Ce trentième ouvrage de Normand de Bellefeuille fait penser aux Belles-sœurs de Tremblay transposées dans un roman de Jean-Paul Dubois. On y suit un quatuor de ménagères montréalaises au parler truculent. Gabrielle, Alice, Fleurette et Rita se rendent en Dordogne, afin de visiter la grotte de Lascaux qu’elles ont longtemps imaginée tout en jouant au poker et en buvant du sherry. Or, nous sommes en 1963 et la grotte devient interdite au public le jour même où les quatre matrones y débarquent. Ce long voyage ne leur aura servi qu’à ramener des diapositives et un jeu de cartes plastifiées.
Les déboires du quatuor ne forment qu’une partie du livre de Normand de Bellefeuille. Un autre récit nous présente, à quelque 40 ans de distance, le quotidien de Simon, fils de Gabrielle et petit-fils d’Alice. Simon est un écrivain hanté par Lascaux. Sa compagne, Raphaëlle, vit de traductions ayant trop peu à voir, à son goût, avec la littérature.
Un poker à Lascaux contient quelques passages savoureux, comme celui où une cliente de librairie, à la recherche d’un livre sur Jean-Paul II, se fait malicieusement orienter vers un roman de Jean-Paul Dubois. De Bellefeuille multiplie les clins d’œil : à la mise en abyme, façon gidienne (Simon travaille à un livre intitulé Un poker à Lascaux) ; à un jeune romancier terre-neuvien, Joel Hynes, renommé Noël Fynes, et dont le roman Right Away Monday est devenu Right Away Friday. Plus narcissiquement, de Bellefeuille renvoie à ses propres livres, tels Nous mentons tous (rebaptisé Vous mentez tous) ou Lascaux. La grand-mère, Alice, sort tout droit du recueil de nouvelles Ce que disait Alice (1989).
En refermant Un poker à Lascaux, on a l’impression que l’auteur a couru plusieurs lièvres à la fois. Un secret de famille jamais élucidé, la métaphore filée du bluff, un va-et-vient chronologique, le deuil de la bien-aimée, un rapport mystérieux avec le père On s’y perd. Un poker à Lascaux semble avoir placé trop haut la mise.