Une fois de plus, Marie-Bernadette Dupuy démontre qu’on peut gérer calmement la démesure et raison garder à travers les cyclones. La famille que révélait Scandale des eaux folles (JCL, 2014) peut donc commettre les pires imprudences, sombrer dans les comportements les plus malsains sans que le roman tourne au misérabilisme. Le tableau est pourtant chargé : deux sœurs ont aimé ou aiment le même homne, l’inceste emporte deux des personnages, un viol longtemps caché hypothèque l’union d’un vieux couple, une mère s’épuise et s’exaspère à contenir les lubies de son fils mentalement handicapé… L’auteure aura besoin de tout son art pour que le destin de ce clan tumultueux demeure à la fois plausible et digne de compassion ; heureusement, elle possède ce don.
Au cœur du récit, le beau personnage de Jacinthe. Aussi belle que généreuse, elle donne plus volontiers qu’elle ne reçoit. Le bonheur des autres lui importe tellement qu’elle s’efface dès que sa propre satisfaction risque de causer le malheur d’autrui. L’auteure parvient pourtant, mesure dans l’excès, à tenir cet altruisme à saine distance d’une immolation morbide : Jacinthe sait parler dru quand la conciliation se heurte à ses limites. Ce personnage illustre à merveille l’aptitude de Marie-Bernadette Dupuy à harmoniser mesure et démesure, tragédie et cicatrisation.
Jacinthe n’est pas seule à habiter cet univers. Ses parents, à la fois liés et contraires, portent depuis toujours le poids écrasant d’un secret débilitant ; à peine en auront-ils pris le contrôle que la vie familière leur échappe. La mystérieuse Matilda, femme aux savoirs jamais circonscrits, rumine des réflexions pénétrantes sur les gens et leurs gestes et distille son soutien à ceux et celles qui lui font confiance. L’auteure sait se faire discrète : une fois qu’elle a donné la vie à ses personnages, elle respecte leur autonomie. Le récit s’en trouve vivifié.
L’auteure doit sans doute beaucoup à la rigueur de ses encadrements. Elle écrit un français élégant, à peine marqué ici et là d’expressions plus françaises que québécoises et que l’on regrette de voir oubliées quelque part sur la route. Ses sous-titres précis à l’extrême facilitent la compréhension en fournissant à la lectrice (ou au lecteur) des repères éclairants : à chaque phase du récit correspondent des indications de lieu ou de temps qui servent d’ancrages rassurants au creux des emportements les moins rationnels. Encore là émotions et balises fixes coexistent et se complètent.
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