Originaire de l’île de Jersey, le huguenot Charles Robin (1743-1824) traversa l’Atlantique pour faire fortune en Gaspésie, aux dépens des Gaspésiens qu’il exploitera par tous les moyens. Certains historiens le décrivaient comme un commerçant prospère et respectable ; dans L’empire des Robin, Sylvain Rivière lui fait plutôt un réquisitoire. Le verdict est accablant : « Le prodigieux opportuniste que fut Charles Robin, cet organisateur sans scrupules, créa de toutes pièces un empire comparable à celui de la Compagnie de la Baie d’Hudson ».
L’empire immense de Charles Robin n’a d’égale que son emprise sur les pêcheurs et les travailleurs de la Baie-des-Chaleurs puisque sa compagnie y détenait à partir de 1783 le « monopole du commerce, des pêcheries, des importations et des exportations, des métiers, de la loi, de l’éducation, de la prospérité et même de la culture ». La population opprimée, rémunérée par des coupons de crédit et non par de l’argent sonnant, gagnait si peu qu’elle s’endettait de plus en plus et accroissait sans cesse sa dépendance envers ce système contrôlé de manière implacable. En plus de régner sur l’économie, Charles Robin trouva même le moyen de se faire nommer juge par les autorités britanniques. À cette domination absolue s’ajoutait une distinction supplémentaire puisque l’élite s’exprimait parfois dans le dialecte jersiais venu des îles anglo-normandes (voir certains passages reproduits en jersiais, p. 80). Pour Sylvain Rivière, les séquelles de cette situation se font encore sentir de nos jours et expliqueraient en partie les difficultés d’émancipation dans beaucoup de villages gaspésiens au XXIe siècle. Et même si Charles Robin a quitté définitivement le pays après avoir délégué ses pouvoirs à ses neveux, on trouve encore de nos jours sur la côte gaspésienne quelques magasins Robin, reconnaissables par leur enseigne rouge.
Le plaidoyer amer élaboré par Sylvain Rivière n’est pas une dénonciation gratuite de la bourgeoisie des débuts de la colonie britannique : en plus des différents récits réunis ici (une trentaine de textes de divers historiens), des extraits de la correspondance de la famille Robin archivée au Musée de la Gaspésie offrent la preuve de cette oppression et trahissent les mentalités coloniales de cette époque. Cette touchante contre-histoire de la Gaspésie devrait se retrouver dans toutes les bibliothèques publiques afin de faire connaître le passé méconnu de la région de Paspébiac.
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