Juin 2007, Bob Richard, 40 ans, répond à une offre d’emploi : animateur de nuit dans une station radio au Vermont. Sans attaches, si l’on exclut Jeff, le chien du voisin, il quitte aussitôt une petite ville du Québec pour Solitary Mountain, balayée par la pluie et les éclairs le soir de son arrivée. Présage de la tempête qui bouleversera sa vie, de faire comprendre dès le début de son récit le narrateur héros. Solitaire, pas tant par misanthropie que par peur de souffrir, l’albinos Bob aime la nuit et l’idée de s’adresser à des insomniaques, des angoissés, des désespérés, au moyen du langage de la musique, jazz, blues et rock, qui, avec le cinéma, occupe son univers intérieur. À un point tel que Bob Richard regarde le monde à travers le filtre de la fiction cinématographique et des émotions que lui procurent, notamment, les jazzmen Coltrane, Morrison, Parker, etc.
Les images d’un film de Clint Eastwood, vu jadis une dizaine de fois, s’imposent à lui lors de sa première nuit au micro lorsqu’une auditrice l’appelle et lui demande : « Play Mitsy for Me ». C’est le titre du film qui lui avait fait une si forte impression qu’il avait eu le pressentiment qu’il serait un jour victime comme le héros auquel il s’identifiait. Play Mitsy for Me raconte l’histoire d’un animateur d’une émission de nuit aux prises avec une admiratrice déséquilibrée. Mise en abyme. Bob vivra aux aguets et décodera tout ce qui lui arrive et se produit à Solitary Mountain comme s’il s’agissait de la reproduction du film dans la réalité. Et si cela était ?
C’est là la trame centrale du roman que l’on qualifie de policier sur la couverture. Des meurtres, des soupçons, une enquête policière, comme il se doit, bien sûr ! Mais on dirait un prétexte, tant l’intrigue policière est peu convaincante. En fait, le roman foisonne de pistes d’interprétation avec ces signes qui se superposent ; ces digressions à chaque page à propos de films, d’acteurs et de musiciens ; ces effets de miroir tels que l’albinos Bob et Albee, le chevreuil blanc ; ce mélange de réalité, de fiction et de présages ; ces marques indélébiles des origines, et j’en passe.
Depuis Le ravissement, prix du Gouverneur général, Andrée A. Michaud crée avec brio des univers traversés par le doute. Allant jusqu’aux tréfonds de l’âme de ses personnages, elle en fait voir les blessures, la folie, le mal de vivre, de même que la générosité et la solidarité dans un monde qui leur paraît souvent hostile.