Dans Jan Karski, Yannick Haenel rappelle la mémoire de Jan Kozielewski, passé à l’histoire sous son nom de résistant et qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, servit d’agent de liaison entre la Résistance et le gouvernement polonais en exil. Dans son livre, Haenel s’intéresse surtout à ses efforts pour mettre fin à l’extermination des Juifs en Pologne.
Son ouvrage, un hybride entre compte-rendu et fiction, se divise en trois parties. La première résume l’entretien que Kozielewski/Karski a accordé à Claude Lanzmann pour son film Shoah dans lequel il raconte sa visite clandestine du ghetto de Varsovie en 1942. La seconde relate ses activités de résistant, ses emprisonnements, ses évasions, sa torture par la Gestapo, sa fuite à Londres et ses efforts pour faire connaître au monde libre le sort qui était réservé au peuple juif.
Dans la troisième partie, Haenel recourt à ce qu’il appelle « l’histoire intuitive » pour nous plonger dans la conscience de Karski. Le discours qu’il lui prête sur la culpabilité, individuelle et collective, sur le poids et la nécessité du silence, sur l’omniprésence du mal et le sens de la foi ou sur les malheurs d’une Pologne toujours perdante est brillant, pénétrant et, sans doute, fondamentalement juste. Alors pourquoi cette impression que tout cela sonne faux ?
Peut-être parce que l’homme d’action des deux premiers chapitres s’accorde mal avec les méditations rétrospectives imaginées par Haenel. En outre, la relation caricaturale de la rencontre de Karski avec Roosevelt, son dialogue imaginaire avec le tableau de Rembrandt, Le cavalier polonais, censé représenter l’âme de la Pologne, les références ponctuelles à Schoenberg ou à Kafka paraissent relever davantage de la sensibilité de l’auteur plutôt que de celle de son personnage.
L’histoire de Jan Kozielewski valait mille fois d’être racontée et le livre de Haenel mérite d’être lu pour l’élégance de sa plume, l’acuité de son regard et pour ce qu’il dit de la souffrance oubliée de la Pologne. Mais, pour rencontrer le vrai Jan Karski, il faudra sans doute lire le récit que lui-même fit de sa vie de résistant dans Mon témoignage devant le monde, Histoire d’un État secret, paru chez Point de mire en 2004.