Travail d’orfèvre et mémoire des mots. On pourrait croire que Georgette LeBlanc a réinventé la langue des siens, or il n’en est rien affirme cette jeune auteure de 33 ans : la langue du récent Amédé, tout comme celle d’Alma, son précédent et premier récit-recueil, est bien celle que l’on parle en 2010 dans la petite enclave francophone de la baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse.
Cette langue particulière (certains préféreront variante ou parler régional), à distinguer de celle – celles – de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, Georgette LeBlanc a grandi en pensant qu’elle n’était pas digne d’être écrite. Pire : qu’elle était une prison ! Terrible idée reçue, préjugé qu’elle allait bientôt renverser pour notre plus grand plaisir. En 2006, après des études à l’Université de la Louisiane à Lafayette, doctorat en littérature en poche, LeBlanc fait paraître Alma aux éditions Perce-Neige de Moncton et récolte coup sur coup les prix Félix-Leclerc et Antonine-Maillet–Acadie Vie.
Amédé s’ouvre sur « Alma raconte », prologue sombre et envoûtant : « l’Histoire a braqué dans la nuit / un soir de fond de logis / j’étions assis / j’avions brassé le fudge ». Y surgissent « la goule de baleine rouverte comme un port », « des pas de bêtes à deux pattes / des voix d’hommes en rage », « le vent et la pluie et les chevaux / et toute la misère du monde ».
Suit une allégorie, rappel de l’arrivée des Acadiens au « neuf pays » – la Louisiane – après sept ans (symboliques) de navigation : « des quatre coins de la mer, chaque bote reprit / pour les douces et longues jambes de l’Atchafalaya / pour quitter à jamais l’eau salée ».
Puis braque, ou commence si l’on préfère, l’histoire d’Amédé, personnage très librement inspiré du virtuose de l’accordéon cajun Amédé Ardoin, tout aussi librement transposé dans le village archétypal construit par LeBlanc. Nous voici dans les années 1920 que l’auteure affectionne particulièrement et sait si bien dépeindre tout en taisant soigneusement dates et autres repères par trop terre à terre. On lit plutôt, quittant la Louisiane pour le Grand Texas : « la poussière qui mirait, qui craquait d’électricité », « la radio […] comme l’accordéon / une petite boite noire qui parlait, qui racontait la tune du temps / mais le temps de l’industrie était rempli d’huile »
Des images belles et fortes traversent Amédé, issues d’un travail minutieux, à la fois littéraire, linguistique et historique qui, au final, frappe par sa… nouveauté ? Et – avis aux lecteurs qui détalent comme des lapins à la vue d’un recueil de poésie – sa très grande accessibilité. (Un petit minimum de connaissance de l’anglais est au demeurant souhaitable, mais nullement nécessaire.)
La nouvelle orthographe française se prête à merveille à l’écriture de Georgette LeBlanc, déroutant « une miette » de plus le lecteur non-Acadien.