Le Nord est un lieu de défi, de recommencement, où chacun fait face à ses limites et à sa solitude. Dans ces lieux austères, perdus, hostiles, il est vital de puiser dans ses ressources pour affronter l’adversité qui ne manquera pas d’advenir. Il n’est guère étonnant que ce lieu vaste et imprécis, contrôlé que de biais par la civilisation technicienne, soit devenu pour les écrivains un espace imaginaire à investir, un univers fertile pour camper des intrigues qui y acquièrent une densité, une universalité du seul fait de placer des individus face aux éléments et à la présence pas toujours rassurante de leur semblable.
C’est ce qu’a fait Trevor Ferguson dans son roman Train d’enfer, que les éditions de la Pleine lune rééditent avec la sortie de son adaptation cinématographique. Martin Bishop est un adolescent orphelin qui s’engage sur un chantier voué à l’édification du chemin de fer du Grand Lac des Esclaves. Le jeune est responsable du livre de comptabilité, ce qui le met rapidement en conflit avec son supérieur autoritaire qui gère les fonds à son propre profit. Histoire à propos de l’éthique dans des situations extrêmes, où la dignité humaine est mise à mal par la soif d’argent et de pouvoir, le roman est marqué par des urgences en opposition. D’abord celle de la compagnie, qui impose une cadence infernale aux ouvriers exténués, puis celle de Martin, happé par la frénésie de se faire une place dans ce monde hostile et d’y acquérir un statut, celle enfin d’un récit écrit d’un seul souffle, qui ponctue le temps en accéléré, mais pas ses phrases. Chaque énoncé coule sans virgules, créant un torrent narratif où les coupures et les hésitations ne sont pas les bienvenues. Ce train d’enfer imposé à tous, lecteur compris, entraîne le drame : Martin est exclu du chantier, il doit vivre tel un vagabond dans la forêt menaçante avec les autres destitués. Cette société de marginaux, Martin, par sa vivacité d’esprit, doit la mettre à sa main et l’orienter vers sa liberté et la justice. Le défi du Nord est alors grandiose, mais relevé par la droiture de Martin, malgré les souillures qu’il doit se résigner à commettre pour maintenir ses idéaux.
Le roman de Ferguson additionne les aventures, les discours apocalyptiques, les descriptions lyriques du paysage afin de baliser la vieille confrontation entre l’idéalisme et le pragmatisme. Les outrances, les facilités, les péripéties rocambolesques sont fréquentes, mais le talent (capacité à camper les personnages, bon dosage entre action et description, dialogues savoureux, ambiguïtés bien placées) de conteur de Ferguson distille une joie de narrer qui lisse néanmoins ces aspérités.