Un moine quitte son monastère de Belgique pour passer trois semaines sur une île bretonne, près du lieu où il est né. Rien d’accrocheur dans ce journal qu’il nous livre, pas de tempêtes qui battent le rivage ni de crise qui déchire l’âme du reclus. « Je ne suis pas venu ici pour m’enterrer […] mais pour être au monde. » Sa solitude n’est d’ailleurs pas totale, quelques ouvriers travaillent sur l’île et de sa maison sur la dune il peut apercevoir à faible distance le continent. Et il a la compagnie d’abord un peu craintive puis amicale des oiseaux et des lapins.
Il vaque à d’humbles occupations quotidiennes, sans projet pour le lendemain, sans que le passé vienne le hanter. Point de retour sur sa vie, encore moins de théologie, il se méfie des « lieux communs de la spiritualité » qui s’étalent dans tant de livres, mais attentif, recueilli, ému, souvent amusé, il note ses impressions, ses pensées comme elles se présentent. Chaque jour, à chaque instant il voit s’ouvrir « des fleurs de vérité [qui] parsèment cette île », mais il se met en garde lui-même : « […] regarde où tu mets les pieds ! » Il est venu là « pour ne rien dire » mais non pas pour ne rien écrire… Ce moine qui se parle à lui-même manie une plume rapide, habile mais sans apprêt, qui tient à distance rhétorique et moralisme sentencieux, leur préférant la netteté cursive de la pensée et la fraîcheur de l’impression. Si, évidemment, il se nourrit des Écritures, il a pratiqué Rimbaud et Guillevic, surtout il se souvient avec admiration de Saint-John Perse que, dit-il, il se plaît à « piller ».
À la banale question que pourrait inspirer l’expérience de la solitude : « Où en suis-je ? », l’auteur substitue celle-ci, plus élémentaire et par laquelle il faut commencer : « Où suis-je ? » C’est-à-dire, avant toute tentative de me situer dans une culture et une spiritualité, comment suis-je situé dans l’espace ? Il a laissé pour un temps son monastère entouré d’arbres afin de retrouver autour d’un îlot la mer qui n’a cessé de l’habiter. Et l’accord miraculeux se produit alors entre un environnement géographique, un paysage intime et un « imaginaire spirituel ». Le constat, presque la révélation, est là : « Dans mes pensées, dans ma foi et plus encore mon espérance, je suis d’extrême Occident. » Il y a au fond de lui un Celte aspiré par les grands espaces marins, et un poète qui aime le sol, la pierre, l’arbre, l’animal. Voilà, manifesté, l’esprit franciscain redécouvrant à chaque instant ce qui existe et vit tout près, à notre portée, et qui se trace une voie simple – mais difficile à suivre : être un passant comme le recommandait le Christ, et un « passant joyeux » qui souhaite « ne jamais s’habituer à la splendeur du monde ».
Ce petit livre modeste si riche, et si bien présenté, on le referme, rafraîchi. Il continue de résonner en nous, il nous aide à ouvrir nos yeux et notre cœur.