Après avoir raflé tous les prix littéraires importants en Europe du Nord au moment de sa parution originale en 2008, Purge a été couvert d’éloges à sa sortie au Québec en 2010 et en France où il a remporté le dernier Femina du roman étranger. Lecture faite, on ne peut que confirmer le bien-fondé de la rumeur sur ce roman qui raconte la destinée tragique d’une lignée de femmes plongées dans les remous de l’histoire.
L’action débute en 1992, deux ans après le départ des Russes de la République balte d’Estonie. Un bon matin, Aliide, une vieille Estonienne qui vit sur une ferme isolée, découvre dans sa cour ce qu’elle prend pour un ballot. « Le ballot était une fille. Boueuse, loqueteuse et malpropre, mais une fille tout de même. » La fille, qui se prénomme Zara, lui raconte qu’elle a échoué chez elle par hasard en voulant échapper à un mari violent. Une relation faite de méfiance et de curiosité se noue alors entre la vieille recluse et la jeune fugueuse. Au fil de leurs conversations, le lecteur est peu à peu pris dans l’engrenage d’une intrigue où chacune des protagonistes semble vouloir cacher quelque chose de son passé. En dire davantage sur les rapports qui vont se développer entre Zara et Aliide gâcherait le plaisir de la lecture.
Du point de vue stylistique, Sofi Oksanen joue simultanément sur deux registres. Elle use des techniques du suspens pour raconter l’histoire de Zara, révélant par petites touches l’identité de ses pourchasseurs, son passé d’exilée des camps russes et la nature de ses véritables liens avec son hôte. Pour dessiner le parcours d’Aliide, l’auteure recourt à la chronique historique. À travers les grands moments de l’histoire estonienne du XXe siècle, Oksanen raconte les amours déçues d’Aliide pour Hans, le patriote, son ineffaçable honte d’avoir été violée par l’occupant russe et ses calculs pour tirer égoïstement avantage d’une situation politique difficile.
Avec son chœur de femmes malmenées tantôt par les caprices du destin, tantôt par l’aveuglement de leur passion, Purge a quelque chose de la tragédie grecque. Le titre lui-même évoque déjà la catharsis chère aux tragédiens du XVIIe siècle. Dans une entrevue au journal Le Monde, Sofi Oksanen s’explique sur le choix de ce titre : « Puhdistus [le titre du roman en finnois], c’est tout ce qui est lié à l’action de nettoyer. Nettoyer, laver, épurer, désinfecter, mais aussi purifier ethniquement, purger au sens de Staline ». Ici, il s’agit bien pour les protagonistes de se laver de leur passé.
Ce roman qui parle d’amour et de jalousie, d’exploitation et de sévices sexuels, de guerre et de résistance, d’exil et de retour, constitue une incontestable réussite tant par sa construction que par son écriture, remarquablement servie par la traduction de Sébastien Cagnoli. Surtout, Purge nous révèle une auteure venue du froid qui n’a pas fini de faire parler d’elle.