Étrange livre que celui-là. Il excelle à enclencher le suspense et à le laisser fluctuer comme dans les films en dents de scie à la Hitchcock, mais il oublie ensuite de résoudre ou d’enterrer les mystères proposés. Qu’une femme vierge soit enceinte, cela déconcertera (presque) tout le monde, surtout si le récit demeure vague sur les moyens de remplacer la procédure la plus fréquente de reproduction. Qu’une enfant précoce et surdouée exerce de fabuleux pouvoirs sur les martingales des casinos, on s’en émerveillerait sans réticence, à condition, toutefois, qu’on nous éclaire sur l’origine et les limites de ce don. Ce n’est pas le cas. Qu’un vague reproche maternel suspende durablement le recours à ce talent ne convaincra personne. Quand un volcan islandais entre en éruption en laissant l’impression qu’il obéit à une volonté (presque) humaine, l’hypothèse retourne au néant sans s’être jamais déployée vraiment. Dans tous ces cas, l’auteur coupe court et laisse le lecteur sur sa faim. Il ne s’agit pas d’exiger une explication sèchement cartésienne, mais de souhaiter qu’émergent à tout le moins des questions précises. Philippe Porée-Kurrer, plutôt que de parfaire son évocation du mystère, oublie le sillage laissé derrière lui et nous entraîne vers la surprise suivante. Comme si manquait le fil pour enfiler les perles.
Heureusement, les surprises sont de belle qualité. L’auteur a beaucoup voyagé, beaucoup lu, beaucoup compris. Ses personnages vivent à fond et parlent une langue plausible. Porée-Kurrer propose un rangement séduisant quand il départage l’humanité en migrateurs et en sédentaires ; le Québec qui a longtemps hésité entre le coureur des bois et le paysan ne saurait le contredire. De même, l’auteur ose poser encore au sociologue lorsqu’il réduit Hitler au rôle d’un catalyseur : « S’il n’avait pas été là, il y en aurait eu un autre pour activer la charge de haine qui pesait alors sur l’Europe et qui, tragiquement, semble renaître aujourd’hui de ses cendres ». L’essentiel demeure, cependant, le duel que se livrent, par humains interposés, le Bien et le Mal, avec le risque afférent de les voir se compénétrer. Une effervescence un peu désinvolte.