À Paris, plus précisément dans Montmartre, quelques crevasses dans le sol, d’anodines fissures dans les murs des immeubles prennent peu à peu des allures de cataclysme. Deux amis – l’un sans-abri, l’autre qui le deviendra – observent en témoins impuissants un lent mais inéluctable travail de sape provenant des profondeurs « Les fissures, les crevasses, c’est pas le genre de chose qui s’arrange. On en a rarement vu cicatriser. Au contraire, généralement, elles ne demandent qu’à s’ouvrir davantage, qu’à s’étendre et se ramifier encore. C’est la tendance naturelle des lézardes, on n’y peut rien, on ne peut que colmater les brèches, faire illusion, un temps, le temps que ça dure. Mais ça ne dure pas. Quand les murs et le sol grimacent, c’est qu’ils ont de bonnes raisons de le faire. »
Bien que d’une toute autre facture, ce petit livre n’est pas sans rappeler L’aveuglement de José Saramago. À la métaphore de tous les aveuglements Joël Egloff a substitué celle de toutes les fêlures, de toutes ces cassures que rien ne ressoude. Deux hommes, eux-mêmes un peu fêlés, commentent l’effondrement progressif de la ville et de leur vie. Ayant peu à perdre, sinon leur ennui, les voilà qui s’affairent à contourner les affaissements, à orienter les derniers touristes, à se divertir des accrochages et des accidents de la circulation, de plus en plus nombreux. Morale de cette histoire : quand le sol se fissure sous le pas des hommes, il y a ceux qui geignent et se morfondent, ceux pour qui la fuite est le seul recours possible et puis celui qui, le regard amusé, raconte cette histoire de fin du monde où l’amitié règne en souveraine.
Voilà un petit traité des crevasses, fissures et autres lézardes qu’on lit d’une traite et qui préfigure le lieu où nous, tous autant que nous sommes, finirons au fond d’un trou. Et tant mieux s’il se trouve un ami pour nous tenir compagnie !