Romancier et grand voyageur du XXe siècle, Albert t’Serstevens (1886-1974) a publié plusieurs récits de voyage dont L’itinéraire espagnol (1933), L’itinéraire yougoslave (1938), L’itinéraire portugais (1940), Tahiti et sa couronne (1950-1951, 2 vol.), Mexique, pays à trois étages (1955), Siciles, Sardaigne, îles éoliennes (1958) et Le périple des archipels grecs (1963). L’Espagne en particulier a exercé sur lui une véritable fascination. Pour bien saisir ce pays, il a entrepris plusieurs voyages et effectué quelques séjours prolongés. Aussi, après avoir été publié en 1933, refondu en 1951 et réécrit en 1963, son Itinéraire espagnol, devenu Le nouvel itinéraire espagnol, est-il considéré à juste titre comme « son meilleur récit de promeneur inspiré ».
À une époque où les guides touristiques pullulent et tendent à réduire la géographie à la description d’un « monde monumental et inhabité », pour reprendre l’expression de Roland Barthes, l’ouvrage d’Albert t’Serstevens se présente comme un « complément à un guide officiel », voire comme une forme d’anti-guide. L’auteur avoue lui-même chercher à « conduire le voyageur pressé ‘ presque tous le sont aujourd’hui ‘ le long d’un itinéraire inédit, lui épargner de perdre son temps en détours inutiles, en escales sans intérêt, et lui faire connaître l’intimité de l’Espagne ». Ainsi, si « Villafranca est une ville sans caractère », en revanche Mojacar est un « joyau de l’Espagne inconnue » ; si Almeria lui semble « une ville insipide qu’il vaut mieux éviter ou traverser rapidement », la Charca constitue « un des sites les plus émouvants de l’Espagne ». Bref, Albert t’Serstevens propose plusieurs sites à l’admiration du lecteur, mais se défend bien de ressembler à ces guides traditionnels qui font disparaître l’humanité de l’Espagne au profit exclusif de ses églises et de ses monuments. À ses yeux, « l’homme y est aussi passionnant, sinon plus, que la nature et les villes ». De plus, « sous l’angle de la curiosité, estime-t-il, un cabaret vaut bien une cathédrale, et m’en dit parfois bien long sur la cathédrale elle-même ». Voyageur iconoclaste, Albert t’Serstevens se méfie donc de l’enthousiasme esthétique et des lieux communs transmis par le savoir livresque. « La littérature, dit-il, est une lentille singulièrement déformante. À lire la plupart des livres sur l’Espagne, on dirait que les monuments fleurissent au milieu d’une terre inhabitée. Ils sont pourtant l’expression de cette même race qui grouille dans les marchés et remplit les cafés ou les casinos ». En somme, « préférant voir en voyageant que de voyager sans rien voir », Albert t’Serstevens, considéré par plusieurs comme « le voyageur exemplaire du XXe siècle », donne à son aventure une dimension créative et personnelle, un sens qui démarque son récit des itinéraires purement descriptifs et souvent répétitifs. « J’ai toujours cherché, dans mes voyages, à atteindre l’intimité des pays que je visitais », écrit-il. L’Espagne, loin d’être l’exception, confirme plutôt la règle.