Il est plus que probable que l’armée soit allergique à tout ce qui lui semble de la lâcheté. Il est, toutefois, possible que l’armée se fasse de cette tare une image indûment simplifiée, peut-être même qu’elle perçoive de la lâcheté là où le courage s’est pourtant logé. C’est du moins ce que laisse entendre par ses cruels coups de sonde le subtil roman de John Boyne.
À première vue, l’alternative dessinée par Boyne est classique et fréquemment évoquée dans les récits liés à la guerre. Elle oppose le courage requis pour affronter la mort sur les champs de bataille à celui de l’objecteur de conscience refusant de tuer ses semblables. Présumé lâche, celui-ci encourt le mépris de son entourage. Certes, les militaires seraient prêts à des concessions s’ils obtenaient l’assurance que le récalcitrant est vraiment motivé par des principes plutôt que par la trouille. Peut-être pardonneraient-ils la réticence dictée par des valeurs respectables, tout en condamnant avec une hargne particulière la lâcheté dissimulée sous des faux-fuyants. Quand, arc-bouté sur sa hiérarchie des valeurs, Will choisit le peloton d’exécution réservé aux pacifistes obstinés, son ami Tristan lui-même n’est pas convaincu de la pureté de ses motifs.
De fait, Tristan a quelques raisons de se demander si Will ne brandit pas cette forme de courage pour garder secret le penchant homosexuel auquel les deux hommes ont cédé un instant. Courageux devant le peloton d’exécution, Will serait lâche devant l’opprobre jeté par l’entourage militaire à la face du déviant. Il mourra plutôt que de subir ce dédain.
L’alternative qui confronte Tristan est presque aux antipodes. Lui aussi préférerait laisser tomber le fusil, mais il estime qu’affronter l’ennemi comporte, malgré tout, moins de risques que le face-à-face avec le peloton d’exécution. Il est donc prêt à mettre en veilleuse ses velléités pacifistes. En revanche, il aurait le courage d’admettre publiquement sa tendance homosexuelle, pour peu que son ami Will affronte avec lui la réprobation des compagnons d’armes. L’amitié n’exclut pas la mésentente, elle peut même déboucher sur la haine.
Chez Tristan, il y a autre chose. Il a en sa possession les lettres que Marian a adressées pendant le conflit à son frère Will et il aimerait profiter d’une rencontre avec elle pour tout lui dire au sujet de son frère. Mais comment livrer ce message sans révéler le lien affectif que Will tenait à cacher ?
Avec raison, le lecteur jugera Tristan bien timoré. Jusqu’à ce que la chute du livre révèle en lui une autre ombre. Malgré d’étranges sautes d’humeur et de ton dans les dialogues, le récit n’est pas sans mérite, tant il force à imaginer le courage sous plusieurs visages.
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