Professeur de haut vol, Paul Veyne s’exprime avec une séduisante spontanéité. Il avoue ne pas maîtriser l’hébreu, reconnaît ses dettes culturelles et respecte ceux qu’il ose contredire. Il relie avec pertinence et clarté une époque dont nous séparent plus de quinze siècles et une actualité qui s’interroge sur les « racines chrétiennes » de l’Europe. Dans chaque cas, Veyne remonte aux textes, les lit sans les torturer, compare les versions.
Le Constantin de Veyne ne ressemble guère à celui, d’ailleurs imprécis, dont la légende persiste. Il s’était rapproché de la foi chrétienne bien avant que survienne le rêve lui promettant la victoire militaire s’il arborait le signe du Crucifié. Différent de Clovis, Constantin retarde d’ailleurs son baptême le plus possible. Comme on lui a garanti que le baptême efface tous les péchés, il attend son heure dernière pour le demander, comme s’il savait au moment de la conversion qu’il devrait commettre encore quelques crimes ! Veyne croit à la sincérité de Constantin : il devenait chrétien alors que l’Empire demeurait païen à 90 %. Constantin étonnera par d’autres aspects encore de sa politique. Il ne force personne à le suivre, à moins qu’il s’agisse de sa maison personnelle. Il ne persécute personne, lui qui a grandi à une époque où l’on pourchassait les croyances marginales. Diviniser l’empereur ne lui vient pas à l’idée. Il exprime une vive répulsion devant les combats de gladiateurs et les sacrifices sanglants. Le profond sens politique de Constantin explique ainsi, au moins pour une part, que le christianisme se soit durablement implanté en Europe. Sans ce flair impérial à la fois audacieux et mesuré, ce culte n’aurait peut-être été qu’une parenthèse.
Peul Veyne fait plus que préciser les traits d’un illustre inconnu. Il remet en question nombre d’idées imprudemment convenues. Si le césaro-papisme a perdu du terrain, ce n’est pas à cause du christianisme ; pendant longtemps, le monothéisme judaïque a admis que d’autres dieux existaient, mais ils ne faisaient pas le poids contre Yahvé ; le premier temple construit par Salomon mesurait au plus vingt-sept mètres de longueur, ce dont nos longues maisons autochtones étaient capables ; la notion même de création était trop abstraite à l’époque pour qu’on la détecte dans les premiers récits bibliques… Audace et rigueur admirables.