Roberto Arlt (1900-1942) est tenu par beaucoup de connaisseurs de la littérature argentine comme l’égal de Jorge Luis Borges dont il fut le contemporain. Ce fils d’émigrant prussien, autodidacte, homme de tous les métiers, a tenu, dans les années 1930, une chronique dans le grand quotidien de Buenos Aires, El Mundo, où il brossait, à l’acide, le portrait de son époque. Si ces chroniques lui apportèrent la notoriété dans son pays, ce sont ses deux romans, Les sept fous et Les lance-flammes, parus initialement au début des années 1930, qui ont contribué le plus à sa notoriété en dehors de l’Argentine.
Les sept fous, comme Les lance-flammes qui en est la suite, tourne atour du personnage d’Erdosain. Les sept fous s’ouvre alors que ce petit employé d’une compagnie sucrière comparait devant ses employeurs qui ont découvert qu’il avait pigé dans la caisse de l’entreprise. Sommé de rendre, dans les 24 heures, les 600 pesos et 7 centimes dérobés, Erdosain entreprend la tournée de ses connaissances dans l’espoir de leur soutirer de quoi éviter la prison. Au hasard de sa quête, il tombera sur un groupe d’hurluberlus, réunis dans une société secrète qui a pour projet de prendre le contrôle du pays. Un faux général, un vrai souteneur, un pharmacien pris de délire mystique, un aventurier chercheur d’or, un tueur illuminé et un astrologue mégalomane composent cette confrérie d’improbables conspirateurs. En partie par appât du gain, en partie pour échapper à son existence, Erdosain se joint à leur entreprise même si, pour cela, il lui faut participer au meurtre de son cousin. Le roman s’achève sur une scène qui révèle la duplicité de l’entourage du héros.
Ceux qui s’attendraient à lire le compte rendu de l’histoire loufoque de quelques esprits déjantés seront déçus. Avant tout, Les sept fous suit le flux de la pensée d’un être profondément déchiré qui n’en finit pas de prendre la mesure de son malheur. Voilà pour le fond. Quant à la forme, disons qu’au moment de sa parution, les critiques ont beaucoup fait état des libertés prises par Arlt avec la langue espagnole classique, l’accusant de la défigurer en y mêlant la langue argotique. Or, ce qui nous a le plus gêné dans sa traduction française, c’est plutôt le recours fréquent de l’auteur (des traducteurs ?) à un vocabulaire suranné et à un style affecté parfois jusqu’à la préciosité. Toutefois, le plaisir du lecteur est sauvé par l’acuité du regard de l’auteur sur le monde qui l’entoure. Avec Les sept fous, Roberto Arlt trace le portrait d’un personnage qui, plus de 80 ans après sa création, peut toujours faire figure d’archétype de tous les damnés de la terre.