Le héros du dernier roman de Jean Echenoz pourrait être présenté comme un avatar de l’apprenti sorcier ou du savant fou ; il s’agit de Gregor, un personnage librement imaginé à partir de la biographie authentique de Nikola Tesla. On doit à cet ingénieur visionnaire, né en 1856 sur le territoire de l’actuelle Croatie, nombre d’inventions qui ont conduit directement aux nouvelles technologies dont on ne saurait plus se passer.
Gregor naît dans la confusion d’une nuit d’orages particulièrement violents, si bien qu’on ignore la date exacte de sa naissance. Est-il de la veille ou du lendemain ? Le jeune garçon, plutôt antipathique et peu communicatif, manifeste très tôt une intelligence hors du commun. Grâce à une mémoire photographique phénoménale, il assimile en un temps record langues et notions scientifiques. Pour se débarrasser de lui gentiment, on lui conseille de tenter sa chance là où tout est possible, c’est-à-dire en Amérique. L’ingénieur y est rapidement embauché pour des prunes par un Edison qui cherche à garder son monopole sur l’électricité et qui est aux prises avec les incendies, courts-circuits et autres difficultés techniques inhérentes au courant continu qu’il exploite. D’abord apprécié pour son savoir-faire et sa capacité de travail, Gregor passe carrément pour fou lorsqu’il évoque comme solution aux problèmes la possibilité de mettre au point le courant alternatif. Le concurrent Westinghouse flaire cependant la bonne affaire et donne à Gregor carte blanche pour mettre au point ses idées.
Ballotté entre les maisons concurrentes, l’inventeur insouciant et solitaire mènera un train de vie somptueux pendant un certain temps. Malheureusement pour lui, Gregor est affligé d’une inaptitude chronique à gérer ses affaires : il néglige toutes les précautions à prendre pour éviter qu’on exploite effrontément ses idées ou qu’on les lui vole.
Des éclairs allie avec brio la plus grande fantaisie d’écriture à une organisation qui interpelle le lecteur à la manière d’un documentaire, offrant le portrait d’un être méconnu dont les éclairs de génie ont tracé la voie au développement des outils qui font dorénavant partie de notre quotidien. Pour notre plus grand plaisir, Echenoz y multiplie les termes savants avec une déconcertante légèreté. Comme quoi le langage scientifique n’est pas dépourvu d’un potentiel poétique !