .
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