La canonisation du frère André, alias Alfred Bessette, justifiait la réédition de la biographie élaborée il y a quelques années par Micheline Lachance. À cause du laconisme de l’éditeur, on ne sait trop, cependant, où chercher les modifications ou les ajouts. Seul le changement de ton perceptible dans le dernier chapitre et l’épilogue semble découler de la mise à jour.
Car, jusqu’au moment de fouiller le dossier de la canonisation et d’esquisser un jugement, la biographe laissait s’exprimer, presque sans le tamiser, le culte voué par les masses au frère André. Attitude respectueuse de la biographe : l’époque, le climat, l’adhésion populaire revivaient sans les risques d’un filtre anachronique. Une incertitude planait cependant, inévitable, sur le récit : l’apôtre de saint Joseph était-il un authentique thaumaturge ? La biographe laissait flotter la question, donnant toutefois un certain écho aux réticences des esprits forts. Plus que le scepticisme prévisible, ce qui heurte l’esprit, c’est le regard hautain que jetaient sur le petit portier les membres instruits de sa propre communauté.
Cette neutralité, saine à son heure, n’était plus défendable dès la décision vaticane de canoniser le frère André. La question initiale devenait pressante. D’une part, l’Église apportait-elle sa caution officielle à la thèse des miracles ? Sous Jean-Paul II, le Vatican multipliait les canonisations et demandait aux nouveaux saints une vie exemplaire autant et plus que des miracles. Son auréole, le frère André la devait-il à sa vie d’humilité et d’écoute plus qu’à des prodiges ? D’autre part, l’auteure, dont on apprécie la rigueur et l’honnêteté, endossait-elle la conclusion des tribunaux ecclésiastiques ?
C’est en journaliste que Micheline Lachance affronte ces questions. La position de Rome est nette : miracles il y eut. Micheline Lachance en prend note, mais réserve encore son verdict. Après avoir recueilli l’avis d’observateurs crédibles ‘ Jacques Languirand, Benoît Lacroix… ‘, la biographe laisse au mystère le droit au mystère. Un témoignage ressort, celui du psychologue et anthropologue Gilles Bibeau : « Le grand mérite du frère André, c’est moins d’avoir guéri un millier de gens que d’avoir donné un sens à la maladie, rôle que devrait jouer la médecine, mais dont elle s’est écartée pour devenir essentiellement curative. Le frère André a respecté la maladie et l’inéluctabilité de la mort. En créant des dispositions psychologiques positives, il a permis à un certain nombre de personnes de s’en tirer. Aux autres, il a rendu leur mal acceptable, supportable ». Micheline Lachance rattache ainsi les deux versants de son enquête : un culte populaire fondé, souvent à l’insu des bénéficiaires, sur une perception réaliste de la condition humaine.