Avec Cartographie des nuages, David Mitchell a construit un objet littéraire insolite, sorte de roman à relais comptant six intrigues, vécues par six protagonistes principaux, dans six univers fort différents, à des époques éloignées les unes des autres et mystérieusement reliées entre elles. Un tour de force !
Il y a d’abord Adam Ewing, notaire américain, qui raconte sa traversée du Pacifique au milieu du XIXe siècle dans un journal de voyage. Ce journal refait surface en 1931 entre les mains d’un jeune Anglais, Robert Frobisher, qui, pour échapper à ses créanciers, s’est réfugié chez un compositeur belge de grand renom à qui il sert d’assistant. Son histoire à lui nous parvient par le biais de sa correspondance avec un dénommé Sixsmith. Ce dernier est l’un des personnages de la troisième partie du roman qui tourne autour des aventures de Luisa Rey, jeune journaliste américaine qui, en 1975, est sur la piste d’un complot nucléaire sur fond de magouille industrielle et politique.
L’histoire de cette dernière nous parvient par le truchement d’un manuscrit soumis, des années plus tard, au quatrième protagoniste du roman, Timothy Cavendish, enfermé contre son gré dans une résidence pour personnes âgées dans le nord de l’Angleterre. Les deux dernières parties de Cartographie des nuages nous projettent dans le futur. D’abord, Sonmi-451, une femme clonée pour être serveuse de restaurant dans une Corée lointaine, répond à un interrogatoire sur sa tentative avortée d’échapper à sa condition pour atteindre une pleine humanité. Enfin, Zacharie, un jeune garçon habitant l’archipel d’Hawaï, échappe au massacre dont son peuple est victime grâce aux pouvoirs d’une mystérieuse étrangère venue étudier les mSurs des habitants.
Toutes les histoiresillustrent la brutalité de l’espèce humaine. Chacun des récits forme un tout cohérent et compréhensible en lui-même. Mitchell les a tous écrits dans un genre littéraire différent (journal de voyage, récit épistolaire,thriller, comédie de mSurs, entretien, roman d’anticipation) et avec une maestria qui laisse pantois d’admiration (saluons au passage les prouesses du traducteur, Manuel Berri).
Malgré une relative unité thématique et les retours qu’effectue l’auteur d’une histoire à l’autre, le lecteur aura du mal à saisir l’articulation entre les différents segments du livre. Mais ce « manque de sens » ne gênera pas le plaisir de lecture car, plus que sa construction, ce qui fait le véritable intérêt et l’originalité dece roman choral, c’est la capacité de David Mitchell de manipuler avec brio tous les registres de l’écriture romanesque. C’est par sa virtuosité que Cartographie des nuages impressionne surtout.