Les années que raconte l’ancien secrétaire de presse de Robert Bourassa dans le deuxième tome de son panégyrique ont vu l’une des plus étonnantes résurrections politiques que l’on puisse imaginer. Dépossédé du pouvoir en 1976 et même battu par Gérald Godin dans son comté montréalais de Mercier, Robert Bourassa reconquiert à petits pas fébriles audience, crédibilité, majorité. Quand se referme le bouquin, Bourassa vient de laminer le Parti québécois au scrutin de 1985 et occupe de nouveau l’avant-scène politique québécoise. Cette remontée laisse comme principales victimes René Lévesque et Claude Ryan.
Sélectif et complaisant, l’auteur explique le miracle par la géniale lucidité de son idole. Selon lui, Bourassa manifeste une infaillible sûreté de jugement en tout domaine : il ridiculise les fumeuses théories monétaires de Lévesque et de Parizeau, propose et effectue la conquête hydroélectrique du Nord québécois, prononce l’oraison funèbre de l’État-nation, réhabilite l’entreprise privée, etc. La démonstration semble d’autant plus probante que, de fait, le Parti québécois enfile les erreurs stratégiques et les flottements idéologiques. Le gouvernement péquiste perd avec constance chacune des élections partielles qui lui sont imposées, tandis que son chef s’aventure dans un « beau risque » fédéraliste qui lui coûte un schisme douloureux et plusieurs de ses meilleurs ministres. Denis a beau jeu de décrire la remontée de Bourassa comme un retour au sens commun et à une gouvernance prévisible.
À trente ans de distance, le lecteur serait malhonnête s’il versait dans l’anachronisme. La boule de cristal de Bourassa n’était pas infaillible, mais aucune ne l’était. L’histoire prononce aujourd’hui sur les prémonitions de Bourassa un jugement dont l’époque était incapable. Exemple : l’euro unit l’Europe sans la niveler. Exemple : « Lévesque et Trudeau basent tous les deux leur philosophie sur le concept dépassé d’État-nation ». Autre exemple : « Il suffirait, déclare Bourassa en 1984, de quelques dizaines de millions de dollars pour régler dans les meilleurs délais le problème de l’accès des malades aux salles d’urgence… » Autre proposition qui ferait aujourd’hui grincer toutes les dents : « Les revenus tirés des exportations d’eau douce pourraient avoir un effet inestimable sur la progression du produit intérieur brut du Québec et du reste du Canada ». Énormes erreurs d’aiguillage comme en commettent tous les gouvernants, mais qui détonnent dans la besace d’un infaillible. Du coup, c’est ailleurs qu’il faut chercher le secret de cette résurrection miraculeuse. Sans trop s’en rendre compte, Charles Denis explique cette magie : c’est grâce à l’affirmation inusable, au martèlement sans nuance, au harcèlement de l’adversaire que Bourassa doit sa deuxième ascension du sommet politique. Tout prétexte lui fut une occasion à ne pas échapper : discours, critiques, entrevues, apparitions… Quelques grandes intuitions, autant ou plus d’aiguillages douteux que chez autrui, mais surtout entêtement, patience, travail.