« Pendant près d’un demi-siècle, il s’est joué plus de jazz à Montréal que nulle part ailleurs au Canada », peut-on lire au début de cette impressionnante Histoire du jazz à Montréal. Après quelques doutes, on ne peut qu’adopter le point de vue de l’auteur tant sa démonstration est bien documentée et convaincante. Dans sa préface, l’écrivain Gilles Archambault – « la » référence au pays en matière de jazz – encense cet ouvrage qui l’a ému, évoquant « une ville remplie de ferveur ».
À quelques heures de route de New York (dans les années 1940 et 1950), Montréal aura été une plaque tournante du jazz international ; toutes les légendes du jazz y sont passées : Cab Calloway, Duke Ellington, John Coltrane, Bill Evans, Miles Davis, Art Blakey, Lionel Hampton. À partir d’archives et de témoignages, John Gilmore évoque le parcours des musiciens de jazz qui ont joué et surtout vécu à Montréal, du Belge René Thomas au Jazz libre du Québec, sans oublier Oscar Peterson et Vic Vogel. De plus, on rappelle que certains musiciens francophones « blancs » s’étaient alors fait remarquer, dont le pianiste Robert Langlois et le violoniste québécois Willy Girard.
Au fil des chapitres, on refait le circuit des douzaines de boîtes de jazz qui ont existé durant cet « âge d’or », dès l’époque de la prohibition américaine, mais principalement dans les années d’après-guerre : le Clef Club, le Lindy’s, La Tête de l’Art, la Casa Loma, et même le restaurant Dunn’s ! On revit en parallèle le circuit des « nuits de Montréal » ; à cette époque, on ne jouait pas du jazz à la Place des Arts mais dans des lieux enfumés et louches, parfois proches du monde interlope et de la contrebande d’alcool. Les descentes de police et les condamnations pour possession de narcotiques y étaient fréquentes. Sur le plan strictement musical, c’est à Montréal que le free jazz s’est épanoui, en 1959, avec entre autres le saxophoniste Ornette Coleman, qui jouait spontanément, entouré « par huit musiciens qui ne se souciaient ni de la métrique, ni du tempo, ni des mesures, ni des accords ou des formes ».
Non, le jazz à Montréal ne date pas d’hier, ni même des années 1970. On lit cette excellente Histoire du jazz à Montréal comme un livre très vivant et révélateur, sans doute l’un des meilleurs parus au Canada cette année dans le domaine de l’histoire canadienne. On trouvera en prime les adresses d’une centaine de boîtes de jazz montréalaises qui ont toutes disparu ou déménagé, mais aussi une nouvelle postface pour l’édition en français, des annexes et un index.