Dès le lendemain de sa conquête par les troupes britanniques, la Nouvelle-France eut devant elle un spectacle et une tentation : la marche des colonies étatsuniennes vers l’indépendance. Marche difficile, mais dont les Canadiens de l’époque allaient peut-être envier l’éventuel aboutissement. D’où les questions que pose Yves Dupéré sur cette période de l’histoire québécoise. Désirait-on revenir à la domination française ? S’il fallait choisir entre deux dépendances, vers laquelle se portait la sympathie de la population canadienne : la française, séduisante par la langue et la religion, ou la britannique dont le haut clergé vantait les mérites ? Allait-on plutôt, à l’instar des colonies en mal d’émancipation, s’inventer un pays autonome ?
Ainsi que Dupéré le fait habilement percevoir, le comportement de la France devant l’affrontement entre Londres et les Treize-Colonies éveille des sentiments partagés chez les Canadiens. Les Canadiens, à dire vrai, ne savent pas à quel jeu s’adonne Versailles. La France veut-elle profiter du Boston Tea Party pour reprendre pied en Amérique ? Est-elle désintéressée lorsqu’elle tend la main aux insurgés ? Autant de supputations aventureuses qui alimentent les échanges.
Dupéré complique et enrichit encore le débat en rappelant l’importance que, par un penchant commun, les impérialismes durcis tout comme les naissantes diplomaties accordent à l’espionnage. Ni Beaumarchais, ni Franklin, ni La Fayette n’avaient de leçons à recevoir en ce domaine. Ni Versailles, ni Londres, ni Philadelphie n’allaient attendre Internet pour écouter aux portes de leurs rivales et, bien sûr, de leurs alliées chambranlantes. Sur ce terrain, Dupéré pratique un réalisme éclairant qui jette une passerelle entre le monde du roman et le calcul politique le plus concret. À la myopie d’un Voltaire réduisant la Nouvelle-France à quelques arpents de neige, l’auteur substitue les froides prévisions de la monarchie française : « Après une violente guerre d’Indépendance, il [le roi] est persuadé que les relations entre l’Angleterre et ses anciens colons seront brisées à tout jamais. Les Américains se tourneront alors vers leur allié français par gratitude pour établir de nouvelles relations commerciales ». Tant pis pour les pions qui récoltent le mépris en retour de leur ferveur.
Solide, vivant, documenté, le récit de Dupéré n’est déparé que par l’insertion, nullement indispensable, de quelques personnages au sadisme dégradant.