Second volet d’Une poignée de gens, ce roman intitulé Aux quatre coins du monde est indépendant du précédent, de l’aveu même d’Anne Wiazemsky qui reprend néanmoins les mêmes personnages. Ce roman crépusculaire relate la vie de ceux qui, ne croyant pas à la longévité des bolcheviques au pouvoir après la révolution d’Octobre en Russie, ont vécu les événements historiques avec la conscience d’une menace dont ils ne parvenaient toutefois pas à préciser les contours. Jusqu’à ce qu’ils regardent « disparaître les côtes de la Russie le cœur déchiré, croyant encore les voir, quand il n’y avait plus rien que les vagues et l’eau, à l’infini ». L’épisode très peu connu de l’évacuation des réfugiés russes de Crimée par la flotte anglaise de Yalta est ici rapporté avec pertinence ; une intervention « désapprise » mais justifiée alors par les liens entre la famille régnante anglaise et la famille du tsar.
S’inspirant de l’histoire de sa propre famille, qu’elle n’a eu que peu de temps pour connaître, Anne Wiazemsky s’est nourrie de correspondances de l’époque et a fait appel à son intuition romanesque pour recréer la vie quotidienne au plus fort de la tourmente, pour nous offrir ces histoires humaines individuelles bien plus parlantes que l’Histoire elle-même.
Si le temps est suspendu pour les adultes, anxieux, il est celui des grandes vacances pour les enfants, insouciants, auprès desquels le personnage principal, Xenia, puise son énergie. D’ailleurs, dans le journal qu’elle tient quotidiennement, elle évoque presque sur le même registre l’assassinat de la grande duchesse Élisabeth et les progrès que fait sa fille en lecture.
Un monde, un univers, que décrit magistralement l’auteure. Une chronique de l’attente qui remplit toutes ses promesses servie par une plume élégante.