On peut reconnaître les traces d’un combat dans l’écriture de Carole David, mené contre une conception éculée et persistante de la poésie, que continue de transmettre l’adjectif découlé du genre tel qu’il s’est défini à l’époque romantique : est poétique, selon la définition du Petit Robert, ce « qui émeut par la beauté, le charme, la délicatesse ». Le refus de concourir à la promotion de l’idéal, du parfait ou de l’éthéré est une constante de l’œuvre de David, et il s’articule nettement dans son dernier recueil, Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles : « Qui a dit que la poésie était un parfum vaporisé sur les taches de vin ou de sperme ? » Un refus qui se révèle ici porté par un sens de responsabilité à l’égard des jeunes filles auxquelles s’adresse ce « manuel », qu’on abreuve d’un imaginaire de contes de fées qui ne peut que les conduire à la désillusion et à la défaite : « Minuit, pleine de rage, je parcours les allées du marché. / Il n’y a ni carrosse, ni citrouille, ni cow-boys / sur leurs grands chevaux pour me redonner vie / (Sam Shepard a disparu) ».
L’exergue de Jacques Chirac donne le ton : « J’adore la poésie parce que c’est facile à lire et c’est bien en avion ». Ce sens de la dérision manifeste le désir de faire descendre pour de bon le genre de son piédestal. Le manuel de David insiste sur les aspects concrets d’une pratique de la poésie ; alors que les deux premières parties rendent hommage aux écrivaines, aux artistes et aux icônes dont les voix et modèles de résistance accompagnent l’auteure dans l’écriture et dans la vie, en de courts poèmes qui signalent une intelligence fine des démarches et postures existentielles de chacune, les sections suivantes portent sur les circonstances matérielles du métier que sont les rencontres de poètes, le travail de traduction et l’enseignement. La professeure nous accueille dans sa salle de classe et, parmi les étudiants, nous apprenons avec bonheur à entrer dans un poème. Les poèmes de la dernière section, « Kitchen Song », montrent finalement comment l’écriture peut devenir l’outil d’un accroissement du rapport vécu aux réalités quotidiennes. Car, ici, art d’écrire et art d’habiter vont de pair ; imaginant un dialogue entre les poètes Sylvia Plath et Ann Sexton, David écrit : « J’écoute leur conversation féroce, je suis derrière, / subjuguée par leur maîtrise des mots et de l’art ménager ; / émue je m’incline devant leurs voix. / Je n’ouvrirai pas le gaz de la cuisinière ».