Le plaisir attendu est au rendez-vous. Dès les premières lignes, l’envoûtement agit : « Le phénomène des animaux parlants est relativement rare […]. Quelques-uns de ces animaux vivent au Québec, notamment près d’Entrelacs, un petit village de la région de Lanaudière ». Que l’on soit encore jeune ou que le grisonnement ait respecté le goût du conte, la réaction sera la même : « Ne me dérangez pas, j’écoute l’histoire ! » Tant pis pour la raison raisonnante, le scepticisme et les vérifications oiseuses.
Lui-même doté de caractéristiques peu courantes, Renard Bleu profite de relations hors norme. Son père – taisez les questions cartésiennes – est camionneur. L’ours Gustave, le Canard Athlète, Bruno le squelette, la sympathique famille Fantôme, le docteur Culotte-Verte, autant de personnages qui se mettent à la disposition de Renard Bleu. Heureusement. En effet, rien n’étant parfait, même chez les animaux parlants, le récit accorde, hélas ! un rôle important à la sorcière Eulalie Laloux. Cette femme méchante, laide et réelle (puisque Beauchemin le dit) jette la famille de Renard Bleu dans un impénétrable coma. Impénétrable à moins que les dormeurs reçoivent « cinq gouttes de sang d’un enfant ayant dormi pendant quatre-vingt-dix ans ». Énigme à suffoquer Batman. Bébé Fantôme ranimera l’espoir par son plongeon de 4000 mètres en direction du défunt Titanic !
L’humour imprègne l’ensemble. Les jeunes, prompts à accueillir toutes les magies, embarqueront sans réticence dans cette logique inédite. Quant aux adultes, ils savoureront les clins d’œil d’Yves Beauchemin. Les voix du clan Fantôme « rappellent un peu le son de l’orchestre de Mantovani ». Le richissime personnage qui offre une aide fort peu désintéressée ? C’est « Desmarigots qui a fait couper ces arbres pour ses maudits journaux ». Après les coupes à blanc, la pauvreté est telle à Clova que même les corneilles retirent des prestations d’assurance-chômage. Au ministère de l’Éducation, Renard Bleu a besoin d’un interprète : « Service de la conceptualisation didactique spécialisée des apprentissages progressifs de la connaissance en milieu scolaire normalisé ». Le premier ministre, accaparé par son coiffeur et ses photographes, a à peine entrevu Renard Bleu. En remettant une décoration au vaillant quadrupède, il dira pourtant : « Si mes conseils ont pu vous aider, monsieur Renard Bleu, poursuivit le premier ministre en abaissant modestement le regard, vous m’en voyez ravi ». La fiction exerce ainsi son droit d’embellir (?) le réel.