Accusé d’un acte qu’il n’a pas commis, Romain Carrier a quitté Métis Beach pour les États-Unis en 1962. Ce baby-boomer y fait carrière dans le monde de la télévision mais il sentira un jour le besoin de rentrer « chez lui », en Gaspésie, ne serait-ce que pour éclaircir son passé trouble, faire la paix avec ses « mauvais souvenirs » et tenter de rétablir les faits. En 1962, Métis Beach se subdivisait en deux secteurs distincts : le secteur des riches anglophones et le « French village », dont les habitants étaient au service des premiers durant l’été.
Par son style assuré malgré quelques longueurs, ce premier roman s’apparente un peu à un road movie québécois qui parcourt deux Amériques familières : d’un côté, le Québec anglicisé de Métis Beach où la classe dominante anglophone méprise les domestiques parlant français, et de l’autre, ces États-Unis où le scénariste Roman Carr, alias Romain Carrier, est devenu un écrivain pour la télévision. Au passage, quelques allusions à Jack Kerouac, cet autre francophone d’une Amérique mythique, émaillent le récit, par exemple lorsqu’on veut recréer la scène du photomaton de Sur la route. Mais ce roman critiquant les excès de l’American Way of Life est aussi une histoire d’amitié dans le contexte de la conscription des jeunes Américains pour le Vietnam, au cours des années 1960, lorsque le Canada pouvait servir d’abri aux déserteurs.
Sans être nouvelles en soi, certaines mises en abyme sont ici bien amenées : le choix de mettre en scène un écrivain comme personnage principal ; ou encore cette critique de l’Amérique vécue et conçue par un personnage dont le métier est précisément de critiquer à la télévision les travers d’une société superficielle et pleinement consciente de l’être. Quelques imprécisions historiques subsistent : par exemple, ce que l’on connaît aujourd’hui comme la route 132 autour de la Gaspésie se nommait à cette époque la route 6. Sur le plan de la langue, Claudine Bourbonnais semble avoir opté pour un français hexagonal, privilégiant l’usage du passé simple, avec très peu de québécismes, et au passage quelques tournures typiquement parisiennes, avec des « ouais », des « bagnoles de luxe, des garden-parties à n’en plus finir ». En dépit de ses faiblesses, Métis Beach s’inscrit élégamment dans la veine des romans de l’américanité québécoise, avec cette différence qu’il vise également le marché européen.