Cet océan qui nous sépare est un roman épistolaire où 15 correspondants s’échangent 255 lettres sur un espace temporel d’un peu moins de 7 ans (du 13 septembre 1664 au 25 juillet 1671). Le plus souvent séparés par l’Atlantique, les couples harmonieux et lettrés que forment Élisabeth et Christophe, d’une part, et Béatrice et Maurice, d’autre part, rédigent la majorité de ces missives qui prennent jusqu’à deux mois pour parvenir à destination et qui, sous la plume de Christophe surtout, recréent dans une large mesure la vie dans les Antilles au XVIIe siècle.
Sont ici mises en relief les énormes différences qui frappent des Bretons d’origine transplantés en terre martiniquaise : « Tu n’as pas idée de la dure réalité des Îles », dit par exemple Christophe à Maurice. Dans un langage un peu cérémonieux où les époux se vouvoient, les lettres font état de la flore et de la faune colorées des Tropiques, de leur climat particulier, de l’alimentation et de l’habitation des gens du pays. Elles exposent de même le monopole de la Compagnie des Indes occidentales et les difficultés de l’évangélisation des indigènes, que les Jésuites voient à travers leur lorgnette européenne, le tout sous la constante menace des Anglais sur mer, qui tient la milice locale sur le qui-vive. Les épistoliers décrivent encore, avec moult précisions parfois, la culture du tabac et de l’indigo avec l’aide d’engagés et d’esclaves, la chasse au lamantin, au sanglier et à la tortue verte, la fabrication et la dégustation du chocolat, le déroulement d’une cérémonie nuptiale nègre, l’apprentissage du métier de chirurgien… Les destinataires découvrent ainsi des réalités et des mots nouveaux : noms d’arbres (courbaril, hibiscus, mancenillier, gommier, palétuvier), de fruits (ananas, banane plantain, corossol, prune de monbin), de fleurs et de plantes (balisier, igname), de mets et de boissons (cassave, guildive, ouycou), d’animaux et de mollusques (anolis, touloulou, lambi), de remèdes (thériaque, santal citrin, gingembre), tous des termes usités dans ce pays de mangrove où « jacassent » des oiseaux « de toutes les formes et de toutes les couleurs ». Comme dans toute correspondance, on retrace aussi les événements habituels, heureux et malheureux, qui tissent l’existence d’êtres humains : naissances, mariages, morts, conflits familiaux, ennuis de santé, gestion de propriétés… C’est toutefois, même partielle, la reconstitution de l’univers antillais, éloigné dans le temps et dans l’espace, qui est l’un des intérêts particuliers de ce roman qui emprunte une forme narrative appelée à connaître au XVIIIe siècle la vogue que l’on sait.