Une fois de plus, François Hertel surgit où on ne l’attendait pas. Les Cahiers Éthier-Blais lui consacrent en effet un dossier dont le prétexte est son influence sur l’auteur des Pays étrangers, avec qui il a entretenu jusqu’à la fin de sa vie des relations d’amitié. Dans une étude consistante qui examine successivement les grands domaines où s’est exercée sa pensée (conception du langage, du Québec, de Dieu et du Cosmos, un cosmos désacralisé), Robert Vigneault montre comment François Hertel s’est dépris des con-traintes de l’exposé didactique des premiers ouvrages pour accéder au libre questionnement de l’essai pur. Il ne fait aucun doute pour lui que l’essayiste est « Bien en avance sur son temps. » L’auteur de « Hertel, essayiste extravagant » et spécialiste du genre qualifie la trilogie des Mondes chimériques de premier véritable essai et la considère comme « ce que Hertel a fait de mieux dans le domaine de l’essai ». C’est à propos de cette même trilogie que Laurent Mailhot parle d’« impossibilité du roman », dans un article qui tient plus du résumé descriptif que de l’analyse. Indépendamment de ses qualités et des points communs qu’elle entretient avec Bouvard et Pécuchet (« couple exclusif, narrativité problématique, érudition, ironie devant la ‘bêtise’ et les ‘imbéciles’ »), Mondes chimériques lui semble « une œuvre ratée. Non pas instable, inachevée, ouverte, postmoderne, mais faite de bric et de broc, de petites ficelles et de gros câbles, disparate, fausse. Et pourtant, reconnaît Laurent Mailhot, on s’y intéresse ». Davantage préoccupée de l’homme que de l’œuvre, Guylaine Massoutre livre quelques éléments de réflexions sur le rôle joué par François Hertel dans le milieu artistique montréalais au moment où se prépare l’exil définitif. Son « Hertel dans les années 1940 : écriture, art et exil » identifie sa situation de double exilé (géographique et religieux) comme le lieu à partir duquel il a pu « revisiter les non-dits de l’œuvre morale, théologique, philosophique antérieure ». Selon elle, la sérénité atteinte par l’homme fut le « résultat d’un cheminement agité », « semé d’obstacles et jalonné de crises ». Crises dont les échos infiltrent ses essais et nouvelles, de même que sa correspondance avec Borduas, un autre dissident et exilé.
Adressée au responsable des Cahiers par le philosophe Laurent-Michel Vacher, la « Lettre à un sceptique » répond à la question de l’actualité de François Hertel. Auteur d’une anthologie des textes philosophiques de François Hertel, Laurent-Michel Vacher avance quelques hypothèses expliquant l’insuccès de l’œuvre et le peu de retentissement provoqué par son propre Découvrons la philosophie avec François Hertel (Liber, 1995). Selon lui, François Hertel a pourtant tout du véritable écrivain d’idées qui « veut exposer, promouvoir et défendre une weltanschauung ». Penseur franc et courageux, tirant un véritable plaisir de la spéculation et de la discussion des idées, il appartient à « la famille des Diderot et des Voltaire », malgré ses occasionnelles gaucheries, la facilité de certaines oppositions et sa misanthropie. Il déplore l’étroit nationalisme culturel des philosophes québécois, mais reste incapable d’expliquer pourquoi celui-ci ne joue pas en faveur de François Hertel. À travers l’exemple de deux manuels récents qui ne lui accordent aucune place, il pointe les mêmes lacunes du côté des littéraires. Quant au « Hertel réel et imaginaire » de Martin Doré, il propose une recension critique des articles et récits que lui a consacrés Jean Éthier-Blais.