Professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem et digne successeur de Gershom Scholem à la chaire de Kabbalah, Moshé Idel développe depuis plusieurs années une approche phénoménologique dont les points de convergence sont la nature et la signification de la cabale. C’est par un patient et colossal travail de recensement, d’exhumation et de conservation des textes kabbalistiques juifs qu’il a pu prolonger la typologie de Scholem en critiquant toutefois son historiosophie. Tandis que ce dernier limitait la distinction entre la cabale théosophique et la cabale extatique à l’Espagne du XIIIe siècle, Moshé Idel en fait deux courants phénoménologiques sans jamais les figer et surtout, en contestant l’idée selon laquelle la cabale serait issue d’une conjonction du néoplatonisme tardif de Jamblique et de Proclus et du gnosticisme juif. Loin de pouvoir être référée à ce dernier courant, la cabale se dessine progressivement en Languedoc, après Maïmonide. Dans Mystiques messianiques, on assiste donc, comme le souligne judicieusement Umberto Eco dans sa préface, à une « lutte entre père et fils », lutte qui, rappelle-t-il également, met en scène l’angoisse de l’influence mise en lumière dans la transmission intellectuelle par Harold Bloom, le grand savant étatsunien, auteur de Kaballah and Criticism (1975).
Moshé Idel confronte ici le modèle vertical (Dieu et moi) au modèle horizontal (l’histoire et nous) afin de montrer que cette opposition ne fonde nullement la distinction entre mysticisme et messianisme. En réalité, il s’agit pour lui, au-delà d’une classification des sources antiques et d’un recours à une herméneutique conduisant à une réévaluation de l’histoire, de considérer le lien indissoluble entre les deux pour autant qu’on en précise les points de rupture et de convergence. Pensant dans le sillage de Franz Kafka et de Walter Benjamin la question du Messie, Idel écrit : « L’imminence et l’acuité du messianisme sont caractéristiques d’une attente dénuée de toute supputation et de calcul de temps, et qui implique aussi le report. Cette attente consiste en une disponibilité à l’irruption d’un avenir meilleur ». Si on peut selon Eco lire cette œuvre psychanalytiquement, ce n’est pas seulement à cause de la lutte mentionnée, mais aussi parce qu’elle s’adresse constamment à l’inconnu, à une expérience ouverte du mythe dans la vie.