La description que donne le romancier de la connivence entre le Mexique et la drogue donne froid dans le dos. Le talent de Camille Bouchard, talent nourri de longues fréquentations, rend cette description crédible et terrifiante. On aimerait croire que la fiction romanesque dépasse le quotidien, mais cette échappatoire ne résiste pas à la lecture : Bouchard parle du réel. Le livre peut, dans telle page, faire sourire, la détente ne dure pas.
La structure du roman attire l’attention. Différents narrateurs sont mis à contribution – tutoyés – avec un double résultat : d’une part, les calculs personnels ont leur importance, tant les risques varient ; d’autre part, tous les cheminements densifient, malgré leurs particularités, le climat général de corruption et de violence. Le tueur et le vétéran du bagne n’ont pas le même rapport avec le capo, mais tous, capo compris, appartiennent au même univers cruel et désespéré, triste lieu où les innocents autour de la cible meurent parce qu’ils étaient là.
Bouchard, il est vrai, consent à fixer certaines limites à la barbarie. La confrérie féminine comprend les mères, les épouses et les prostituées ; nuances peu subtiles, mais au moins un tri. De même, ses tueurs n’aiment pas tuer des enfants ; ils les tueront puisque le patron l’ordonne, mais préféreront les abattre quand ils fuient ou les brûler sans regarder le feu. Comme si la réticence, gênée plus que le crime, cherchait à faire oublier sa mansuétude. Rien qui réduise l’inhumanité de la gâchette.
Le roman invite à l’avant-scène un auteur québécois de livres destinés à la jeunesse, quitte à le rendre – clin d’œil ? – vaniteux, obsédé de sexe, insipide. Dans le même esprit, il met en scène des jumelles classiquement monozygotes dont l’utilité dramatique se borne à révéler les revenus des cartels. Habiletés de l’auteur. Au tomber du rideau, un athlétique redressement permet à Bouchard de boucler la boucle : il rappelle au lecteur que le quatrième assassinat promis au premier chapitre n’a pas encore eu lieu. Le dénouement respecte la règle du jeu, mais à l’arraché.
En somme, le rythme, que scandent les rafales meurtrières, est vif. Les interventions de l’espagnol convainquent le lecteur que l’auteur sait tout du Mexique. Les passages du témoin narratif d’un personnage à l’autre empêchent le récit de tourner au carnage répétitif. Le métier affirmé de Bouchard se manifeste partout, sauf peut-être quand font intrusion des expressions et un vocabulaire peu plausibles dans les bouches qui les utilisent. Parler d’essentialité, d’Adonis et de bellâtres, c’est peut-être changer trop brutalement le niveau de langage.
Au total, un bon Bouchard.
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