« Le monde, affirmait le célèbre écrivain voyageur Nicolas Bouvier, est constamment polyphonique alors que nous n’en avons, par carence ou paresse, qu’une lecture monodique. » D’où l’intérêt d’en proposer d’autres lectures, me disais-je, en terminant le livre de Catherine-Lune Grayson, une journaliste qui s’est inspirée de son expérience de travailleuse humanitaire en Afrique (Tchad, Burundi, Tanzanie, Somalie, etc.) pour écrire des impressions de voyage d’une étonnante polyphonie. Parlant des horreurs de la guerre civile et des souffrances des camps de réfugiés, elle nous donne à voir les zones de crise sous un angle différent de celui qu’adoptent généralement les médias occidentaux. Il ne s’agit pas ici de compter les morts, de rapporter des scènes d’apocalypse, de restreindre l’Afrique à ses problèmes, de la décrire « comme un tout homogène et misérable qui meurt du sida ». L’auteure choisit plutôt de laisser libre cours à son écriture personnelle, de colliger des impressions et des réflexions, des commentaires reliés à divers thèmes comme le temps, le tourisme, les dimanches, la solitude, etc., le tout accompagné de brèves narrations, d’allusions intertextuelles (Hannah Arendt, Marguerite Yourcenar, Albert Camus, Marguerite Duras, Louis Aragon, Segun Akinlolu, Jacques Prévert, etc.) et de très belles illustrations et photographies. Pour Grayson, il importe d’être « humain avant d’être journaliste ». « Témoin d’une interminable danse macabre », elle ne cède pourtant ni au « sanglot de l’homme blanc » ‘ pour reprendre la fameuse expression de Pascal Bruckner ‘ ni au misérabilisme médiatique, voire touristique, qu’elle aborde d’ailleurs avec une pointe d’ironie : « Nous sommes des touristes du sordide, dit-elle. Des touristes de la misère humaine. Sortez vos appareils, voilà des milliers de réfugiés qui n’ont pas mangé depuis des jours ». Et parallèlement à cette désolation qui nous apparaît sous un éclairage différent, la beauté peut exister pour qui sait la voir. Ainsi, le Burundi, c’est forcément les mines antipersonnel, l’écho des balles dans la nuit et les « images du conflit qui a fait de ce pays un champ de ruines ». Mais c’est aussi un « petit paradis et des mangues », un « lac et ses palmiers », « du café et du thé qui poussent sur les vertes collines », le « goût des ananas » et les « montagnes bleues du Congo voisin qui se dessinent et s’effacent contre le ciel, au gré du temps ». « Bien sûr, quelqu’un doit faire l’inventaire des horreurs du monde. » Mais Catherine-Lune Grayson prouve avec un très beau livre qu’on peut le faire avec sensibilité, compassion et créativité.
NUL NE REVIENT DU PAYS QUI N’EXISTE PAS
- Michel Brûlé,
- 2010,
- Montréal
103 pages
24,95 $
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