L’ouvrage secoue vigoureusement plusieurs des certitudes plaquées sur la Révolution tranquille. D’après Michael Gauvreau, celle-ci a été à la fois plus tranquille qu’on ne le croit et plus tumultueuse, moins spectaculaire et plus sismique, plus culturelle et moins politique, préparée de plus loin et plus totalement interceptée. La méticuleuse recherche effectuée par l’auteur interdit la dénégation. Le premier mérite des Origines catholiques de la Révolution tranquille, ce sera pourtant non d’imposer une vision inédite de l’aventure, mais d’explorer enfin le champ des enjeux sociaux, religieux et familiaux et d’ouvrir la voie à des synthèses moins étroitement politiques.
Religion et famille profitent de cette relecture. Le Québec était une terre si massivement catholique que toute secousse devait y retentir au palier religieux. D’où de très pertinentes questions. L’Église du Québec a-t-elle résisté à la mue ? La Révolution tranquille a-t-elle laïcisé le Québec en profondeur et à toute vitesse ? Les déchirements de la chrétienté québécoise ont-ils détourné le Québec de l’unité recherchée ? Nationalisme et religion ont-ils pactisé ? Sur tous ces fronts, Gauvreau propose un éclairage tranché et presque cruel. Quand les catholiques réformistes ont reproché à leurs aînés leur christianisme de façade, ils ont sous-estimé la foi des classes populaires. Quant à la famille, Gauvreau la montre en quête de conceptions rajeunies du rôle paternel, de la vie sexuelle, du droit des enfants à la démocratie… Coups de sonde révélateurs, fascinants d’ingéniosité et de liberté intellectuelle. Il était bon que l’on apprenne à quel point le rapport Parent a manqué d’audace à propos de la montante laïcité. Les compromis ont tous abouti, en effet, au maintien de la confessionnalité des réseaux. Frilosité à la fois politique et sociale.
On s’étonnera peut-être de l’importance accordée par Gauvreau au personnalisme d’origine française. Les textes lui donnent pourtant raison : Emmanuel Mounier et la revue Esprit ont séduit les élites catholiques du Québec, tout en creusant le clivage entre les classes sociales supérieures et le Québec profond.
L’honnêteté et la clarté de ce regard non québécois sur une mythologie trop aisément consentie n’empêcheront pas le lecteur d’être agacé par un certain manque de familiarité avec l’atmosphère, les usages et les termes québécois. Les collèges classiques sont traités en bloc monolithique, alors que des différences notables ont existé entre les externats et les pensionnats, entre les établissements relevant du clergé séculier et ceux que contrôlaient les ordres religieux. L’auteur (ou le traducteur) confond régulièrement l’abbé et le père. Dès lors, un mystère enveloppe la liberté d’expression des dominicains de la revue Maintenant (Bradet, Harvey, Doucet…) et celle de jésuites comme Paquin, liberté plus courante dans les ordres dits réguliers que dans les presbytères sous contrôle épiscopal. Bien des Québécois, en entendant parler de l’abbé Georges-Henri Lévesque, ignoreront de qui il s’agit. Guy Frégault est promu ministre des Affaires culturelles, alors que le rôle de Colbert québécois lui suffisait. Le joual serait une expression forgée par le frère Untel, alors que Claude-Henri Grignon l’avait déjà presque banalisée. Fernand Dumont est qualifié de théologien des années avant la soutenance de sa thèse de théologie. Plus grave est la référence au « ministère de l’Instruction publique », alors que 1960 connaissait tout au plus un département de ce nom. De même, on cherche à quoi se rattache le discours de l’ancien ministre Yves Prévost « lors du lancement du journal conservateur L’Action » en 1963.
Que ces quelques flottements ne fassent pourtant pas oublier l’essentiel : la Révolution tranquille reçoit ici un éclairage aussi intense que fécond.