Un auteur de fiction possède-t-il tous les pouvoirs, y compris celui de réinventer la vie de son lecteur au gré des fantasmes de ce dernier ? Voilà la terrible magie que semble prêter un homme à Amélie Nothomb, héroïne et narratrice de sa dernière œuvre comme elle l’était de Stupeur et tremblements.
Melvin Mapple, soldat américain oublié dans l’enfer du combat en Irak, lance un appel à l’aide désespéré à son écrivaine favorite par le truchement d’une missive. S’ensuit alors un échange de courrier donnant corps à ce roman épistolaire au thème étonnant : comment un esprit traumatisé en arrive, pour s’opposer à l’hérésie de son gouvernement belligérant, à détruire l’une des forces vives de l’armée, soit son propre corps. C’est ni plus ni moins à une guerre contre la guerre que se livrent Melvin et quelques comparses en faisant une « grève de la satiété » qui leur permet d’atteindre un état d’obésité morbide invalidant et paradoxalement d’exercer ainsi leur libre arbitre devant les exigences aberrantes des autorités.
Que l’auteure de Biographie de la faim et Métaphysique des tubes explore les méandres de la « non-faim » ne surprendra pas ses fidèles lecteurs qui attendent chaque parution automnale comme une communion. Précisons tout de même, sans dévoiler le dénouement, que la réelle réflexion constituant le creuset de cette dernière œuvre nothombienne concerne plutôt le poids que l’écrivain exerce sur l’imaginaire du lecteur, le plus créatif des deux n’étant pas nécessairement celui qui est lu
Inégal et laissant une sensation d’incomplétude, Une forme de vie tire pourtant sa force de ces caractéristiques puisque pour qui a faim, de pages ou de contacts humains, le banquet ne se termine jamais.