Énième titre d’un auteur prolifique que l’on pourrait bien surnommer « Le porteur de paroles » (titre de l’un de ses poèmes paru dans Chemin d’exil). En effet, Sylvain Rivière a touché à tous les genres, en se faisant l’écho des habitants de son pays d’origine, la Gaspésie, et des Îles-de-la-Madeleine, son pays d’adoption. Il dédicace sa pièce Ispigiac « Aux Paspéyas qui ont si bien su traverser l’espace et le temps sans jamais baisser la tête ni les bras » La pièce venait commémorer à l’été 2004, le 237e anniversaire des installations érigées par Charles Robin sur le banc de Paspébiac. Le dramaturge désigne le site historique du Banc comme lieu théâtral et espace scénique de la représentation de ce qu’il appelle une « saga historique déambulatoire ». Le thème central de l’œuvre reprend en substance celui de La belle embarquée, roman historique qui a valu à Rivière le Prix France/Acadie en 1994 : l’exploitation des pêcheurs par la Robin Pipon Company, qui a eu la mainmise sur la destinée des Gaspésiens jusqu’au XXe siècle, et le sentiment de servitude de ces derniers dont la dignité bafouée n’aura eu d’égal que leur fierté et leur soif de liberté. Ispigiac, une saga, parce qu’elle présente les peuples qui ont habité la flèche qui avance loin dans la mer – sens du toponyme attribué par les Micmacs qui y pêchaient au XVe siècle -, en parfaite intelligence avec les Basques et les Bretons, jusqu’à aujourd’hui. Des scènes d’action illustrent le système tyrannique mis en place par Charles Robin pour remplir les coffres de la compagnie jersiaise au détriment des pêcheurs, tandis que des personnages symboliques représentant le passé, le présent et l’avenir, de même qu’un Narrateur, rapportent des faits, les commentent et expriment des doléances. Un ton solennel en résulte qui confère à la pièce une atmosphère de tragédie grecque, bien que la dernière scène soit consacrée à l’Enfant qui symbolise « l’espoir et le grandir de ce peuple de la mer en marche vers l’autonomie et l’affirmation de soi ».
Sylvain Rivière n’a de cesse de représenter le Peuple de la mer dont il est lui-même issu, de transposer la parlure des fils du vent pour chanter leur pays et clamer leur soif de liberté. Sa langue, débridée dans ses autres pièces et contes, est ici plus sage, soumise aux impératifs du sujet historique et du dessein commémoratif.