Sous forme d’abécédaire, J.-Claude Saint-Onge poursuit et complète dans cet essai très documenté le travail d’information qu’il a commencé dans L’envers de la pilule. Il y expose les dysfonctionnements dont souffrent les organes étatiques nord-américains responsables de l’homologation et du contrôle du commerce des médicaments : lacunes légales, manque de ressources matérielles et de volonté politique, accointances diverses. Il y dénonce la liberté injustifiable dont jouit l’industrie pharmaceutique, soucieuse avant tout du bien-être de ses actionnaires. Cette déréglementation présente un réel danger pour la santé publique. Les exemples proposés pour démontrer la dangerosité de médicaments pourtant très largement prescrits et consommés sont accablants. Le cas de la nouvelle génération d’antidépresseurs en est un triste emblème.
L’auteur explore aussi la jungle des essais cliniques : critères éthiques relatifs, variables cachées, cadre scientifique aléatoire pouvant présenter des risques pour la vie des « cobayes », résultats orientés, risques réels, voire majeurs, banalisés, etc. Le chapitre consacré aux méthodes d’Anapharm – filiale de SFBC International, bien implantée à Québec, qui planifie, exécute et présente les résultats des essais cliniques en vue de l’homologation des médicaments – est révélateur de la culture du secret dont s’entoure ce milieu.
Selon Jean-Claude Saint-Onge, seuls 3 à 8 % des nouveaux médicaments représentent une avancée thérapeutique substantielle. Les autres sont trop souvent des quasi-répliques de produits qui existent déjà, imposés sur le marché grâce à un marketing très puissant (équivalant, chez les géants étatsuniens de la pharmaceutique, à environ 30 % de leurs revenus !) et, faut-il le préciser, plus dispendieux que les médicaments qui les ont précédé. On compte aussi au nombre de ces « nouveaux médicaments » des produits censés traiter de « nouvelles maladies » : la timidité, l’anxiété, le syndrome prémenstruel, l’état de « pré-hypertension », la sénescence naturelle Bref, des produits issus d’une pernicieuse et constante redéfinition des frontières entre santé et maladie, dont sont chargés certains employés des grandes entreprises pharmaceutiques.
Si ce livre n’est pas un réquisitoire contre les médicaments bien éprouvés, il n’épargne aucune dérive d’un trop puissant groupe industriel qui n’hésite pas à jouer avec la vie de millions d’individus ni à soutenir divers milieux pour étendre plus encore son pouvoir (étudiants en médecine, formation continue des médecins, presse scientifique, organisations de défense des patients, organisations politiques).
Il est en outre, et sans conteste, une incitation forte et courageuse à devenir des consommateurs de soins informés, et par conséquent conscients et insoumis.