Il arrive parfois qu’une rupture amoureuse provoque chez celui qui la vit, la subit, une véritable rupture de son être ‘ la révélation d’une faille, l’avènement d’une béance : sa vie. C’est à l’histoire de cette défaite que nous convie Patrick Dion dans son roman Fol allié. Le narrateur, en effet, entreprend, après le départ de l’être aimé, de s’entendre tomber dans le vide. En chute libre : c’est ainsi qu’il parle, déparle, s’adressant tantôt à lui-même, tantôt à un ami parti à l’étranger et qui jamais ne lui répond.
Par moments pur cri, par moments appel au secours, imploration ou confession, l’écriture devient alors le lieu de toutes les remises en question, de tous les délires, de toutes les confrontations surtout : avec soi-même d’abord, c’est-à-dire avec le vacarme des souvenirs qui tournent dans la tête de l’abandonné ‘ et la lui font tourner également. Mais, comme un abandon ne vient jamais seul, le drame ne s’arrête pas là. Absence du père, blessures d’enfance, usage douteux d’autrui comme bouée de sauvetage, passion de la fuite : voilà autant de pans de son être, de son histoire, que le narrateur casse, recolle, recasse, retournant sens dessus dessous chacun de ses comportements amoureux, ceux-là même qui, ultimement, l’ont jeté dans sa présente et terrifiante solitude.
La plume de l’auteur ne manque certes pas d’intensité. Celui-ci manie bien la langue, maintenant par ailleurs un rythme assez près du flux de conscience. Enfin, à l’image des rapports amoureux ou conjugaux de notre époque où les êtres sont comme tout le reste des objets de consommation, le langage est souvent cru, frôlant l’impudeur. Mais n’est-ce pas là justement l’intention de celui qui s’adresse à nous que de mettre à nu sa « blessure d’amour masculine », que de traduire en mots le silence qu’on garde d’habitude pour soi, littéralement retourné contre soi ?