Lancée il y a une vingtaine d’années, cette biographie renaît sans la moindre ride. Ni alourdie par un fatras de notes infrapaginales, ni truffée d’éloges sirupeux, l’œuvre dessine d’une pionnière récemment réexaminée un portrait fin et crédible, éclairant et abordable. L’humour, si rare à propos des gloires nationales, ose même humaniser les personnages officiels. Ainsi, Madeleine de La Peltrie, trop pressée de consacrer tous ses biens à Montréal, « en oublie qu’elle avait déjà donné les siens aux ursulines ». Le résumé de la biographe est au moins souriant, peut-être moqueur : pendant que Marie de l’Incarnation remercie le bon Dieu de l’avoir traitée comme saint François « que son père abandonna et à qui il rendit jusqu’à ses propres habits », « les sœurs murmurent contre leur prieure et lui reprochent de s’être laissé dépouiller sans rien dire ». La vertu est de mise, mais Marie de l’Incarnation n’a pas apprécié que partent sous son nez le mobilier, la vaisselle et même les matelas qu’on lui avait donnés !
L’attention de Françoise Deroy-Pineau se concentre sur les multiples tâches assumées par Marie Guyart. Elle ne tisonne pas les querelles suscitées par ses visions. Même sobriété à propos des relations entre l’ursuline et le coléreux Mgr de Laval. En peu de mots, l’essentiel est dit : Marie Guyart s’oppose à ce qu’on impose à ses religieuses de Tours la règle de Paris qu’elle estime peu adaptée à la colonie ; le second feint de laisser porter, mais s’empresse, dès la mort de la religieuse, de favoriser le courant parisien. Quant au comportement maternel de la religieuse, l’auteure l’évoque avec un tact exemplaire. Marie de l’Incarnation aime son fils, mais ne voit pas de drame à le confier au Seigneur. Elle ne s’inquiète même pas quand le cher Claude éprouve un vif attrait pour une jolie pénitente. « Mieux que tout, lui conseille une mère décidément compréhensive, un acquiescement à Dieu par une amoureuse confiance. » La biographe ne rate pas son clin d’œil : « Comprenne qui pourra ».
Un métier assez sûr de lui pour accueillir le sourire et pour laisser la femme survivre dans la croyante.