Pour la première fois, Horacio Castellanos Moya, dans Le bal des vipères, fait intervenir plusieurs voix pour décrire le chaos centre-américain. Lors de ses précédents récits délirants, une seule personne rendait compte de sa folie et par extension rejoignait celle de la population locale. Dans son nouveau roman, Moya construit autrement le visage hallucinatoire d’une société paralysée par la peur. Cette fois-ci, une invasion de vipères agressives bouleverse la capitale, déstabilisant les pouvoirs économique, politique et médiatique. D’abord un fait divers, l’attaque prend des proportions gigantesques et en vient à incarner une remise en cause du pouvoir.
Eduardo Sosa, un sociologue sans emploi, s’enquiert du locataire d’une vieille Chevrolet jaune stationnée devant son immeuble. Il le suit, discute avec lui, avant de le tuer sur un coup de tête afin de prendre possession de sa voiture. Débute alors une véritable métamorphose, où Sosa devient en quelque sorte Jacinto Bustillo, l’ex-itinérant autrefois comptable qui possédait le véhicule. Il découvre à ce moment que la voiture est infestée de vipères, et il parvient à les amadouer. Entre la relation charnelle qu’il entretient avec ces serpents et ses désirs de vengeance, Sosa provoque la stupeur dans la ville en laissant les vipères s’en prendre à tous ceux qu’elles rencontrent. Si cette équipée est narrée par un Sosa sans repentance, les parties suivantes du récit, décrites par le policier chargé de l’enquête et par la journaliste à la recherche d’un scoop, montrent les implications politiques et médiatiques de ces attaques qui déclenchent une panique généralisée et dévoilent des scandales autrement tus. En reprenant les mêmes événements selon trois points de vue aussi peu informés les uns que les autres, Castellanos Moya présente un portrait loufoque et dramatique d’un pouvoir féroce et fragile, à la veille d’une implosion provoquée par une action fortuite.
Si la multiplicité des témoignages relance bien le récit, si le sujet est original et bien traité, il n’en demeure pas moins que ce roman de Castellanos Moya n’a pas la force ni l’impact des précédents, comme si l’identité non assurée de Sosa, métamorphosé en Bustillo, ne parvenait pas à laisser poindre toute l’amertume d’une génération éduquée et laissée malgré tout en marge de la société.